Évaluer en urgence la situation d’une victime de violences conjugales et être en mesure de l’orienter, de jour comme de nuit, vers un hébergement sécurisé : tel est le dispositif porté par l’association rhodanienne Viffil SOS Femmes. Ce, en coopération avec un vaste réseau de partenaires, depuis le Parquet jusqu’à la préfecture du Rhône, en passant par les services de police et de gendarmerie ainsi que des gestionnaires du champ de l’hébergement. À l’origine de la démarche, déployée depuis juillet 2018 ? La difficulté récurrente à mobiliser des solutions adéquates pour ces femmes, dans un contexte de quasi saturation du parc d’hébergement du département. « Seules 200 places sont destinées à ces victimes sur l’ensemble du Rhône, ce qui est insuffisant pour couvrir les besoins, soulève ainsi Virginie Sanz, déléguée départementale aux droits des femmes à la préfecture du Rhône. Les nuitées hôtelières sont donc souvent le seul recours, mais elles sont loin de constituer une solution adaptée, faute d’accompagnement social. »
Une astreinte téléphonique 24 heures sur 24
Autre problématique majeure, cette fois pointée par les forces de l’ordre : celle de l’accueil des personnes en commissariat ou en gendarmerie. « La majorité de nos agents ne traitent pas de cas de violences conjugales au quotidien, rappelle l’adjudante Karine Bonnefond, responsable de la brigade de protection des familles à la gendarmerie du Rhône. Par conséquent, le risque de commettre une erreur d’appréciation est réel. »
Pour y remédier, le dispositif conçu par Viffil SOS Femmes repose d’abord sur une astreinte téléphonique, sous la forme d’un numéro unique et accessible 24 heures sur 24 à l’ensemble des services de police et de gendarmerie du Rhône. À l’autre bout du fil, un travailleur social de l'association. « L’officier qui nous contacte nous passe la victime soit directement, soit après nous avoir décrit succinctement son cas, détaille Ella, l’une des professionnelles en charge de l’astreinte [1]. Afin d’évaluer la situation de la femme, nous lui posons une série de questions, concernant notamment le type de violences subies, la durée de la relation, la présence d’enfants, mais aussi d’éventuels antécédents criminels ou la détention d’armes par le conjoint violent. Nous cherchons également à savoir si elle a de la famille chez laquelle elle peut trouver refuge. » Pour l’adjudante Karine Bonnefond, le bénéfice de cette astreinte est immédiat, tant pour les victimes que pour les forces de l’ordre : « Beaucoup de femmes se présentent au poste dans un état de tension extrême : pouvoir s’entretenir avec un travailleur social les apaise. Du côté des agents, la possibilité de joindre à tout moment ce dernier s’avère aussi très rassurante. »
Une continuité dans l’accompagnement
Si, au vu des réponses recueillies, le professionnel estime nécessaire une mise à l’abri immédiate, il communique alors à l’officier de police ou de gendarmerie l’adresse d’un lieu d’hébergement. La personne est ensuite accompagnée sur place par un équipage de police ou en taxi. Avant de raccrocher, le travailleur social aura pris soin de convenir d’un rendez-vous rapide avec la victime dans les locaux de l'association. « Avant l’existence de ce dispositif, nos agents distribuaient à ces femmes une plaquette d’information comprenant des coordonnées d’associations d’aide aux victimes de violences conjugales. Mais peu faisaient la démarche de les contacter, se souvient la gendarme Karine Bonnefond. Désormais, elles se sentent engagées à l’égard du travailleur social et honorent la plupart du temps le rendez-vous. » « Cette mise en relation précoce, dès le moment même où elles se présentent au poste, permet une continuité de l’accompagnement, précise Céline Josserand, directrice adjointe de Viffil SOS Femmes. Ainsi, même si la victime retire sa plainte, nous pouvons continuer à la suivre. »
Les professionnels des CHRS en relais
Pour la mise à l’abri, les associations Lahso et Acolea ont mis chacune à disposition, avec l’accord de la Direction départementale de la cohésion sociale (DDCS), un appartement au sein de leur centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS). Une solution plus qualitative que l’hôtel, offrant un cadre protecteur et adapté aux femmes avec enfants (lire l’encadré). En lien avec Viffil SOS Femmes, les équipes socio-éducatives de ces structures se tiennent prêtes à ces accueils d’urgence, comme l’explique Laurie Charvet, éducatrice spécialisée au CHRS La Croisée, géré par Acolea : « Afin de préparer au mieux l’arrivée, nous avons un contact téléphonique avec le travailleur social d’astreinte de Viffil, qui nous communique les informations nécessaires – par exemple, un état traumatique, la présence d’enfants et leur nombre, le cas échéant. » Prévue pour cinq nuits, cette mise à l’abri représente pour les femmes accueillies une réelle occasion de « se poser », a pu constater Messaouda Soltani, technicienne de l’intervention sociale et familiale au CHRS La Charade, géré par Lahso : « Ces quelques jours ici leur permettent en général de trouver un peu d’apaisement et d’entamer une réflexion sur la suite de leur parcours. Dans certains cas, cela peut déclencher la décision de se séparer définitivement du conjoint violent. »
Le temps de se (re)trouver
Dans les premiers temps, cet accueil d’urgence a pu susciter des interrogations au sein des équipes socio-éducatives des CHRS, plutôt habituées à accompagner des familles au long cours. « Il a fallu accepter l’idée que nous ne sommes qu’un maillon, une étape dans le parcours de ces femmes », pointe Gérard Rongier, directeur général de Lahso. « L’incidence de cet accueil sur les femmes hébergées à plus long terme nous a également questionnés, témoigne Laurie Charvet, d’Acolea. Car, même si elles n’ont pas été orientées vers notre structure au motif de violences intrafamiliales, la plupart d’entre elles en ont en réalité subies au cours de leur vie. Si bien qu’au départ, des résidentes tendaient à adopter une posture de sauveuses, à surinvestir la relation avec la victime accueillie en urgence. Il a donc fallu faire preuve de pédagogie afin de trouver le bon équilibre. »
À l’issue des cinq jours de mise à l’abri, la victime pourra être réorientée soit vers l’hôtel, soit vers le domicile conjugal après éviction du conjoint. « C’est pourquoi ces cinq jours sont précieux car, si les faits sont établis, la décision d’attribution du domicile conjugal peut intervenir dans ce délai par la voie pénale », relève Karine Malara, procureure adjointe de la République au Parquet de Lyon.
Le dispositif, qui a débuté avec deux appartements dans l’agglomération lyonnaise, peut, depuis janvier 2020, s’appuyer sur deux logements supplémentaires, un cinquième devant être mobilisé prochainement dans le nord du département. Une expansion dont se réjouit la directrice de Viffil SOS Femmes, Élisabeth Liotard, qui souhaiterait également aller plus loin dans la durée de mise à l’abri : « L’idéal serait de la porter à dix jours, ce qui donnerait plus de temps à ces femmes pour engager un parcours de sortie des violences. »
[1] Par mesure de sécurité, la direction de l’association a souhaité que les patronymes des employés affectés à l’astreinte téléphonique ne soient pas cités.
Justine Canonne - Photos : Mathieu Cugnot
« Un cadre collectif sécurisé, une équipe attentive »
Fabrice Jacquot, chef de service de la crèche et du CHRS La Charade (Lahso)
« L’un des 19 appartements de notre CHRS pour femmes et enfants est réservé au dispositif d’urgence pour les victimes de violences conjugales. Ce T2 peut accueillir à tout moment une femme avec ses enfants, la chambre pouvant compter jusqu’à quatre lits superposés. Une réserve alimentaire est prévue dans la cuisine de l’appartement, ce qui est particulièrement utile en cas d’arrivée nocturne. Si la femme accueillie ne dispose pas de ressources financières, un montant journalier, variable selon la composition familiale, peut lui être alloué. Notre crèche voisine peut en outre assurer la garde des enfants lorsque la mère doit se rendre à des rendez-vous dans le cadre de démarches socio-judiciaires. Notre équipe se tient à l’écoute et s’enquiert quotidiennement des besoins de ces familles. Beaucoup de ces femmes, arrivant très éprouvées, disent apprécier cet accueil soutenant, dans un cadre collectif et sécurisé. »
En chiffres
- 263 sollicitations du dispositif depuis son lancement en juillet 2018, dont 180 en 2019.
- 83 femmes et 94 enfants mis en sécurité, dont 58 femmeset 57 enfants en 2019.
- 6 travailleurs sociaux de Viffil SOS Femmes affectés à l’astreinte téléphonique.
- 4 hébergements réservés par les associations Lahso, Acolea et la Fondation AJD.
- Budget 2019 du dispositif : 80 000 euros, financé en majorité par la Direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS), ainsi que par la Direction régionale aux droits des femmes et à l’égalité (DRDFE) et le ministère de la Justice.
Publié dans le magazine Direction[s] N° 183 - février 2020