I. Conçois ton prochain quotidien comme un microcosme où interagiront résidents, familles, direction, équipes. La taille du microcosme variera mais pas ses caractéristiques : la moindre accroche chez l’une des parties pourra déstabiliser l’ensemble, la moindre joie pourra se propager. Le cercle pourra être vicieux ou vertueux, à toi d’essayer d’influencer sa course.
II. Intègre un écosystème requérant, pour vivre impulsion, sérénité et sécurité en justes doses.
III. Apprends à quitter, chaque soir, un lieu qui continue à respirer, qu’on n’éteint pas jusqu’au matin, une maison qui vit sans toi, où on travaille sans toi. Apprends à envisager ton établissement tout à la fois comme un lieu de travail pour les équipes, un lieu de vie souvent contraint pour les résidents, un lieu de soulagement coupable pour les familles. Attache-toi à résoudre l’équation.
IV. Apprends à dormir avec les angoisses d’une gestion sur le fil et d’événements indésirables. Apprends à manquer d’effectifs, à adopter des modes dégradés mais ne t’en satisfais pas, ne t’y habitue pas.
V. Supporte l’intranquillité des tensions multiples et multiformes, allant des principes à la personne, du général au particulier, de l’existentiel à l’anodin : la liberté contre la sécurité, l’égalité contre l’équité, l’étage 1 contre l’étage 2, l’équipe de jour contre celle de nuit. N’en néglige aucune, mais n’y perds pas ton cap, priorise-les, et ordonne-les vers ce qui fait sens. Garde la patience d’essayer de les dénouer, garde la modestie de ne pas promettre y arriver.
VI. Accepte les choix difficiles, les désaccords, les moments de solitude, mais n’y sombre pas.
VII. Assume tes responsabilités, prends des décisions quand il le faut et après la réflexion qu’il faut. Respecte le temps de l’hésitation jusqu’à la prise de décision, puis clôture ce temps. Cherche une cohérence, une constance, sans t’enfermer dans tes convictions. Accepte qu’elles puissent évoluer sans qu’il s’agisse d’un renoncement, accepte d’apprendre de tes expériences.
VIII. Reconnais tes erreurs, ose les énoncer, les analyser et les partager. Sème des graines d’humilité et de transparence autour de toi.
IX. Engage-toi pleinement dans ton travail mais ne va pas te croire, ni te rendre, indispensable et irremplaçable. Apprends à bien t’entourer, à faire confiance.
X. Conçois d’avoir à traiter plusieurs priorités de front, dans la semaine, dans l’heure. Conçois que ta journée de demain pourrait ne pas ressembler à ce que tu avais prévu, que des urgences pourront s’y greffer. Mais ne te laisse pas dépasser par les événements.
XI. Conçois de devoir aller vite mais de garder ton calme. Conçois de ne pas pouvoir atteindre la perfection, et de devoir réviser tes ambitions, sans renoncer à l’essentiel. Développe un pragmatisme éclairé.
XII. Ne joue pas de ton autorité, ne la décrète pas. Construis-la, légitime-la.
XIII. Savoure les rencontres, les moments de grâce, les sourires qu’abrite ton établissement. Prends des photos. Ne fuis pas les moments de peine, les scènes difficilement soutenables. Ne retiens pas l’émotion si elle t’envahit mais digère-la, retombe sur tes pieds. Fais-toi aider si besoin. Touche l’humain sans t’y perdre.
XIV. Discerne quand ton intervention est nécessaire, quand ta parole est attendue, quand elle porte un symbole. Ne te défile pas. N’en abuse pas. Discerne quelle est ta place et laisses-en aux autres.
XV. Construis un espace pour les questions délicates, sans réponses évidentes : les mots consentement, dignité, liberté, sécurité, collectivité, respect y tinteront. On pourra l’appeler espace de réflexion éthique pluridisciplinaire ou autrement, l’essentiel sera d’y poser les questions et de chercher, ensemble. Le doute et la modestie y sont bienvenus, les certitudes invitées à se taire.
XVI. Tisse des liens vers l’extérieur, des ouvertures et des appuis – techniques ou opérationnels, financiers ou psychologiques –, des respirations. Ne renferme pas l’établissement sur lui-même. Ne te renferme pas.
XVII. Préserve une plage de temps hebdomadaire pour sortir des urgences quotidiennes, interroger le temps plus long, dessiner des projets, saisir des opportunités, prendre du recul pour avancer.
XVIII. Ne t’enferme pas dans une routine. Sois exigeant avec ce que tu veux apporter, ce que tu veux construire. Ose faire émerger des idées, y compris quand elles ne viennent pas de toi. Inspire-toi d’ailleurs, copie et adapte, personne ne t’en voudra d’appliquer de bonnes idées. Pense la transformation en continu. Fais des travaux.
XIX. Anime tes réunions en n’oubliant pas d’écouter. Fais un tour de table, un vrai.
XX. Parle avec sincérité.
XXI. Fais en sorte de bien nommer, connaître et reconnaître ceux qui t’entourent au jour le jour. Les résidents, les familles les équipes. Une place pour chacun, de l’arrivée au départ. Écoute leur histoire, leur parcours, leurs besoins, leurs prénoms et leurs noms. Accepte le risque de toucher l’intime. Pose les limites qui te semblent nécessaires, dans une distance respectueuse et non dédaigneuse.
XXII. Efforce-toi d’être exemplaire sans perdre ton humanité et ta vie personnelle.
XXIII. Laisse ouverte la porte de ton bureau, sauf exception. Aménage ton bureau en espace chaleureux et accueillant, pour toi, pour ceux qui ont besoin de te parler. Ne l’envisage pas d’abord comme un lieu disciplinaire.
XXIV. Conserve la politesse du sourire et du salut quotidien. N’oublie pas de rester simple.
XXV. Mesure l’importance, pour tes résidents, des petits riens, des petits gestes du quotidien quand ils ne vont pas de soi : des repas, des soins, des moments d’intimité, des activités adaptées, des sorties, des silences et de la parole, une aide pour se lever, une écoute, l’écho d’un prénom. Assure-toi que ces petits gestes soient donnés avec ce qu’il faut de respect et de tendresse.
XXVI. Prends en compte les fragilités des résidents mais ne les infantilise pas. Écoute ce qu’ils ont à te dire. N’ignore pas leurs refus, n’ignore pas leur peine d’être ici.
XXVII. Mets des couleurs sur les murs mais pas de la niaiserie. Mets de la gaieté sans la forcer.
XXVIII. Fais-en sorte que la lumière rentre, fais ouvrir les volets tous les jours, fais-les fermer le soir. Fais rentrer l’actualité dans l’établissement avec délicatesse. Fais-lui toucher l’état du monde mais prends les égards nécessaires, évite la brutalité, l’incompréhension. Instaure le rythme et les rituels d’une maison, d’une famille attentive.
XXIX. Fixe-toi comme objectif d’embarquer tes équipes vers un même but, de transmettre un enthousiasme, mais conçois les résistances, les inerties. Travaille à les minimiser, et reconnais tes limites.
XXX. Construis de quoi féliciter tes équipes, favorise leur engagement et intéresse-toi à leurs réussites. Mets-toi à leur hauteur, adapte tes attentes, ton langage. Ne les enferme ni dans des rôles exigus, ni dans du flou. Fixe des règles et explique-les. Accepte la lenteur du changement, la répétition mais ne te résigne pas à l’immobilité.
XXXI. Comprends certaines situations, tolère certains comportements, certaines négligences et faiblesses, n’en supporte pas d’autres. Choisis tes combats et tes seuils d’acceptabilité. Garde un peu d’humour.
XXXII. Ne te laisse pas détourner de ton action par certaines critiques, mais ne méprise pas les vraies blessures, qu’elles soient envers les résidents, les équipes, ou toi. Prends soin d’eux, d’elles et de toi. Prends le temps de les protéger et de te protéger.
XXXIII. Garde en tête de grands mots qui te serviront de boussoles : dignité, bientraitance, liberté, consentement, équité, participation, sens, engagement. Mais évite de les prononcer si c’est pour ne pas les respecter, si c’est pour en faire de petites choses, ils sont trop exigeants pour supporter cela.
XXXIV. « Le petit métier que tu as appris, aime-le et donne-lui tout ton acquiescement. » (Marc Aurèle, Livre IV, XXXI)
XXXV. (de mon père) : « La mansuétude, et l’inébranlable attachement aux décisions mûrement réfléchies ; l’indifférence pour la vaine gloire de ce qui passe pour être des honneurs ; l’amour du travail et de la persévérance. »(Marc Aurèle, livre I, XVI)
Julie Briand
Carte d'identité
Nom. Julie Briand
Fonction actuelle. Élève directrice d’établissement sanitaire, social et médico-social (D3S) à l'École des hautes études en santé publique (EHESP), à Rennes.
Publié dans le magazine Direction[s] N° 214 - décembre 2022