« À quoi sert un représentant des usagers ? » La question s'adresse aux dix stagiaires, tous délégués au sein d'établissements et services d'aide par le travail (Esat) ou d'entreprises adaptées (EA). Après une matinée de formation, l'ambiance est détendue et la première réponse se fait sur le mode de la boutade : « Il va à des réunions pour boire un café ! », s'exclame Robin, délégué depuis cinq ans de l'EA Atelier professionnel prestations de services (APPS). « À part un café, que fait-on en réunion ? », recadre Enrique Moreau, le formateur. « On discute… », tente Olivier. « Oui, mais de quoi ? », relance Enrique. « Du travail, de la vie sociale… », répond Robin. « On parle des besoins de nos collègues », renchérit Stéphane. « Et après, on transmet les infos à nos collègues », poursuit Sandra. Les échanges sont vifs, avec une bonne participation.
Il faut dire que les bénéficiaires ont en face d'eux une personne qui leur ressemble : Enrique Moreau est lui-même travailleur en Esat et élu au sein d’instances représentatives du personnel (IRP). Les échanges se font donc entre pairs, ce qui facilite grandement la communication. « Ce ne serait pas pareil si le formateur n'était pas comme moi. Je suis plutôt timide, je pense que je n'aurais pas osé parler », confirme Sandra Billault, déléguée dans un Esat à Lunéville (Meurthe-et-Moselle).
Enrique Moreau n'est pas seul face aux dix stagiaires. Deux autres personnes coaniment cette session : Françoise Hanriot, également ouvrière en Esat, et Christophe Holder, éducateur technique spécialisé au service d'accompagnement professionnel en milieu ordinaire (Sapmo), géré par le Carrefour d'accompagnement public social (Caps). C’est là qu’a germée l'idée de créer cette formation destinée à épauler les représentants des usagers à jouer pleinement leur rôle. « Nous nous sommes dit : qui peut mieux qu'un usager en aider un autre à comprendre et lui donner des pistes pour exercer sa mission ? », explique Jean-Pierre Boissonnat, directeur général.
Faire émerger les idées des travailleurs
Depuis les lois du 2 janvier 2002 et du 11 février 2005, la participation et la représentation des personnes accompagnées dans les structures sociales et médico-sociales sont reconnues au travers notamment du conseil de la vie sociale (CVS). « La participation des usagers fait partie de l'ADN du Caps, poursuit Jean-Pierre Boissonnat. C'est vrai que le mot usager est parfois un peu galvaudé. Mais chez nous, c'est un terme tout à fait noble. » Dans cette structure publique implantée en Meurthe-et-Moselle, le mouvement remonte à une vingtaine d'années et l'expression des personnes, assistées par des conseillers techniques bénévoles, se décline au sein de cinq commissions différentes : la commission permanente de formation, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), le comité consultatif des ouvriers, celui des œuvres sociales, la réunion générale et le conseil d'administration. « Cet accompagnement permet de mieux structurer les demandes des usagers qui parfois partent dans tous les sens. Ainsi, certains nous réclament une piscine au milieu du salon…, témoigne Sylvain Mangin, chef de service. Il s'agit aussi de dépasser les thématiques qui reviennent à chaque fois, comme les repas. Ce sont des sujets qu'il faut entendre, mais nous souhaitons aussi que les élus fassent émerger des idées et participent pleinement au projet d'établissement. » Une expérience que l'établissement a voulu prolonger en créant une formation ad hoc. « Au départ, nous pensions organiser le stage uniquement en interne, puis nous nous sommes dit qu'il pourrait intéresser d'autres structures », explique Cosette Hussenot, directrice du pôle Travail adapté et insertion.
Labellisée par l'agence régionale de santé (ARS) d'Alsace Champagne-Ardenne Lorraine et agréée par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) en 2014, la formation « Représentation des usagers par leurs pairs » est même devenue, l'année suivante, une nouvelle activité de l'Esat, au même titre que la blanchisserie, les espaces verts ou le maraîchage. Les prestations sont effectuées sur devis, le coût d'une journée de formation tournant autour de 550 euros TTC. « Nous voulions qu'elle soit payante car il s'agit d'une activité à part entière, et c'est un gage de sérieux et de crédibilité. Mais nous avons choisi un tarif bien en deçà de ceux pratiqués habituellement car nous ne voulions pas que ce soit un frein pour les établissements », souligne Sébastien Andréi, chargé de développement de projets au Caps.
Des exercices pour apprendre à gérer le stress
Les ouvriers formateurs ont également été formés pendant un an, à raison d'une demi-journée par mois (une organisation due aux difficultés de réunir des personnes exerçant des activités variées sur différents sites) par les éducateurs du Sapmo, avec lesquels ils ont élaboré le contenu du stage. Rappel du cadre législatif, explication du concept de citoyenneté, du rôle de représentant, élaboration du compte-rendu de réunion… Des notions souvent complexes que les sessions abordent sous la forme de jeux de rôle ou de petits exercices, en ayant souvent recours à des images parlantes. Les stagiaires apprennent par exemple des astuces pour gérer le stress qu'ils peuvent ressentir lorsqu'ils doivent prendre la parole devant la direction ou pour bien restituer des informations à leurs collègues. « La formation est vraiment très bien. J'ai appris les lois, les droits et les devoirs des délégués », estime Stéphane Bolmont, qui vient d'être élu pour la première fois délégué du personnel de son entreprise adaptée. « Pour moi, le plus difficile ce n'est pas de m'adresser à la direction, mais de parler à mes collègues qui ont tendance à déformer ce que je leur dis », confie Robin Valéry, représentant du personnel depuis cinq ans. Là aussi, le stage leur donne quelques clés pour éviter la distorsion de l'information.
Reconnaissance et autonomie
Les huit usagers formateurs ont été choisis parmi les représentants volontaires du Caps pour leurs capacités à s'exprimer devant un public. « J'aime le contact avec les gens, les échanges et comprendre comment les IRP fonctionnent ailleurs », témoigne Françoise Hanriot. Cette dernière a même présenté la formation au Parlement européen en juin dernier dans le cadre d'un programme d'échanges de bonnes pratiques autour de l'exercice de la citoyenneté des personnes en situation de handicap. Un moment dont elle garde un très bon souvenir. « Les usagers manquent souvent de reconnaissance et d'autonomie. Avec cette formation, ils gagnent justement en autonomie, nous leur faisons de plus en plus confiance. Ils ont juste besoin parfois d'être rassurés ou guidés mais fondamentalement, je n'ai rien à leur apprendre », considère Christophe Holder.
En un an et demi d'existence, la formation a été dispensée à 146 bénéficiaires, principalement des travailleurs d'Esat, mais aussi des usagers de foyers d'accueil spécialisé (FAM) ou de maisons d'accueil spécialisées (MAS). Leur particularité ? Une part importante d’accompagnants professionnels, qui peuvent par la suite assurer le suivi de la mise en pratique dans leurs structures. « Nous souhaitons nous adresser à tous les établissements sociaux et médico-sociaux dans le champ du handicap. Cela nous semble cohérent dans la mesure où les formateurs sont eux-mêmes handicapés », ajoute Cosette Hussenot.
Pour développer cette nouvelle activité, le Caps mise sur le bouche-à-oreille via son réseau (le Groupe national des établissements publics sociaux et médico-sociaux – Gepso – notamment dont elle est membre) et la diffusion d'une plaquette. « C'est à nous maintenant de faire connaître notre formation au plus grand nombre et montrer notre savoir-faire pour que l'activité ne s'étiole pas au fil du temps », confie Jean-Pierre Boissonnat. Pour l'heure, le Caps est de plus en plus sollicité. « J'ai été contactée hier par un institut médico-éducatif (IME) et un institut médico-professionnel (Impro) en Lorraine pour un stage auprès de jeunes et il n'est pas exclu que nous nous rendions en Corse… », se réjouit la directrice du pôle Travail adapté et insertion. Preuve que la formation semble répondre à une réelle attente. Et contribue, à sa manière, à donner plus de pouvoir aux usagers.
Aurélie Vion. Photos : Baptiste Lignel
« Des stages plus adaptés et plus parlants »
Patrice Wittmann, directeur adjoint de l'entreprise adaptée APPS, à Heillecourt (Meurthe-et-Moselle)
« Lorsque j'ai appris l'existence de cette formation, les élections des représentants du personnel dans notre entreprise adaptée venaient d'avoir lieu et pour beaucoup d’élus, il s'agissait d'une première. Il m'a semblé que c'était une bonne chose pour les conforter dans leur rôle dont ils n’ont pas toujours une compréhension fine. Par exemple, les représentants remontent parfois des situations qui ne relèvent pas de leur fonction car trop personnelles. D'un autre côté, ils se font parfois réprimander par leurs collègues au sujet des chèques-vacances ou autres… Ces problèmes relationnels avec les autres salariés expliquent sans doute que certains anciens délégués n'ont pas souhaité se représenter. J'attends de ce stage qu'il leur permette de mieux se situer dans leur mission, qu'ils sachent dans quels domaines ils peuvent agir ou non. Cette formation dispensée par des pairs, avec des termes et exercices plus adaptés et parlants, sera sans doute beaucoup mieux comprise qu'une formation classique. »
En chiffres
8 usagers formateurs
4 formateurs socioprofessionnels du Sapmo
146 bénéficiaires de la formation depuis la création en 2014, issus de 6 types de structures (Esat, EA, FAS et MAS)
45 euros HT : prix de l'heure de formation (auxquels s'ajoutent les frais de déplacement, de restauration et d’hébergement si besoin)
550 euros TTC : coût moyen d'une journée de formation pour des groupes de 8 à 12 stagiaires
5000 euros TTC environ : chiffre d'affaire depuis les débuts
Publié dans le magazine Direction[s] N° 140 - mars 2016