« Bonjour Rebecca, comment allez-vous ? » Madame Barthélémy accueille son aide à domicile sur le pas de porte de sa maison, en cette matinée ensoleillée de fin d’automne. La complicité est de mise entre ces deux femmes qui se connaissent depuis un peu plus de quatre ans. Habitante du village de Chivres-Val, à quelques kilomètres de Soissons, elle reçoit chaque jour, en milieu de matinée, la visite d’une salariée de l’association Aid’Aisne. Au programme de cette heure d’intervention, l’entretien courant du domicile et une aide à la préparation des repas. Mais le moment préféré de cette sémillante nonagénaire, c’est l’incontournable partie de Diamino, mixant dominos et jeu de lettres, qui se déroule traditionnellement autour de la table de la cuisine.
« Avec mes problèmes de vue, je ne peux plus lire. Ce jeu entretient mes méninges », confie Madame Barthélémy qui, chaque jour, guette l’arrivée de son aide à domicile. « Il n’y a jamais de contretemps, si Rebecca ne peut pas venir, c’est Aurélie, je sais qu’elles font des réunions, qu’elles s’arrangent entre elles et qu’il y en a toujours une qui sera là », explique-t-elle, avant de glisser malicieusement : « Pas comme l’infirmière qui devait passer ce matin pour mon vaccin contre la grippe et qui n’est toujours pas arrivée... »
Un esprit d’équipe désormais installé
Cette régularité des interventions doit sans doute beaucoup à l’organisation en équipes autonomes progressivement mise en place par Aid’Aisne depuis 2018. Dans l’équipe à laquelle appartient Rebecca Osienski, elle est de mise depuis un peu plus d’un an. « Nos réunions hebdomadaires nous donnent l’occasion de nous organiser mais aussi de nous libérer des situations compliquées et de partager des solutions. Et on apprend beaucoup aussi. J’essaie de changer ma manière de communiquer car je suis parfois trop directe avec mes collègues et mes réflexions peuvent être mal interprétées », confie l’aide à domicile. Un peu plus tard, en début d’après-midi, on retrouve cette dernière dans une salle de la mairie de Vailly-sur-Aisne, pour la réunion d’équipe animée par Claire Da Silva, la responsable d’équipes autonomes, et Amélie Lalu, la coordinatrice de parcours. « La transition vers les équipes autonomes n’est pas toujours simple, les aides à domicile ayant l’habitude de travailler en solo. Mais en avançant pas à pas, au rythme de chacune des équipes, les résultats sont là. Elles passent de moins en moins de temps sur les plannings, trouvent rapidement des solutions en cas d’absence », souligne Claire Da Silva. « On peut se concentrer sur des choses plus intéressantes, comme l’organisation d’une journée à la mer avec les bénéficiaires que nous sommes en train de mettre sur pied », complète Amélie Lalu. Après une discussion informelle autour d’un café, les échanges se concentrent sur l’élaboration des tournées de la semaine suivante, avant un passage en revue des situations complexes.
Porte-voix de l’association
Des échanges qui contribuent à donner davantage de sens à leur activité. « Avant, je travaillais chez un concurrent, je changeais de bénéficiaires tous les jours. Ici, j’interviens toujours sur le même secteur géographique, chez les mêmes personnes, je connais leurs habitudes et leurs besoins et je peux en parler avec mes collègues qui prennent le relais le week-end. C’est vraiment un travail d’équipe », explique Julien Osienski. Ce que le seul homme de l’équipe apprécie aussi, c’est la possibilité de prendre des initiatives : « Je fais partie de l’équipe des Ambassadeurs de l’association. Nous avons carte blanche pour faire connaître Aid’Aisne en tant qu’employeur. Par exemple, nous avons décidé d’organiser des portes ouvertes et de créer un site internet avec des vidéos témoignant de notre travail ».
Faciliter le partage des compétences
Chez Aid’Aisne, la mise en place des équipes autonomes n’est qu’une des briques d’un projet plus vaste, presque une révolution, justement baptisé « Rêve-évolution ». « Cette transformation managériale en cours depuis 2018 a pour but de donner davantage de pouvoir d’agir aux salariés. Il a aussi vocation à améliorer la prévention santé et la qualité de vie au travail », explique Dominique Villa, le directeur général qui se voit davantage comme un « capitaine de vaisseau ». En ligne de mire, une amélioration continue du service rendu, mais aussi une meilleure attractivité d’un métier qui peine à susciter des vocations. Ainsi, un ergonome a été embauché afin de former des acteurs prévention secours du secteur de l’aide et du soin à domicile (APS ASD). « Ils sont désormais nos référents chargés de diffuser les bonnes pratiques en matière de santé au travail », précise Dominique Villa.
Ateliers fitness, nutrition, sophrologie…
Un centre de ressources positives, baptisé « CR+++ », a également été lancé. « Il s’agit d’un catalogue de ressources basées sur les compétences et expertises des salariés, professionnelles ou personnelles, mises à la disposition de tous », indique-t-il. Responsable des parcours professionnels, Peggy Fery, animatrice en fitness dans une autre vie, a ainsi proposé des activités physiques et des séances de marche. Élodie Lanez, responsable du pôle Autonomie et Prévention, a, elle, organisé des séances individualisée de sensibilisation à la nutrition. « Les aides à domicile mangent souvent sur le pouce, pas toujours de manière très équilibrée », souligne-t-elle. Elle a aussi partagé son expérience de professeur des écoles, en proposant aux salariés intéressés des ateliers sur l’aide aux devoirs. Quant à la directrice des services, Caroline Leloir, elle fait bénéficier les équipes de son certificat professionnel en sophrologie en organisant des séances collectives à la demande. « D’abord en direction des fonction ressources, avant de le proposer aux équipes d’intervention en 2023 », précise-t-elle. Quant au responsable du pôle Développement durable, Solaya Douti Mama, il anime des ateliers de communication non violente. « C’est gratuit, ouvert à tous et destiné à améliorer le quotidien des salariés. Mais il a fallu du temps pour qu’ils osent demander à en bénéficier. Il en faudra encore plus pour que les professionnels de terrain se sentent prêts à proposer de partager leurs propres compétences », remarque Élodie Lanez.
Renforcer le pouvoir d'agir
Dans un métier où les professionnels sont souvent isolés, l’accent a aussi été mis sur des actions conviviales destinées à faire émerger de la cohésion et à renforcer le sentiment d’appartenance. « Elles ont pour but de mettre à distance les relations hiérarchiques, de créer du lien entre les fonctions support et le terrain et, de manière plus générale, de donner l’occasion au personnel de partager des moments de détente et de plaisir », explique Silvie Legrave. Depuis 2021, cette assistante de direction est également la « fée vitaminée » du site d’Aid’Aisne à Soissons ou, dit autrement, responsable de la convivialité. Concours de selfies pour le 14 juillet, création d’un groupe de musique composé de salariés pour la Fête de la musique, concours de banderoles à l’occasion d’Octobre rose, journée mensuelle de troc où le personnel s’échange tout ce dont il ne se sert plus… Autant d’occasion pour apprendre à mieux se connaître et à nouer des relations sur un mode décontracté.
Une démarche globale de transformation dont les effets sont notables puisque l’absentéisme court a été divisé par deux, l’accidentologie diminué de 30 % et le turn-over chuté de 70 % entre 2018 et 2021. En prime, le nombre d’appel liés aux dysfonctionnements a baissé de 80 % en trois ans et le taux de réalisation des plans d’aide atteint désormais 98 %. « Le fait que, dans les enquêtes de satisfaction, les bénéficiaires évoquent « leur » équipe d’intervenants, tout comme l’implication des familles dans la vie de l’association constituent des signes très positifs », souligne Dominique Villa. Prochaines étapes pour le « capitaine » ? « Renforcer encore le pouvoir d’agir des salariés et proposer de nouvelles offres pour répondre aux besoins des bénéficiaires. » Ainsi, Aid’Aisne proposera bientôt à ses bénéficiaires, en partenariat avec une start-up française, un assistant vocal spécialement conçu pour les seniors.
[1] Retrouvez le palmarès complet dans les numéros 214 et 215.
Jean-Marc Engelhard - Photos : William Parra
En chiffres
• 270 salariés
• 1 060 personnes accompagnées
• + 23 % d’activité entre 2020 et 2022
• 75 recrutements en 2022
• Budget annuel : 8 millions d’euros
Point de vue
Amandine Duguez, aide à domicile à Aid’Aisne
« Après avoir travaillé 17 ans en institution, dans une maison d’accueil spécialisée et un foyer d’accueil médicalisé, j’ai décidé de bifurquer vers l’aide à domicile. Chez Aid’Aisne, j’ai tout de suite apprécié que les contraintes de mon emploi du temps familial soit prises en compte lors de la constitution des plannings et que les tournées soient pensées en fonction de nos lieux de vie. Au sein de notre équipe, grâce aux réunions hebdomadaires et à nos échanges sur WhatsApp, nous partageons nos problèmes et nos solutions ; nous échangeons des informations sur les personnes accompagnées, ce qui contribue à améliorer la qualité des interventions mais aussi à faciliter notre quotidien. Lorsque j’ai choisi d’aller vers l’aide à domicile, c’était pour avoir une activité plus autonome qu’en établissement. Mais finalement, appartenir à une équipe sur laquelle je peux compter s’avère sécurisant. »
Publié dans le magazine Direction[s] N° 216 - février 2023