Une porte d'entrée vers les métiers de l’animation mais surtout, vers la vie d’adulte. C’est bien celle que viennent d’ouvrir dix-huit jeunes de la section médico-professionnelle (IMPro) de l’institut médico-éducatif (IME) Les Gommiers, situé au sud de la Guadeloupe, à Gourbeyre. Comment ? En se préparant à l’obtention du brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur (Bafa). Un titre qui permet d’encadrer, à titre non professionnel et de façon occasionnelle, d’autres jeunes en accueils collectifs de mineurs, mais aussi de participer à des actions d’animation en Ehpad. Baptisée « Objectif Bafa », cette action est pour Yasmina Bussières, la directrice de l’établissement géré par l’Association départementale pour la sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence (Adsea), « un levier important qui peut permettre aux jeunes de s'insérer, tant socialement que professionnellement ».
Dans le droit commun
Parmi ces jeunes, il y a Malik Nupert, 19 ans, par ailleurs président du conseil de la vie sociale. « Cette préparation au Bafa nous permet de nous retrouver dans la peau de jeunes responsables, explique-t-il avec fierté. Nous essayons de mettre des projets en place, et lorsque je vois le succès d’un tel projet, cela nous encourage tous à poursuivre. »Après la formation au permis piéton, en partenariat avec la gendarmerie nationale, l'accompagnement à l’attestation scolaire de sécurité routière (ASSR2) avec le collège de la commune de Trois-Rivières, et à celle de prévention et secours civique (PSC1) avec les sapeurs-pompiers, « nous faisons un pas de plus en faveur de l’accès à l’autonomie et à la vie citoyenne », ajoute Aude Pharaoh, la cheffe de service de l’IMPro, qui porte Objectif Bafa. Une opération initiée début 2022, là aussi en partenariat : l’équipe bénéficie de l’appui, de l’expérience, du réseau et des ressources de l’association locale des Francs et franches camarades (Francas). Une façon également de s’inscrire dans le droit commun.
En mars 2022, pendant près d’un mois, l’équipe de l’IMPro a d’abord préparé le terrain en s'appuyant sur les modalités d’interventions communiqués par les Francas : présentation de la formation et de ses contenus théoriques aux jeunes en petits groupes, évaluations par des quizz réguliers en utilisant des méthodes de pédagogie différenciée… Le tout couplé avec un travail de responsabilisation pour inscrire les jeunes concernés dans une nouvelle posture : non plus celle de « personnes prises en charge », mais au contraire de « jeunes responsables devant prendre en charge des enfants » ce, en adaptant l’intervention aux particularités de chacun.
Des mises en situation
Après cette première mise en condition, les dix-huit bénéficiaires (tous en externat et venant de l’ensemble de la Guadeloupe) ont suivi un premier stage théorique de base. Une période nécessaire pour envisager les adaptations à apporter aux deux autres stages du cursus (pratique et de perfectionnement). Durant une dizaine de jours, en avril 2022, cette séquence s’est déroulée en internat et en semi-autonomie, dans les locaux de l’IME, sous les regards attentifs de membres de l'équipe, et avec l’intervention de trois formatrices missionnées par les Francas. « Les notions théoriques essentielles ont été abordées : connaissance de l’enfant et de l’adolescent, vie quotidienne et vie de groupe, législation, sécurité, hygiène, santé, rôle et fonctions de l’animateur, les différentes activités et les types de projets avec des mises en situation d’animations », précisent-elles. L’enseignante spécialisée à la retraite, l’éducatrice spécialisée et l’animatrice ont passé en revue tout le contenu prévisionnel du stage. L'ensemble du groupe de jeunes a participé aux différentes séquences, qui duraient jusqu'à quatre heures d’affilée. « Quand on connaît les difficultés que rencontrent souvent les enseignants à les maintenir ne serait-ce que deux heures en classe, on mesure le chemin parcouru et les enseignements à tirer », se satisfait Aude Pharaoh.
Mais ce qui fait surtout la fierté de l’équipe de l’IMPro, c’est que cette première session a été validée pour l’ensemble des dix-huit jeunes, avec les félicitations des formatrices, ouvrant la voie aux deux autres stages nécessaires pour l’obtention du Bafa. Les stages pratiques, effectués à l’été 2022 pour certains et lors des vacances de la Toussaint pour d’autres, concernaient sept jeunes. Cela, grâce au partenariat avec quatre mairies, un centre social et deux associations, permettant aux jeunes d’encadrer d’autres jeunes en accueils de loisirs à proximité de leur domicile. « Durant ses deux semaines de stage, Nathalie Bélair, 21 ans, a encadré douze enfants au sein d’une équipe aguerrie. Elle a pu mettre en place des activités manuelles et sportives notamment, et les accompagner lors des différentes sorties. Nathalie a vraiment eu la possibilité de toucher pleinement à toutes les tâches et missions attendues d’une animatrice », développe Rodrigue Nangis, responsable du service éducation, jeunesse et sport à la mairie de Saint-Claude. Et de poursuivre : « Toute l’équipe a été très satisfaite de son engagement. Elle a même postulé en décembre pour une mission de service civique au sein de notre collectivité qu’elle a obtenue. En tant que médiatrice de la réussite éducative et citoyenne, elle est placée désormais dans un établissement scolaire et se charge d’accompagner les enfants dans leur apprentissage. » Quant aux stages de perfectionnement, ils sont prévus au printemps 2023, en milieu ordinaire, avec d’autres aspirants au Bafa.
Comment l’opération a-t-elle été financée ? « Alors qu’une préparation au Bafa assurée par les Francas coûte normalement 800 euros, chaque jeune n’a payé que 20 euros, les formatrices étant intervenues bénévolement, détaille la cheffe de service. De notre côté nous avons assuré la logistique, les transport, l’hébergement… »
Une expertise reconnue
Même si tous ne sont pas encore en mesure de planifier la suite de leur cursus jusqu’à l’obtention du brevet, soit en raison de leur recrutement par des établissement et service d'aide par le travail (Esat), soit par respect d’un contrat de professionnalisation, le dispositif a atteint son objectif principal : redonner confiance dans ses capacités et aider à mieux définir un projet professionnel. La cheffe de service Aude Pharaoh, complète : « Cette formation prépare à des activités plurielles dont la polyvalence est importante pour les jeunes accueillis, car elle leur offre l'opportunité de valoriser autant leurs compétences que leurs qualités. » De son côté, Malik suit actuellement un stage dans un Esat dans le domaine des espaces verts : « Je me sens désormais capable d'accéder à une qualification », affirme-t-il. Pour l’équipe de direction, cette démarche était un vrai défi. « Les jeunes sont entièrement satisfaits de la dynamique : être considérés comme des enfants dans un établissement comme l’IME, puis mis en position de responsabilité, cela ne peut que participer à leur épanouissement », assure Aude Pharaoh.
« A partir du moment où le jeune est mis au cœur du dispositif, on arrive à innover assez facilement, ajoute Yasmina Bussières. Il était indispensable pour nous de montrer que nous étions capables et que nous avions aussi une certaine expertise développée depuis de nombreuses années. » Une expertise reconnue : si le renouvellement d’un tel projet n’est pas encore envisagé en raison, notamment, d’une insuffisance de jeunes au profil requis (projet professionnel, volontariat…), la mise en relation avec la délégation régionale académique à la jeunesse, à l’engagement et aux sports (DRAJES) pour la déclaration de session de la formation, porte aussi ses fruits. Les professionnels de l’IME pourraient être inscrits dans un travail de sensibilisation aux handicaps des équipes pédagogiques et d’animation des accueils collectifs de mineurs du territoire pour une meilleure inclusion.
Yvor J. Lapinard
« L'équipe aussi a repris confiance»
Aude Pharaoh, cheffe de service
« La crise sanitaire a engendré une crise sociale sans précédent à l’IME. Scènes de guérilla urbaine dans l’île, gestion de situations de crise dans les familles accompagnées, blocages de l’établissement… avaient déréglé un quotidien déjà fragile. Sans oublier le mal-être dans les équipes et le malaise général du fait de l’application de la loi sur l’obligation vaccinale et les dissentions qu’elle avait fait naître. Dans ce contexte, la concrétisation du projet Objectif Bafa a permis de remettre du sens pour les jeunes comme les professionnels. L’équipe pluriprofessionnelle a pu envisager de nouvelles perspectives et a repris confiance dans le travail collaboratif. »
En chiffres
Effectif de l’IME : 124 jeunes, dont 62 en IMPro.
18 participants à Objectif Bafa, 7 ayant atteint le stage pratique
4 partenaires pour les stages pratiques, 1 partenaire pour la formation (Les Francas)
Chaque jeune a payé 20 euros ; l’IME a mis à disposition locaux, matériel, transports, hébergement, logistique, etc.
Publié dans le magazine Direction[s] N° 217 - mars 2023