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Reportage
Un filet de sécurité pour locataires en difficulté

01/04/2020

Fontenay-le-Fleury (Yvelines). Rencontrer un public invisible, qui a échappé à tous les radars, et lui éviter l’expulsion : c’est la mission de l’Équipe mobile passerelle. Elle propose un accompagnement social et médico-social à des locataires en souffrance psychique et en difficultés psychosociales suite au signalement des bailleurs.

Au troisième et dernier étage d’un immeuble résidentiel des Yvelines, une tête passe à travers l’entrebâillement de la porte. Jacques Guérin guette notre arrivée. Le balai est encore dans l’eau mousseuse du seau sur le palier extérieur, où s’entassent pêle-mêle des meubles et des boîtes de rangement. Comme il s’y était engagé, il a nettoyé son studio et même jeté quelques affaires pour la visite de Gwenn Marhina, travailleuse sociale et coordinatrice de l’Équipe mobile Passerelle (EMP), pilotée par l’Œuvre Falret. C’est elle qui assure, depuis un an, l’accompagnement de celui qu’elle surnomme affectueusement « Monsieur Nutella® ». Clin d’œil aux nombreux pots de pâte à tartiner qui trônent sur la toile cirée et dont il dit se nourrir quasi exclusivement.

« Sans elle, je serais une fois encore à la rue »

« Elle a réussi un tour de magie, affirme l’homme à la barbe poivre et sel, jogging et crocs aux pieds. Je suis un poissard, mais là j’ai eu de la chance ! Sans elle, je me serais retrouvé encore une fois à la rue. » Que lui a apporté cette aide à raison de deux visites mensuelles ? « Moins de stress. » Jacques Guérin accumulait les affaires, mais aussi les dettes. Jusqu’à 10 000 euros à l’arrivée de Gwenn Marhina. « On a commencé par ouvrir le courrier… J’ai découvert trop tard l’arrêt des aides, les mises en demeure, les poursuites… Aujourd’hui, tout est remis en place et j’ai appris à trier le courrier par année et catégorie », explique-t-il fièrement en tournant les pages de son classeur bleu.

À chaque visite de la conseillère, il fait le point sur l’administratif, puis sur les objectifs à tenir détaillés sur une fiche action. Notamment la longue liste des objets dont il doit se débarrasser : « C’est le plus dur. Je sais que c’est pour mon bien, mais j’ai du mal. Au début, on a jeté des sacs et des sacs… » « C’est ma deuxième casquette : déménageuse ! », sourit la coordonnatrice.

Prévenir le repli sur soi

Des locataires comme Jacques Guérin, l’Équipe mobile Passerelle en suit une trentaine en permanence. Un dispositif, fruit d’un partenariat entre l’Œuvre Falret, spécialisée dans la santé mentale, le Réseau de promotion pour la santé mentale dans les Yvelines Sud et un bailleur, Les Résidences Yvelines Essonne. « Un besoin se faisait sentir sur le maintien dans le logement de locataires en difficulté pour qui la seule solution était la procédure d’expulsion », expose Beate Münster, directrice de l’EMP. L’idée d’un accompagnement en amont, sur le signalement du bailleur, était née.

Elle se concrétise pour une première phase expérimentale de trois ans en 2016 grâce à un appel à projets de l’Union sociale pour l’habitat (USH). « Nous avons construit le modèle en avançant, mais dès la première année, nous avons vu la plus-value : entrer en contact avec des personnes dont la situation s’était enlisée depuis dix voire quinze ans, relate Laurent Sallé, chef de service. Ce sont des personnes en apparence fermées. Elles n’ouvrent plus leur porte, ne répondent plus au courrier. Ce n’est pas un refus, mais un repli sur soi. Elles ne sont même plus en capacité de demander de l’aide. » Parmi elles, beaucoup de locataires souffrant du syndrome de Diogène (75 % ont une pathologie mentale) et de personnes âgées.

D’abord, un état des lieux

Si les équipes mobiles fleurissent ces dernières années dans le secteur médico-social, le chef de service défend sa particularité. « Peu d’entre elles disposent de cette double entrée “social” et “soin” qui permet de réinscrire les locataires dans un parcours. » Au côté des travailleurs sociaux (lire l’encadré), l’EMP compte aussi une infirmière et une psychologue en détachement. « Ces professionnelles du sanitaire sont indispensables pour réactiver les projets. Elles ont un pied dans l’équipe, mais aussi la connaissance du territoire et donc les clés pour accélérer les prises en charge. »

En ce lundi de février, toutes sont attablées dans la cuisine de l’association. Autour d’un café, les conseillères sociales du bailleur font part des nouvelles situations problématiques repérées sur le terrain. « C’est à travers un impayé ou l’adaptation d’un logement qu’on se rend compte de difficultés. Nous ne sommes pas psychologues. Nous ne faisons qu’avoir des impressions : le  logement est encombré, la personne dit entendre des voix… », témoigne l’une d’entre elles. L’alerte peut être donnée par un gardien, un voisin, la famille, un tuteur… Et chaque dossier n’entraîne pas toujours une intervention. « Ce premier échange avec les conseillères nous permet de faire un état des lieux des aides disponibles, de voir si la personne peut prendre contact avec une assistante sociale ou un rendez-vous médical… », expose Gaëlle Piedagnel, la psychologue.

« Ne pas lâcher ! »

Si l’équipe mobile décide d’intervenir, un plan d’actions est établi. « La famille est-elle sollicitable ? La personne ouvrira-t-elle la porte ? En fonction de ces paramètres, on détermine ce qui semble le plus opportun pour la rencontrer : le bureau du bailleur, à domicile, sur le palier… », poursuit la psychologue. « Mais ce peut être aussi le parking, le jardin… On a tout fait et parfois c’est un peu baroque ! », ajoute Gwenn Marhina, dans un éclat de rire général. Deux mots d’ordre : être créatif et ne pas lâcher ! « C’est la force du dispositif : il faut être un bouledogue, s’accrocher pour rencontrer ce public invisible qui a échappé à tous les radars. »

Une fois le contact établi, le suivi (sept à huit mois en moyenne) peut démarrer. Au menu : accompagnement budgétaire, réorganisation du logement, accompagnement vers d’autres services (bibliothèque, poste…), mais aussi désencombrement et nettoyage… « Nous avons déjà fait des rendez-vous assis sur des sacs-poubelles dans un appartement où le ménage n’avait pas été fait depuis de longs mois… Il faut avoir le cœur bien accroché ! Mais c’est aussi ce qui est intéressant : on ne sait jamais ce que l’on va trouver derrière la porte, s’il va nous falloir retrousser nos manches », raconte Gwenn Marhina. Parfois, la gravité de la situation peut nécessiter une hospitalisation directe. « On a sauvé des vies sans le savoir », se remémore une autre conseillère sociale, sous le regard approbateur de l’équipe.

« Notre objectif est de donner le goût de faire des choses de droit commun. On remobilise la personne, puis les dispositifs en signalant nos éléments d’inquiétude aux professionnels pour relancer la machine », détaille la Gaëlle Piedagnel. Le travail de l’EMP se termine quand les intervenants extérieurs, comme l’assistant social du territoire, sont identifiés et mobilisés. Et que les principales difficultés sont passées : paiement du loyer réactivé, dossier de surendettement réglé… « En clair, quand nous sommes rassurées », résume Valérie Hardy, l’infirmière.

Ce suivi temporaire nécessite pour les professionnels la mise en place de lieux d’échange et de recul. « Il y a un risque : le face-à-face avec le locataire peut parfois créer un effet miroir. Il faut s’impliquer sans trop donner, car la mission d’accompagnement ne dure pas », souligne Beate Münster. Pour aider les membres de l’EMP, un psychiatre participe au comité de pilotage du dispositif et une réunion mensuelle est organisée pour analyser les situations les plus complexes.

Un management particulier

Un point de vigilance pour l’équipe de direction auquel s’ajoute une posture managériale particulière. « Nous accompagnons des professionnels sans lien hiérarchique, cela implique de la subtilité pour les faire adhérer, créer une vraie identité entre des acteurs qui viennent chacun de leur secteur avec des cultures différents », explique la directrice. « L’institution, ce n’est pas que les murs d’un établissement. Ce sont aussi toutes les valeurs et les équipes qui font tenir la structure. Qu’est ce qui fait cadre pour les professionnels ? »

L’équipe de direction doit ainsi gérer des emplois du temps différents, faire preuve d’adaptabilité et affronter les inquiétudes sur la pérennité du dispositif. « Il faut un management très attentif, et partager sur les enjeux de l’organisation. On ne sait pas de quoi demain sera fait. À l’image du parapluie : les professionnels doivent avoir la tête au sec, mais aussi les pieds dans l’eau », confie Beate Münster.

« On a failli mettre la clé sous la porte »

Car assurer le maintien du dispositif reste l’enjeu majeur pour l’équipe mobile qui a failli mettre la clé sous la porte en mars 2019. « Nous avons répondu à un nouvel appel à projets, mais l’enveloppe de 60 000 euros reste insuffisante ne serait-ce que pour poursuivre l’activité. Nous avons recours à du mécénat et demandé des subventions au titre de la politique de la Ville », détaille la directrice. D’autant que l’équipe souhaiterait recruter un professionnel du sanitaire à temps plein et étendre l’activité dans le nord du département. « Nous voulons dupliquer notre dispositif qui a fait ses preuves, mais en l’adaptant aux réalités différentes du terrain où il y a une forte demande des bailleurs. »

Des bailleurs que l’EMP tente de séduire pour faire gonfler ses finances. « Nous leur avons proposé une offre commerciale avec un coût à l’accompagnement d’un an, explique Laurent Sallé. Mais cela pose toute la question de notre modèle. Nous ne nous sommes pas positionnés comme un acteur de terrain, mais un partenaire. Faut-il changer la logique pour garantir notre survie ? La question est toujours en réflexion… »

Loin de ces enjeux, Jacques Guérin, qui a retrouvé le sourire, fait le bilan avec Gwenn Marhina, la coordinatrice. Son accompagnement annuel touche à sa fin et un relais avec une association s’organise. Confiant pour la suite, le ton est taquin : « Ah si on pouvait rester des années ensemble, on était bien… »

Laura Taillandier. Photos : Christophe Boulze

"Si le locataire ferme la porte, l'équipe mobile passe par la fenêtre !"

Léa Pandelé, responsable du service Développement social, bailleur 1001 Vies Habitat

« Nous avons l’obligation d’assurer la jouissance paisible des logements. En cas de problèmes avec un locataire, s’il souffre d’un syndrome de Diogène, il peut y avoir des répercussions sur le voisinage. Nos cinq conseillères en économie sociale familiale (CESF) n’ont pas la compétence pour gérer ces cas. Ce ne sont ni des médecins, ni des psychologues. Il y avait un chaînon manquant et c’est l’équipe mobile : si le locataire ferme la porte, elle passe par la fenêtre ! Elle a une meilleure connaissance de l’environnement social et médical, et des entrées que les CESF n’ont pas. La seule autre solution serait l’expulsion, alors que notre rôle est au contraire de maintenir ces personnes dans leur logement. La convention nous engage pour un accompagnement de trois personnes en file active pour 15 000 euros (5 000 euros par suivi) et la sensibilisation des gardiens, notre premier relais. Il est important qu’ils soient bienveillants pour ne pas rompre le contact avec le locataire. Il est encore trop tôt pour dire si l’on s’y retrouve financièrement. C’est d’ailleurs une question que se posent les bailleurs : est-ce notre rôle d’assurer cet investissement ? Nous, nous avons décidé que oui ! »

En chiffres

  • Équipe : 1 directrice de pôle et 1chef de service, 1,5 équivalent temps plein (ETP) de travailleur social et 0,6 ETP de profils sanitaires (1 infirmière et 1 psychologue détachée).
  • 38 ménages suivis en 2018 en file active, dont 76 % de personnes vivant seules.
  • 80 % des locataires sont en inactivité porfessionnelle (retraite ou sans emploi).
  • Sur 35 mesures d’expulsion, 25 ont pu être évitées entre 2016 à 2019.

Contact

06 85 99 19 16

Publié dans le magazine Direction[s] N° 185 - avril 2020






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