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Lauréat du Trophée Directions 2016
Une ferme urbaine cultive l’innovation sociale

29/12/2016

Stains (Seine-Saint-Denis). Outil de coopération, d’insertion et de sensibilisation à l’environnement, la Ferme des possibles vise à regrouper autour de ses activités de maraîchage de nombreux acteurs du secteur social et médico-social et à contribuer au développement du territoire. Objectif ? Insuffler une culture du partenariat fondée sur les synergies locales.


Vidéo-reportage - Lauréat du Trophée Directions 2016 – La Ferme des possibles, Stains (Seine-Saint-Denis)

Accompagnement de personnes handicapées et de publics en insertion, écologie, développement local, promotion de modes de production et de consommation en circuits courts, mutualisation et coopération… Bref, innovation sociale. La Ferme des possibles, située à Stains (Seine-Saint-Denis), est un projet aux multiples facettes et aux nombreuses ambitions. Lancée en 2014, elle est implantée sur un terrain d’1,2 hectare, sur une zone d'aménagement concerté (ZAC) derrière des immeubles industriels, une clinique et un lycée. Cette ferme agricole urbaine « s’inscrit avant tout dans un projet de territoire, souligne Mohamed Gnabaly, directeur général de Novaedia, la société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) qui la porte depuis juin 2016. Ses activités répondent à des besoins identifiés et prend place dans une démarche de filière agro-alimentaire sur les communes de Saint-Denis et de Stains. »

Une coopération durable

La Ferme des possibles, c’est d’abord l’histoire d’une rencontre. Celle de l’association d’insertion des jeunes des quartiers populaires, Capital Banlieue, et de l’établissement et service d’aide par le travail (Esat) Pleyel, spécialisé dans la restauration et l’activité traiteur, géré par la Résidence sociale. En 2013, ces deux structures sont alors implantées dans la commune de Saint-Denis, et la première recherche un site industriel pour développer ses services de restauration (conception de paniers de fruits bio, petits déjeuners, cocktails…). L’Esat, qui va déménager à Stains, laisse derrière lui un laboratoire vide et, par l’intermédiaire de la communauté de communes, le propose à l’association en échange de l’intégration en son sein de travailleurs handicapés. Marché conclu et des binômes « jeune en insertion/travailleur d’Esat » sont mis en place. Avec succès.

Une coopération durable s’installe alors. « Nous partagions un même sentiment : celui de la nécessité pour les différents acteurs du territoire de coopérer pour créer de la fluidité entre les dispositifs de l’action sociale », se souvient Mohamed Gnabaly, alors président de Capital Banlieue. Lorsqu’en 2014 la ville de Stains propose à la Résidence sociale de mettre à sa disposition une friche juste en face de ses trois de ses établissements (les Esat Pleyel et Marville, spécialisé dans l’entretien d’espaces verts, ainsi que l'externat médico-professionnel – EMPro) afin d’y installer un maraîchage bio, les deux associations y voient une occasion de renforcer leur collaboration. Et de changer d’échelle. « Notre partenariat avec Capital Banlieue très impliquée dans la vie locale nous a permis d’accéder à de nouveaux réseaux et de nous développer », se souvient Jean-Paul Galeyrand, directeur du pôle 93 de la Résidence sociale, qui regroupe les deux Esat, l'EMPro et une institut médico-éducatif (IME).

Au-delà du simple jardin potager, les partenaires décident de créer un projet de plus ample envergure pour donner une nouvelle impulsion à leurs activités et répondre aux besoins du territoire. Soit une demande croissante de produits alimentaires bio de la part des entreprises et des habitants, une meilleure insertion et intégration socioprofessionnelles des publics fragiles (personnes handicapées, jeunes, sans emploi…), notamment vers des métiers de la terre. Les deux associations se lancent alors dans la construction d’une ferme urbaine « innovante, coopérative et participative », comme la définit Ghislaine Tulpain, directrice générale de la Résidence sociale.

Faire découvrir les cycles de production

Après une étude de faisabilité et d’analyse des sols réalisée en 2014, la zone est défrichée et de premiers aménagements extérieurs sont effectués, sous la conduite de Willy Dargère, maraîcher et responsable d’exploitation de la ferme. Sont ainsi bâtis une serre, un poulailler, un rucher, un composteur, un bac potager et même une « spirale aromatique ». Et de nombreux arbres fruitiers sont plantés dès 2015 en suivant le modèle de l’agroforesterie [1]. Pour la réalisation de ces installations, Willy Dargère est aidé par un binôme formé d’un travailleur handicapé et d’un jeune en insertion : Romaric, de l’Esat Marville, et Iba, en apprentissage dans un centre horticole des Yvelines. Les autres usagers de l’Esat Marville et de l’EMPro de Stains participent également à la construction du site. Une petite arène destinée à accueillir du public pour des animations de sensibilisation autour de l’agro-écologie est également édifiée par des jeunes en insertion dans le cadre d’un chantier école de huit mois.

Pour Mehdi Nabti, directeur adjoint de l’Esat Pleyel et, depuis peu, président de la SCIC, l’installation d’une ferme urbaine est intéressante à plusieurs niveaux : « Elle permet aux salariés de l’Esat Pleyel de prendre conscience du cycle de production des aliments utilisés tous les jours dans leur restaurant L’Atelier et pour leurs plateaux repas, en leur démontrant l’importance de leur activité. Elle offre une occasion aux usagers de l’Esat Marville et de l’EMPro de Stains de ne plus faire que de la taille de haies mais de découvrir les différents métiers de la terre. Et elle donne aux différents acteurs de terrain, notamment aux acteurs de l’économie sociale et solidaire – ESS, la possibilité de travailler sur des outils communs et de partager leurs compétences. »

Un essaimage sur le territoire

Maître-mot de cet imposant projet, la coopération a été mise en œuvre à tous les stades du processus d’ingénierie et de construction de la ferme. Outre l’EMPro et l’Esat Marville, présents une fois par semaine sur le terrain pour l’entretien notamment des espaces verts, quatre autres EMPro de Seine-Saint-Denis sont impliqués dans la démarche. Une fois par mois, les jeunes viennent travailler ou suivre des stages de découverte des métiers de la ferme. « Ces sorties sont intégrés à leur projet d’établissement », précise Béatrice Marquise, directrice adjointe de l’EMPro de Stains. Les établissements scolaires, la clinique de l’Estrée et les habitants du quartier ont également tous été concertés et seront accueillis, à compter de mi-2017, lors de l’ouverture de la ferme au public, pour participer à des ateliers pédagogiques ou pour suivre des formations sur l’agriculture urbaine et l’écologie. En outre, deux jours par semaine, la ferme reçoit l’aide de plusieurs bénévoles venus du centre d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada) de Stains. Une collaboration là aussi fructueuse. « Un jeune demandeur d’asile a pu, grâce à la ferme, intégrer l’école d’horticulture d’Iba. Et je lui ai trouvé un maître d’apprentissage », s’enthousiasme Willy Dargère. Un exemple qui vient confirmer le diagnostic de Mohamed Gnabaly, récemment élu maire de l’Ile-Saint-Denis : « Ce n’est plus un luxe de coopérer, c’est désormais une obligation si l’on veut accompagner efficacement nos publics. »

Une montée en charge progressive

Support de cette coopération et outil de mutualisation, la SCIC, constituée en juin 2016, regroupe les différents intervenants associés au projet de la Ferme des possibles sur la base de cinq collèges : celui des deux associations fondatrices ; celui des salariés (70 % d'entre eux sont concernés) ; celui des « novacteurs » ou forces vives que sont les experts, militants et bénévoles qui donnent de leur temps et proposent leurs compétences à la coopérative ; celui des partenaires, composé d’associations, de fournisseurs et d’entreprises clientes ; enfin, celui des collectivités. « Le collège des fondateurs possède 50 % des votes, celui des salariés, 20 %, et les trois autres ont 10 % chacun », précise Ghislaine Tulpain.

La gouvernance est définie, les objectifs sont entendus, le maraîchage est amorcé. Mais le projet n’en est encore qu’à ses débuts. « Nous sommes en phase de réalisation de la ferme, affirme Mohamed Gnabaly. Notre modèle économique est en construction et le sera encore dans les trois à cinq prochaines années. » Un constat partagé par Ghislaine Tulpain qui table sur une « montée en charge progressive »

Créer une marque

Le financement du projet repose pour le moment sur des fonds d’investissement, composés d’un apport en capital de 250 000 euros de la Résidence sociale, de financements privés (entreprises et fondations) et de subventions publiques (ville de Stains, Plaine commune, département de la Seine-Saint-Denis, région Ile-de-France et État), pour un montant global de 650 000 euros. S’agissant du financement courant de la ferme, les administrateurs de la SCIC souhaitent s’éloigner du modèle des subventions. « Notre enjeu est de pérenniser tous les secteurs de nos filières et il est préférable pour cela de faire reposer le fonctionnement de la ferme sur du chiffre d’affaires », relève Mohammed Gnabaly.

Les activités de la ferme, déjà mises en œuvre ou en projet, devront notamment contribuer à sa rentabilité : vente de paniers bio et de produits bio sous la marque « Ferme des possibles » (fruits, légumes, œufs, miel, confitures…) ; ateliers pédagogiques ; formations ; location de salle ; etc. Des aménagements restent à mener et certaines questions demeurent. Mais, à n’en point douter, cette ferme est pleine de possibles.

 

[1] L’agroforesterie est une pratique agricole associant les arbres, les cultures ou les animaux.

Lola Vincent. Photos : Thomas Gogny

« Un incubateur d’idées et d’innovation locale »

Mohamed Gnabaly, directeur général de Novaedia et maire de l’Ile-Saint-Denis
« La création de la Ferme des possibles s’est faite notamment autour de la recherche et de l’innovation sociale. Une approche que je porte depuis l’origine. Le projet ne doit en effet pas rentrer dans les cases, sinon il devient inutile. Nous avons ainsi expérimenté une stratégie transversale, en mélangeant les différents publics, et horizontale, dans nos relations avec les collectivités. Cela nous permet d’être plus fins, plus près de la réalité. Par ailleurs, nous avons passé un an à débattre de la question du "nous" et à rechercher des méthodes de travail communes pour arriver aujourd’hui à ne parler que d’une seule voix au sein de la SCIC. Nous devons désormais nous atteler au volet expérimentation du modèle économique de la Ferme afin de pérenniser toutes les activités de nos filières. »

 

En chiffres

  • 5 porteurs de projets dont 2 associations et 3 établissements médico-sociaux
  • 3 emplois créés sur la Ferme et 15 emplois créés dans l’association Novaedia de 2014 à 2016
  • Parmi les activités de la ferme : plus de 625 arbres et arbustes plantés ; 40 kg de miel récoltés pour la première fois fin août dans les 10 ruches installées en mai et environ 12 paniers bio sont vendus tous les vendredis
  • 650 000 euros d’investissements

Contact : 01 84 16 94 97

Publié dans le magazine Direction[s] N° 148 - janvier 2017

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