Conférence de presse des trois syndicats de directeurs le 9 novembre dans les locaux du Syncass-CFDT avec de droite à gauche : Thomas Deregnaucourt et Yves Richez (Ufmict-CGT), Michel Rosenblatt (Syncass-CFDT) et Pascal Martin (CH-FO). Ils appelaient à un mouvement national le 30 novembre dernier. © William Parra
« C’est le sens de l’histoire ! » Thomas Deregnaucourt, membre du collectif de directeurs de l’Ufmict-CGT défend ainsi la fusion des corps des directeurs d’hôpitaux (DH) et d’établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux (D3S). Une combat mené avec deux autres syndicats, le Syncass-CFDT et le CH-FO, et fondé sur le fait que leurs missions forment désormais les différences facettes d’un même métier.
Alors qu'ils réclament cette évolution depuis plusieurs années, les trois organisations entendent désormais se faire entendre et « sortir de l’inertie ». Le 30 novembre dernier, ils appelaient les professionnels à une journée de grève nationale et à un rassemblement devant le ministère afin de marteler leur message auprès des pouvoirs publics. « Nous avons été reçus en septembre dernier par le cabinet de Marisol Touraine qui s’est montré plutôt ouvert sur le sujet et nous a confirmé que ce n’était pas un sujet tabou », explique Michel Rosenblatt, secrétaire général du Syncass-CFDT.
Mais c'est toujours un sujet qui fâche. Le syndicat des manageurs publics de santé (SMPS) et l’Association des directeurs d’hôpital (ADH) sont clairement opposés à ce qui revient selon eux à nier la spécificité des métiers. « Les établissements médico-sociaux et sanitaires fonctionnent différemment : ils n’ont pas les mêmes instances, ne se réfèrent pas aux mêmes codes juridiques, explique ainsi Pierre de Montalembert, délégué national du SMPS. Côté sanitaire, les principaux interlocuteurs du directeur sont les médecins. Dans le social et le médico-social, ils sont en lien direct avec les familles. Ce n’est pas la même posture professionnelle ! »
Concentration des établissements
Reste que les promoteurs de l'union ne manquent pas d'arguments. Premier d’entre eux ? Les postes occupés par les D3S et les DH sont de plus en plus comparables, du fait notamment de la concentration des établissements. « Jusqu’en 2008, les tailles de structures étaient très différentes. Les plus petites étaient dirigées par des D3S, les plus grosses par des DH. Cela justifiait les deux statuts, analyse Michel Rosenblatt. Aujourd’hui, les petits établissements ont été rattachés à des gros ou sont gérés en direction commune où se côtoient les deux corps. De presque 600 petites structures, on est passé à 30. Beaucoup de D3S occupent désormais des postes d'adjoints dans un hôpital comptant des lits d'établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), parfois en plus grand nombre que ceux de soins aigus. »
En 2016, 21 % des D3S dirigeaient ainsi un établissement public de santé, et plus de 47 % étaient à la tête d'Ehpad, dont la plupart rattachés à un hôpital. Par ailleurs, le Centre national de gestion (CNG) recense 73 directions communes sur secteur mixte occupées par des D3S. Soit 5,8 % de plus qu'en 2015. Si leurs niveaux de responsabilité et de compétence sont souvent équivalents, le contenu de leur métier l’est aussi. « Les processus d’évaluation, l’obligation en matière de sécurité, de services rendus sont, dans le sanitaire comme le médico-social, devenus très proches », renchérit Yves Richez, responsable du collectif des directeurs de l’Ufmict CGT. Sans compter le rapprochement des outils de gestion (état de prévision de recettes et dépenses – EPRD – et contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens – CPOM).
« Sortir de l'hypocrisie »
Les D3S sont également de plus en nombreux à postuler sur des postes de DH dont la rémunération est plus attractive. La loi relative à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique de 2009 a introduit la notion de corps comparable et élargi les possibilités de détachement entre corps de niveau équivalent. Ces mouvements sont d'autant plus faciles que la pyramide des âges est défavorable aux DH, dont les départs en retraite sont plus importants. « Si les métiers étaient si différents, pourquoi serait-il si facile pour les D3S d’accéder à des postes de DH ? Il faut sortir de l’hypocrisie », plaide Jérôme Lartigau, ancien DH et maître de conférences en sciences de gestion au Centre national des arts et métiers (Cnam).
Revaloriser les D3S
En outre, cette attractivité opérée par les postes de DH laisse de nombreux postes de D3S vacants. Un « assèchement du corps [lié à] l’absence d’une politique de recrutement de long terme », déplore le SMPS. Qui condamne aussi « la limitation drastique du nombre de places au concours de DH ». Alors que les défenseurs de l’unicité des statuts voient dans cette fusion un moyen de faciliter le recrutement sur des postes moins prisés, le SMPS craint que ce projet ne tire le statut des DH vers le bas. Et prône plutôt la revalorisation du corps des D3S pour aligner les niveaux de rémunération lorsque les responsabilités sont équivalentes. « Quand les D3S se voient confier des directions communes ou des interims de poste de DH, les conditions de rémunération sont à la limite du mépris. Il faut reconnaître les responsabilités des D3S. Mais la fusion des corps n’est pas la solution car elle conduirait à nier les expertises des deux métiers », estime ainsi Frédéric Boiron, président de l’ADH.
Parmi les autres arguments qui penchent en faveur de la fusion, les syndicats rappellent que cette demande s’inscrit dans le mouvement de réduction des corps dans la fonction publique [1]. Avec à la clé des économies pour les finances publiques : elle permettrait de n’organiser qu’un seul concours et simplifierait la gestion des postes. Plus nombreux au sein du même corps, ils seraient également plus puissants pour se faire entendre.
Le poids des GHT
En outre, la création des groupements hospitaliers de territoire (GHT) qui accentue la concentration des établissements est-elle la bonne opportunité pour opérer cette fusion ? Oui, pour ses promoteurs selon lesquels ces nouvelles organisations mettent en œuvre l’imbrication nécessaire du sanitaire et du médico-social et rend naturelle l’unicité des statuts. Non, rétorque le SMPS qui estime que les GHT engendrent déjà des incertitudes quant à l’évolution des périmètres de responsabilité des DH et D3S.
Mais l'installation du comité consultatif national (CCN) unique, le 20 octobre dernier, qui regroupe DH, D3S et directeurs des soins (DS), « est une façon d’admettre qu’il y a une communauté de sujets entre les corps », estime Yves Richez. Qui plaide pour une union allant jusqu’aux DS.
La balle est désormais dans le camp du ministère qui, selon les syndicats, veut attendre le bilan de la mise en œuvre des GHT avant de s’attaquer à ce chantier. Face à des organisations professionnelles divisées, la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) précise de son côté que « l’hypothèse d’une évolution statutaire sera analysée » dans le cadre d’« un cycle d’échanges avec la communauté hospitalière en cours sur l’évolution du métier de directeur ». Dont un séminaire conclusif est prévu début 2017.
[1] Entre 2005 et 2010, 350 corps ont été supprimés soit près de 50 %.
Noémie Colomb. Photo : William Parra
« D3S, un corps à l'identité moins marquée »
François-Xavier Schweyer, sociologue et enseignant à l’EHESP
« Même si le concours d’entrée de DH passe pour être plus difficile, car plus sélectif, les épreuves sont proches. D’ailleurs, beaucoup d'étudiants présentent les deux. Les contenus des formations sont très similaires et les enseignants souvent les mêmes. Il y a bien sûr quelques différences : pour les DH, la focale est davantage tournée vers les finances, la qualité des soins ou le droit des patients. L'enseignement délivré aux D3S comporte une approche plus "populationnelle". Mais les métiers exercés sont en partie identiques : 30 % de la promotion 2016 de D3S occupent un poste de chef d'établissements dans le médico-social, 30 % deviennent responsables d’un pôle médico-social rattaché au sanitaire et 40 % sont adjoints dans un hôpital. Symboliquement, les DH appartiennent à un corps plus prestigieux. Ils pèsent beaucoup dans la gouvernance de l'EHESP, l'école où ils sont formés depuis les années 1960. Alors que les D3S, corps plus récent, ne le sont que depuis le début des années 2000. »
Repères
- Les D3S peuvent diriger des établissements publics de santé sans service de chirurgie, d’obstétrique ou d’hospitalisation sous contrainte, et comptant au plus 30 lits de médecine et 250 lits de soins de suite et de réadaptation (SSR).
- Sur les 5610 directeurs de l'hospitalière, 2881 sont DH et 1937 D3S.
- Entre 2010 et 2015, les détachements de D3S sur des postes de DH sont passés de 7 à 64, soit un effectif multiplié par plus de neuf.
Publié dans le magazine Direction[s] N° 148 - décembre 2016