Cour de cassation, chambre sociale, 31 janvier 2012, n° 10-24412
« Attendu que, selon l’article L3111-2 du Code du travail, sont considérés comme cadres dirigeants les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l’importance implique une grande indépendance dans l’organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement ; que ces critères cumulatifs impliquent que seuls relèvent de cette catégorie les cadres participant à la direction de l’entreprise. »
Les faits
Mme X est engagée le 24 janvier 2005 en tant que responsable avec le statut cadre. Licenciée le 17 juillet 2007, elle saisit la juridiction prud’homale de demandes diverses dont le paiement d’heures supplémentaires. L’employeur va baser sa ligne de défense sur la notion de cadre dirigeant afin de ne pas avoir à payer ces heures litigieuses. Le conseil de prud’hommes, puis la cour d’appel vont prononcer la condamnation de l’employeur, qui se pourvoit alors en cassation.
L'analyse
Les dispositions légales relatives à la durée du travail, à la répartition et à l’aménagement des horaires, au repos et aux jours fériés ne s’appliquent pas aux cadres dirigeants (1). Le Code du travail définit les trois critères à réunir pour qu’un salarié soit qualifié comme tel. D’une part, il doit bénéficier d’une grande indépendance dans l’organisation de son emploi du temps. D’autre part, il doit être habilité à prendre des décisions de manière autonome. Enfin, sa rémunération doit se situer parmi les plus élevées de sa structure.
Par le passé, la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de préciser les contours de la notion de cadre dirigeant. Pour être qualifié ainsi, il n’est pas nécessaire qu’il y ait un accord particulier entre l’employeur et le salarié, ni que ce dernier se situe au niveau hiérarchique le plus haut de la classification conventionnelle (2). De la même manière, il ne suffit pas que cette qualification soit prévue par un accord collectif (3) ou par des mentions figurant sur des bulletins de paie (4). À l’inverse, un cadre dirigeant ne saurait prétendre à la rémunération des astreintes sauf s’il existe des dispositions contractuelles ou conventionnelles plus favorables (5).
En l’espèce, l’employeur, qui opposait une fin de non-recevoir à la demande de paiement d’heures supplémentaires formulée par la salariée, a vu son pourvoi rejeté par la Cour de cassation. Les arguments du demandeur ont été inopérants au motif que « … bien que disposant d’une grande autonomie dans l’organisation de son travail nécessitée par son haut niveau de responsabilité […] et étant classée au coefficient le plus élevé de la convention collective, [elle] ne participait pas à la direction de l’entreprise ».
Conséquences pratiques
Cet arrêt est inédit dans la mesure où la Cour déduit de l’article L3111-1 du Code du travail une condition implicite. En effet, en indiquant que « seuls relèvent de cette catégorie les cadres participant à la direction de l’entreprise », elle réduit considérablement la possibilité pour les employeurs d’opposer ce statut à leurs salariés. Autrement dit, les juges du fond devront « vérifier précisément les conditions réelles d’emploi » au regard des trois critères explicites prévus par la loi (6) auquel il conviendra d’ajouter désormais un quatrième découvert par la Haute juridiction.
À l’inverse, lorsque le contrat de travail reconnaît au salarié la qualité de cadre dirigeant, l’employeur ne pourra pas invoquer la réalité des fonctions exercées pour échapper à ses obligations. Ainsi, en 2011 la Cour de cassation a jugé qu'une salariée, bien que classée en catégorie cadre, exerçait des fonctions d’agent de maîtrise (7). En fait, si la qualification est favorable au salarié, elle s’impose à l’employeur de manière irréfragable. Sinon, le juge requalifie le contrat (8). On peut donc en déduire que la jurisprudence relative à la notion de cadre dirigeant est particulièrement protectrice des salariés. D’une part, il y a un durcissement des conditions d’éligibilité à ce statut. D’autre part, l’interprétation des stipulations du contrat de travail se fait à la lumière de l’intérêt du salarié.
On ne peut donc qu’inviter les directeurs et responsables des ressources humaines d’établissements sociaux et médico-sociaux à la plus grande vigilance. En effet, la rédaction des fiches de poste ne suffira pas à emporter la conviction des juges. Il faut veiller à faire participer les cadres dirigeants à la direction de la structure pour éviter de mauvaises surprises en cas de conflit. Néanmoins, on ne peut pas reprocher au juge de faire prévaloir la réalité des fonctions exercées sur toutes autres considérations. Un cadre dirigeant ne l’est que s’il dirige. C’est la condition sine qua non qui explique, par ailleurs, les dérogations liées à son statut. Malgré cela, il demeure salarié de l’entreprise. Il reste donc sous la subordination juridique de son employeur qui peut par exemple lui fixer des objectifs à atteindre.
(1) Code du travail, art. L3111-1
(2) Cass. soc., 30 novembre 2011, n° 09-67798
(3) Cass. soc., 13 janvier 2009, n° 06-46208
(4) Cass. soc., 23 novembre 2010, n° 09-41552
(5) Cass. soc., 12 novembre 2008, n° 07-41694
(6) Cass. soc., 5 octobre 2011, n° 10-17110
(7) Cass. soc., 6 juillet 2011, n° 09-43130
(8) Cass. soc, 12 janvier 2011, n° 09-68859 ou 26 janvier 2011, n° 09-42931
Michel Boudjemaï, juriste et formateur, intervenant à l’IRTS de Champagne-Ardenne et à l’université de Reims
Publié dans le magazine Direction[s] N° 98 - août 2012