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12e Trophée Prix des lecteurs
Des résidents formés aux premiers secours

04/01/2017

Corbeille-Essonnes (Essonne). C’est à leur initiative que des adultes handicapés psychiques de la Maison du Coudray ont suivi une formation aux premiers secours. Une expérience valorisante tant pour eux que pour les formateurs, lauréate de la catégorie Promotion de la citoyenneté. Et qui a remporté le Prix des lecteurs de Direction[s].

Ghislain Pérot déploie tout doucement son corps de 1,90 m sur un drap posé à même le sol. « N’oublie pas : tu es inconscient, tu n’ouvres pas les yeux et tu te laisses faire », lui rappelle Nathalie Gameiro-Lopes, formatrice au centre d’enseignement des soins d’urgence de l’Essonne (Cesu 91). Elle guide Corinne Acamer, qui s’agenouille à côté de lui : « Mets une main sur son ventre, l’autre sur son front. Est-ce qu’il respire ? »« Oui », souffle Corinne qui passe alors le bras droit de Ghislain contre son oreille gauche et tire progressivement sa jambe droite pour le faire basculer en position latérale de sécurité. « Accompagne-le. Vérifie qu’il respire. Et maintenant ? », questionne la formatrice. « Je le couvre et j’appelle le 15 », répond Corinne, sans l’ombre d’une hésitation. « Parfait ! », la félicite Véronique Fauvel, la seconde formatrice du Cesu 91.
Corinne Acamer et Ghislain Pérot  font partie des 18 résidents de la Maison du Coudray, un foyer de vie ouvert en 2015, et géré par l’Association Alve, accueillant des adultes souffrant de troubles psychiques, stabilisés. Sept ont appris à réaliser ces gestes de premiers secours de mars à juin 2016. Une initiative réclamée par les usagers eux-mêmes.

Une action gratuite

« À l’origine, ce sont nous, les éducateurs, qui suivions la formation Prévention et secours civiques de niveau 1 (PSC1) dans une salle du foyer. À midi, les résidents, intrigués par le matériel déployé, nous ont interrogés et ont manifesté leur volonté d’y participer », se souvient Alexia Delongeas, éducatrice spécialisée. Fort de cette demande, Arnaud Grand, chef de service, contacte alors une petite dizaine d’organismes. Tous refusent. « Certains voulaient faire payer les usagers. Mais surtout, former un public vulnérable leur faisait peur », explique-t-il. Seule Fazia Laouari, ingénieur pédagogique responsable du Cesu 91, une unité fonctionnelle du Samu 91, accueille cette initiative avec enthousiasme. « Notre mission est d’instruire les professionnels de santé. Mais au-delà, nous recevons tous les publics, enfants comme adultes. En outre, nous sommes particulièrement attachés à inscrire notre action dans la cité. Former des personnes fragiles était un challenge professionnel », précise-t-elle. Elle propose alors que le Cesu 91 intervienne gratuitement et deux formatrices acceptent de se déplacer bénévolement. Unique investissement pour la Maison du Coudray ? La location d’un défibrillateur, pour 45 euros par mois.

S’apprivoiser mutuellement

Une première réunion se tient au foyer avec les résidents intéressés. Véronique Fauvel et Nathalie Gameiro-Lopes comprennent que leurs apprentis secouristes ont des difficultés à soutenir leur attention. Elles décident alors de scinder la formation – qui se déroule sur une journée habituellement – en dix séances d’une petite matinée. Les numéros d’urgence, l’hémorragie, le malaise, l’arrêt cardiaque, la personne inconsciente qui respire, le traumatisme osseux et cutané… En quelques mois, tous les thèmes sont étudiés. « Au départ, il a fallu s’apprivoiser mutuellement. Lors des premières séances, nous ne savions pas trop ce que nous pouvions dire ou pas, retrace Véronique Fauvel. Nous avions peur d’être maladroites. Et certains résidents ne parlaient pas du tout. » Petit à petit, la confiance s’installe. Au bout de quelques matinées, l’équipe éducative n’a même plus besoin de participer aux séances. Celles-ci se passent toutes de la même façon. « Nous évoquions le sujet du jour et essayions de les faire s’exprimer sur ce qu’ils connaissaient avant d’expliquer les gestes », raconte Nathalie Gameiro-Lopes, frappée par leur motivation : « Certains ont des difficultés de mobilité. Se mettre à genoux par exemple est parfois très douloureux. Mais ils sont extrêmement volontaires. »

Des formatrices en binôme

Aucune adaptation des outils n’a été nécessaire. « Nous n’avons pas modifié le contenu de la formation. Nous avons juste pris plus de temps pour décrire les gestes et aider les usagers à les reproduire. » Les deux formatrices deviennent alors des familières du foyer, que les résidents attendent avec impatience. D’où l’importance d’assurer une continuité. « Nous avons créé un lien, il était primordial que nous soyons toujours les mêmes à intervenir », détaille Véronique Fauvel. Travailler en binôme était également nécessaire : « Après les séances, nous nous retrouvions pour échanger. D’habitude, nous menons cette formation seules, de façon automatique, sans nous poser de questions. Là, c’était l’inverse : nous nous demandions si nous avions bien fait ceci ou cela ». Autre paramètre essentiel selon elles : constituer un groupe de sept personnes permet de créer une dynamique collective sans que ce soit trop lourd à gérer.
La fin de la formation s’est déroulée dans les locaux du Samu. Les résidents ont pu découvrir l’ambiance feutrée du plateau de régulation où arrivent les appels en provenance du 18 et du 15. Non sans appréhension, ils ont reproduit les gestes et six sur sept ont obtenu leur attestation, qu’ils exposent aujourd’hui avec fierté. Pour célébrer l’événement, une fête a été organisée à la Maison du Coudray en présence des familles. Pour remercier les formatrices du Cesu, les résidents leur ont offert des fleurs et un diplôme de « Meilleures formatrices ». Un moment riche en émotions qui a marqué les esprits. « Les proches voyaient leur enfant évoluer, impliqué dans un projet, c’était fort », se souvient Arnaud Grand. L’expérience a même été relayée dans la presse locale et donné lieu à un reportage vidéo du conseil départemental de l’Essonne.

La participation à l’honneur

Aujourd’hui, les résidents appliquent les réflexes acquis durant cette formation. « À table, les fausse-route ne sont pas rares. Lorsqu’un des leurs est en difficulté, ils réagissent rapidement, lui tapent dans le dos, ils sont très attentifs. Ils ont pris conscience des risques quotidiens », analyse Alexia Delongeas. Plus largement, « la formation a contribué à fédérer le groupe. Cela a créé un lien entre les usagers et avec l’équipe. Nous les avons sentis valorisés », confirme Arnaud Grand.
L’association Alve qui compte douze établissements et services espère renouveler l’expérience. Celle-ci va faire l’objet d’une fiche intégrée au répertoire des actions réussies. Reste qu’il ne s’agit pas de reproduire l’initiative à l’identique, relève Éric Merminod, directeur général, car « rien ne se fait sans la participation et l’impulsion des personnes ».

 

Noémie Colomb. Photos : William Parra

« Tout le monde en est capable ! Pourquoi pas nous ? »

Christian Sadoul, résident de la Maison du Coudray

« Lorsque les éducateurs ont suivi leur formation dans le foyer, nous les avons interpellés : pourquoi pas nous ? J’ai été pompier volontaire entre 1986 et 1988. Ma motivation pour suivre cette formation vient de là. À chaque séance, nous étudions une situation. Par exemple, nous avons appris à nous servir d’un défibrillateur ou à faire un massage cardiaque. Le plus dur est de prendre en charge un nourrisson car il ne faut pas employer la même force et on a vite fait de l’écraser. Nous sommes la preuve que quelqu’un qui souffre de handicap psychique peut apprendre les gestes de premiers secours. Tout le monde en est capable ! »

 

En chiffres

• 20 résidents : 18 permanents et 2 en accueil temporaire
• Équipe : 18 équivalents temps plein (ETP), dont 2 éducateurs spécialisés, 2 moniteurs éducateurs, 2 animateurs socio-éducatifs, 6 veilleurs de nuit et 1 infirmière détachée du centre hospitalier Sud Francilien
• Budget 2016 : 1,3 million d’euros

 

Contact

01 83 35 07 40

Publié dans le magazine Direction[s] N° 149 - janvier 2017






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