Ceci est un test

Directions.fr : Le site des directeurs et cadres du secteur social et médico social

Prix de la catégorie Transformation de l’offre
Addictions : quand l’emploi aide au rétablissement

01/01/2025

Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme). Fruit du partenariat entre l’hôpital et l’association Cecler, spécialisée dans la réinsertion professionnelle, le dispositif Add pro accompagne depuis un an des personnes en situation d’addiction vers l’emploi. Une démarche innovante qui se veut également scientifique, via la modélisation d’une méthode appliquée en psychiatrie, et qui a reçu le prix de la catégorie Transformation de l’offre lors du 18e Trophée Direction[s].

« Essayer de se sortir des addictions, c’est comme dans un Trivial Pursuit : on se rajoute des petits camemberts pour se reconstruire. Et le volet professionnel en est un très important. Il nous permet de retrouver une place dans la société. » Entré en octobre 2024 à l’hôpital de jour du centre hospitalier universitaire (CHU) de Clermont-Ferrand, après trois ans sans travailler et beaucoup plus à souffrir d’addictions, Abdelhak Kays a tout de suite souhaité participer au dispositif Add pro, lancé un an auparavant avec l’association d’insertion sociale et professionnelle Cecler. « J’étais désemparé, désœuvré, en recherche de cap. Le démarrage de cet accompagnement vers l’emploi m’a permis d’espérer et de réenvisager ma vie. Cela a été un sursaut. »

Une pathologie à traiter globalement

L’initiative part d’un constat simple, formulé par le professeur Georges Brousse, responsable du service d’addictologie au CHU : « L’addiction est une pathologie chronique qui, pour être traitée, ne doit pas se contenter de mettre le produit à distance. Un projet d’accompagnement socio-environnemental doit être construit, incluant notamment le logement, l’entourage, les droits sociaux et l’emploi. Or, sur ce dernier point, il se révèle très difficile d’utiliser le circuit habituel de la réinsertion professionnelle en milieu protégé, comme nous le faisons pour les personnes atteintes de pathologies mentales, car celles souffrant d’addiction présentent des spécificités, outre la consommation, qui grèvent plus encore leur capacité à aller vers l’emploi : troubles anxieux, phobies, difficultés à parler en public… » La nécessité de mettre en place un dispositif adapté à leur situation s’est donc imposée, confirmée par le besoin exprimé par les patients. « 65 % d’entre eux évoquent l’insertion professionnelle comme un élément important de leur projet de vie, et donc de leur rétablissement. Or, moins de 20 % arrivent à obtenir un emploi, qui est souvent peu qualitatif et ne dure pas dans le temps », détaille Julien Cabé, médecin psychiatre et addictologue, responsable de l’hôpital de jour.

Pour monter le projet, le CHU s’est rapproché de l’association Cecler, partenaire historique, immédiatement convaincue de son intérêt. « Rien n’existe pour les personnes en situation d’addiction, observe Dominique Charmeil, directrice générale de l’association d’intervention sociale. Il y a des dispositifs pour des publics fragiles, mais ces derniers doivent d’abord se soigner et ensuite entamer un processus d’insertion professionnelle. L’intérêt d’Add pro est de le faire concomitamment. » Deux accompagnements ont donc été articulés : suivi sanitaire, via l’équipe médico-sociale de l’hôpital de jour pour la prise en charge des addictions, et suivi social, au sein du service Pietra de Cecler (initialement dévolu à l’insertion professionnelle des réfugiés et primo-arrivants dans le Puy-de-Dôme) pour les remobiliser vers l’emploi.

Pour des personnes stabilisées

Le dispositif est également assorti d’une visée scientifique, afin de pouvoir modéliser et déployer à terme son mode opératoire. Un projet de recherche a ainsi été confié à un étudiant en psychologie, Ludovic Bardon, dont l’association a financé le master 2, et la convention industrielle de formation par la recherche (Cifre [1]) le doctorat. « Mon travail théorique m’a amené à m’intéresser à la méthode Individual placement and support, utilisée dans le secteur de la santé mentale pour favoriser l’insertion professionnelle. En me basant sur cette démarche, j’ai notamment créé un guide d’entretien permettant d’évaluer la situation en termes d’emploi d’un patient victime d’addiction. » Et, ainsi, de formaliser une demande d’orientation auprès de Pietra. Car c’est à l’équipe médicale que revient le soin de déterminer quelle personne suivie en addictologie pourra intégrer Add pro. « Nous n’excluons aucun patient, souligne Julien Cabé. Tous ceux qui en manifestent l’envie, même s’ils sont encore malades, doivent pouvoir en bénéficier. Il est cependant important qu’ils ne soient pas mis en échec, donc ils doivent être à peu près stabilisés, autrement dit ne pas présenter de troubles importants du comportement. »

Une fois l’entrée dans le dispositif validée par les équipes du CHU et de Pietra, un conseiller en insertion professionnel (CIP) est désigné. L’accompagnement vers l’emploi peut alors débuter. « La logique d’Add Pro est nouvelle pour les CIP, signale Élisabeth Boschert, responsable du pôle Intégration et Territoires et cheffe du service Pietra. Contrairement à un accompagnement d’insertion classique, celui mis en place ici ne comprend pas de date de fin. Lorsque les personnes sont dans l’emploi, ou qu’elles rechutent, les CIP restent à distance, mais ils peuvent toujours être recontactés. » « Cette longue durée nous permet de nous adapter, plus encore que dans les autres dispositifs, aux besoins des personnes, remarque Perrine Auzéras, CIP au sein du service Pietra. On avance progressivement avec elles, par rapport à ce qu’elles veulent, ce qu’elles peuvent et ce qu’elles se sentent capables de faire. De plus, outre la mise en emploi, nous travaillons toutes les problématiques découlant de l’addiction. Un bénéficiaire souffrait par exemple d’agoraphobie, nous avons donc travaillé le lien social en premier. »

« Étape par étape »

C’est cet accompagnement sur mesure qui a convaincu Sylvère Papelard de poursuivre son chemin vers l’emploi. « Au début, le dispositif ne m’intéressait pas. J’avais des gros problèmes de santé et ne me sentais pas du tout capable de retravailler. Lorsqu’on me l’a reproposé quelques temps plus tard, je me suis dit que cela pourrait me permettre de me resociabiliser donc j’ai accepté. Mais je n’étais pas très emballé…, se souvient-il. Après mon premier rendez-vous avec la CIP pourtant, je faisais des petits bonds : elle m’avait parfaitement cerné et compris. Elle a su m’aider à trouver ce que je voulais faire, dans quelles conditions et à quel endroit. Je retravaille depuis septembre comme menuisier en atelier dans un chantier d’insertion, et même si c’est parfois difficile et que je me sens fatigué, toutes les personnes autour de moi sont à l’écoute et me permettent d’avancer, étape par étape. »

Autre nouveauté de la démarche : le travail de concert entre les équipes de l’hôpital de jour et de Pietra. Les deux secteurs, d’ordinaire cloisonnés, sont amenés à avancer ensemble. Ce qui permet, comme l’analyse Élisabeth Boschert, d’ « intervenir sur la globalité de la situation d’une personne et d’activer l’ensemble des leviers qui lui permettront de raccrocher ». Pour cela, une réunion en visio est organisée tous les mois entre les professionnels afin d’échanger sur les personnes suivies, de signaler des changements de comportements et d’apporter des éclairages croisés sur les domaines de compétences de chacun. Ludovic Bardon navigue par ailleurs régulièrement entre les deux services pour coordonner le dispositif. « Dans le service d’addictologie, je m’occupe des ateliers collectifs sur l’emploi ainsi que des bilans individuels élaborés à partir du guide d’entretien ; à Pietra, je soumets les demandes d’accompagnement et suis à la disposition des bénéficiaires s’ils souhaitent un entretien psychologique. »

Un nouveau regard

Du côté du CHU, le dispositif a également fait bouger les lignes. « Notre pratique a évolué, reconnaît Julien Cabé. Avant, la question de l’emploi ne se posait qu’à la toute fin des soins. Le fait de l’envisager au début change ce que l’on va travailler avec les patients, et nous oblige d’une certaine manière à avoir des objectifs plus fonctionnels, comme améliorer leur estime et affirmation de soi, ou certaines fonctions cognitives. » Mais il note également un changement de regard porté sur les patients. « C’est très satisfaisant de les voir s’en sortir, de décrocher un entretien, d’avoir un emploi. Généralement cette partie-là se fait loin de nos services et nous n’observons de notre côté que les rechutes. Cela apporte ainsi une motivation supplémentaire à l’équipe et donne envie de faire la même chose pour les autres. »

Si le dispositif convainc toutes les parties prenantes et fait preuve de son utilité, ses pilotes souhaitent asseoir davantage sa légitimité. C’est ce à quoi s’emploie Ludovic Bardon dans la thèse qu’il vient de commencer, en évaluant notamment l’efficacité d’Add Pro via la création d’un protocole. Un argument que Dominique Charmeil ne manque pas de mettre en avant dans sa recherche de financements. « L’orientation scientifique intéresse beaucoup les professionnels du secteur », constate-t-elle. Le dispositif est d’ailleurs en bonne route pour obtenir un soutien important du Fonds social européen, qui s’ajouterait ainsi aux fonds propres de l’association et de l’hôpital, dont les personnels ont été mis à disposition, d’un financement du Crédit agricole, et du Cifre, prenant en charge le poste de coordinateur. Le début peut-être d’un changement d’échelle.

[1] Lire Direction[s] n° 194, p. 38

Élise Brissaud

« Une démarche proactive avec les entreprises»

Nicolas Schuffencker, CIP Add Pro

« Pour favoriser l’emploi des personnes que nous accompagnons, nous sommes dans une démarche proactive avec les entreprises. Nous allons à leur rencontre et tâchons de créer un climat de confiance avec elles. Parfois, nous sommes amenés à bousculer un peu leur manière de recruter, en expliquant par exemple qu’elles se ferment des opportunités en excluant certains profils. Nous les aidons alors à redéfinir les attendus d’un poste en accompagnant les chefs d’entreprise sur place. Nous favorisons également les entretiens d’embauche directement sur site, afin de créer un climat de détente entre le candidat et l’employeur, permettant ainsi de mieux libérer et recevoir la parole. Il appartient cependant entièrement aux personnes que nous suivons de décider si elles souhaitent ou non leur parler des addictions dont elles ont souffert ou souffrent encore, ainsi que des troubles psys développés à leur suite. Notre rôle est de les accompagner dans leur choix. »

Contact

Association Cecler / Service Pietra

13, rue Condorcet

63 000 Clermont-Ferrand

contact@pietra63.fr

En chiffres

Dispositif Add pro

-5 bénéficiaires fin 2023, 25 en 2024. Prévision de 60 début 2025 et 120 en fin d’année ;

-1 coordinateur ; 4 CIP ; 1 médecin addictologue, 1 cadre de santé, 3 infirmières, 1 diététicienne, 1 ergothérapeute, 1 professeur d’activités sportives adaptées, 1 éducatrice spécialisée, 3 psychologues et 3 neuropsychologues ;

- 50 % des personnes accompagnées se rapprochent de l’emploi ;

- Durée de l’accompagnement : 3 mois renouvelable à l’hôpital de jour et sans date de fin au sein de Pietra ;

Coût de l’accompagnement : 1 900 euros/an pour une personne ;

- Évaluation des coûts évités : 20 000 euros/an par personne qui retrouve un emploi. 

Publié dans le magazine Direction[s] N° 237 - janvier 2025






Ajouter un commentaire
La possibilité de réagir à un article de Direction[s] est réservé aux abonnés  du magazine Direction[s]
Envoyer cette actualité par email :
Email de l'expéditeur (vous)*

Email du destinataire *

Sujet*

Commentaire :

* Champs obligatoires

Le Magazine

N° 237 - janvier 2025
Baromètre Direction[s] 2024. Gare à la surchauffe
Voir le sommaire

Formation Direction[s]
Offres d'emploi
Les 5 dernières annonces publiées
Conseil Départemental de la Seine Saint Denis

DIRECTEUR·RICE GÉNÉRAL·E DU CDEF 93

Conseil Départemental de la Seine Saint Denis

MEDECIN REFERENT MALADIES INFECTIEUSES

UDAF DE LA MARNE

DIRECTEUR DE POLE (H/F)

Le Département de la Manche

Responsable du territoire de solidarité Coutançais (f/h)

Département du Val-de-Marne

GESTIONNAIRE COMPTABLE (H/F)


Voir toutes les offres
Trophée Direction[s] : l'essentiel

Logo Trophée 2

Participez au Trophée Direction[s] 2024 !!

Sous les hauts patronages de :

Paul Christophe, ministre des Solidarités, de l’Autonomie et de l’Égalité entre les femmes et les hommes


Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée des Personnes en situation de handicap

En partenariat avec :

Logo Axiome