Dans la salle de réunion du siège de l'association CeCler, installé dans un ancien immeuble de logements sociaux en périphérie de Clermont-Ferrand, ils sont huit autour de la table. Des demandeurs d'asile et des personnes en rupture sociale ou familiale, participants réguliers à l'atelier emploi organisé chaque semaine par Ghislaine Gérard, conseillère en insertion professionnelle. À ses côtés, Muriel Radal, directrice du cabinet conseil LV Talents. Ce lundi matin de décembre, elle est venue proposer au groupe de tester le programme Lego Serious Play, qu'elle souhaite mettre en œuvre sur plusieurs séances.
Cette méthode s'appuie sur la construction d'éléments avec des briques, des personnages et des accessoires Lego, suivie d'un échange autour des réalisations de chacun. « C'est un moyen qui peut permettre à des personnes, qu'elles soient en rupture ou qu'elles aient fui leur pays et doivent faire le deuil de leur vie et de leur métier d'avant, de mettre plus facilement des mots sur leur parcours, leur expérience et leur projet professionnel », explique un peu plus tard la formatrice. Passé l'étonnement, chacun se lance. Une voiture posée en hauteur signifie « l’envie de devenir mécanicien », un personnage devant un édifice « parce que je voudrais travailler dans le bâtiment », une construction verticale surmontée d’une plateforme « pour voir les autres aspects des choses, si possible le meilleur côté »…
Les réalisations sont parfois parlantes, parfois métaphoriques. Le test a fonctionné et Muriel Radal peut ouvrir son agenda afin de proposer des dates pour de prochaines séances.
Innover malgré un budget contraint
Pour cette formatrice, experte en amélioration de la qualité de vie au travail et en résolution de situations compliquées au sein d’équipes, son intervention bénévole au sein de CeCler, spécialisée dans l'hébergement et l'accompagnement de publics en difficulté, n'est pas une première. « C'est une rencontre avec Olivier Stabat, le président de l'association, qui m'a donné envie d'effectuer des missions au travers du mécénat de compétences », explique Muriel Radal. La première fois qu'elle est venue au siège de Cecler remonte à l'organisation de la dernière journée Portes ouvertes de l'association. « Par le biais de l'approche appréciative, centrée sur les réussites des individus, j'ai préparé durant plusieurs demi-journées les salariés à présenter leur métier au public, notamment leur expérience la plus réussie de l'année », raconte la professionnelle du management, qui fait partie de la quarantaine d'intervenants extérieurs venus partager leur expertise avec les personnels et les résidents. Parmi eux, une majorité de salariés de Michelin, ce qui ne doit rien au hasard. « En 2013, le groupe a initié une démarche d'implication dans la vie locale (IVL), permettant aux collaborateurs de donner jusqu'à 40 heures de travail par an à des associations ou de petites entreprises de leur territoire. Nous avons été la première association à proposer des missions », raconte Olivier Stabat, à la tête de CeCler depuis 13 ans et par ailleurs directeur de l’ingénierie des processus support du groupe Michelin. Une initiative tout bénéfice pour l’association, qui accompagne plus de 4 000 personnes chaque année au travers de ses différents dispositifs : centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), d’urgence nuit, lits halte soins santé (LHSS), centres d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada) et d’orientation (CAO)… Malgré des financements en baisse, elle a permis de réaliser de nombreux projets, depuis l’identification de pistes pour réduire les coûts en matière d’assurance et d’énergie jusqu’à la création d’un nouveau logo et d’un site Internet, en passant par la mise en place d’un chantier d’insertion destiné aux collectivités locales. « Ce n'est pas une démarche naturelle pour les professionnels de notre secteur, remarque Dominique Charmeil, la directrice de CeCler. Pour lever les réticences, nous avons associé les salariés au projet dès son origine, en insistant sur les actions que le mécénat nous permettrait de mener en faveur des personnes accompagnées. »
Un processus bien rodé
C'est sur la thématique de l'insertion professionnelle que l'apport des mécènes a été le plus important. « C'est un domaine sur lequel nous souhaitions renforcer nos actions. Or, dans la formation des travailleurs sociaux, il n'est pas approfondi. De ce fait, pouvoir profiter d'expertises extérieures, mais aussi avoir la possibilité d'être formés par les mécènes à des méthodes nouvelles, s'est vite imposé comme une opportunité d'améliorer le soutien apporté aux résidents », explique Pierre Brun, chef de service éducatif. Par exemple, un responsable du pilotage de la reconversion des cadres est venu former des professionnels de l'association à ses propres techniques en la matière. « Une méthode qui s'adapte notamment aux besoins de réfugiés qui doivent valoriser leurs acquis et leur savoir-faire dans un pays étranger, et à laquelle nous n'aurions jamais eu accès autrement. Idem lorsqu'une coach a proposé des séances individuelles destinées à renforcer l'estime de soi », remarque Pierre Brun.
Des projets coconstruits
« Au départ, j'avais des interrogations, reconnaît de son côté Ghislaine Gérard. Mais elles ont vite disparu parce que les interventions se déroulent en étroite collaboration avec les salariés et que chacun respecte le périmètre de l'autre. Et, étant chargée de donner des conseils en matière d'insertion, c'est un moyen de rester en lien étroit avec la réalité du monde de l'entreprise et les attentes des employeurs. Par ailleurs, ces intervenants, parce que ce sont souvent des cadres de haut niveau, sont écoutés avec une attention particulière par les résidents, leur propos contribuant à renforcer mes propres conseils. »
Pour Pierre Brun, ces missions ont d'autres vertus : « Ce travail conjoint avec des interlocuteurs extérieurs au secteur nous oblige à prendre du recul et à réfléchir à nos pratiques, ne serait-ce que pour les expliquer de manière claire à des personnes évoluant dans un tout autre univers ».
Désormais, la mécanique est bien rodée. Lorsqu'un service de l'association identifie un besoin auquel il ne peut pas répondre ou un projet qu'il ne peut pas monter faute de savoir-faire, une proposition de mission est rédigée, afin de faire appel aux compétences d'un mécène. « En général, l'intitulé n'est pas trop précis. En rencontrant des professionnels susceptibles de nous aider, il n'est pas rare que le projet initial soit amendé », constate Pierre Brun. « Le plus souvent, il y a coconstruction », confirme Dominique Charmeil.
L'accueil est également un élément primordial. « Il passe par une présentation des activités de CeCler et de l'équipe. Parfois, il faut lever les craintes des intervenants de haut niveau qui, ne connaissant pas notre secteur, craignent de ne rien pouvoir nous apporter », note la directrice. Ensuite, durant le temps de la mission, le chef du service concerné est chargé de coordonner la réalisation du projet et de faire le lien avec l'entreprise. Tout est alors question d'adaptation. « Nous n'achetons pas une prestation, nous devons offrir de la souplesse aux mécènes en tenant compte de leurs contraintes, notamment en termes de délais », souligne Olivier Stabat. Une démarche que l'association maîtrise si bien qu'elle accompagne d'autres structures en quête de mécènes de compétences.
Jean-Marc Engelhard. Photos : William Parra
« Une expérience enrichissante à rééditer »
Françoise Ventézou, chargée de communication au sein du groupe Michelin
« J'ai participé à la création du site Internet et du nouveau logo de l'association CeCler. Il s'agissait de ma première implication dans le monde associatif en tant que bénévole. Je trouvais intéressant de partager des compétences que j'utilise tous les jours dans mon activité professionnelle. J'ai découvert un autre univers, rencontré des interlocuteurs très impliqués. J'ai aussi croisé des personnes accueillies qui, malgré un parcours de vie difficile, font preuve d'énergie et conservent l'envie d'avancer. C'est une expérience enrichissante qui m’a permis de porter un autre regard sur les difficultés du quotidien. Sans la démarche d'implication dans la vie locale (IVL) mise en place par le groupe Michelin, je n'aurais peut-être pas franchi le pas : non par manque d'envie, mais parce qu'il n'est pas évident de cerner soi-même de quelle manière on peut apporter une aide efficace à une association. C'est une expérience que je n’hésiterai pas à renouveler. »
En chiffres
• 577 places (dont 200 réservées aux demandeurs d'asile)
• 90 salariés
• Budget annuel : 6 millions d'euros (financement par la direction départementale de la cohésion sociale – DDCS, l'agence régionale de santé – ARS et le conseil départemental pour les mineurs isolés).
• 40 missions effectuées par des mécènes de compétences depuis 2015
Contact
04 73 25 65 25
http://cecler.fr
Publié dans le magazine Direction[s] N° 161 - février 2018