Conseil d'État, décision n° 343450 du 30 décembre 2011
« Considérant qu'il résulte des dispositions du I de l'article L313-1-1 du Code de l'action sociale et des familles que les extensions d'établissements et services sociaux et médico-sociaux et de lieux de vie et d'accueil inférieures à un seuil défini par décret ne sont pas soumises à la procédure d'appel à projet […] ; que le critère de 30 % ainsi retenu peut avoir pour effet de soumettre à la procédure d'appel à projet l'immense majorité des projets d'extension des lieux de vie et d'accueil […] ; que, dans ces conditions, eu égard à l'objet du seuil voulu par le législateur, qui est de soustraire à la procédure d'appel à projet les extensions les plus mineures, le seuil retenu par le pouvoir réglementaire, compte tenu de la spécificité de ces structures, méconnaît la portée de la loi »
L'analyse. La loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) a introduit dans le Code de l'action sociale et des familles (CASF) une procédure d'appel à projet pour autoriser les projets de création, de transformation et d'extension des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) faisant appel à des financements publics. Cette procédure s'est très largement substituée à un système dans lequel l'initiative privée était prépondérante, pour favoriser une logique où ce sont les pouvoirs publics qui définissent le contenu du service rendu aux usagers. Ce nouveau mode de dévolution des activités sociales et médico-sociales n'a pas manqué de créer des inquiétudes.
C'est dans ce contexte que deux associations gestionnaires de lieux de vie et d'accueil ont demandé l'annulation du décret n° 2010-870 du 26 juillet 2010 relatif à la procédure d'appel à projet. Parmi les arguments invoqués, figurait celui ayant trait au fait que le texte obligeait à recourir à la procédure d'appel à projet pour les projets d'extension entraînant une augmentation de la capacité initiale d'accueil d'au moins 30 %. Pour les requérantes, cette disposition était contraire à la loi, en ce sens qu'elle introduisait une contrainte qui n'avait pas été souhaitée par le législateur. Le Conseil d'État a accueilli favorablement cet argument.
Cette solution paraît des plus justifiées si l'on rappelle ce que sont les lieux de vie et d'accueil et les objectifs poursuivis par le législateur dans le cadre de la loi HPST.
Vers un seuil spécifique
C'est dans les années 1970 que des particuliers ont créé ces établissements dans lesquels ils ont souhaité accueillir, pour une vie en commun, un nombre limité de personnes en difficulté. Depuis lors, ils ont toujours été conçus comme des microstructures qui présentent certaines particularités tenant à la personnalité des gestionnaires. Les lieux de vie et d'accueil ont ainsi, pendant longtemps, fonctionné en marge des cadres légaux. Ils étaient d'ailleurs dénommés « structures d'accueil non traditionnelles ».
Ce n'est qu'avec la loi du 2 janvier 2002 que les pouvoirs publics ont officiellement reconnu et encadré leur création. Des décrets sont venus préciser leur fonctionnement, tout en veillant à conserver leurs spécificités. Parmi ces dernières, la nécessité d'une capacité réduite. L'article D316-1 du CASF dispose ainsi que « le lieu de vie et d'accueil est géré par une personne physique ou morale, autorisée à accueillir au moins trois et au plus sept personnes, majeures ou mineures […], afin notamment de favoriser leur insertion sociale ». Par dérogation, le nombre de personnes accueillies peut être porté à dix.
Par conséquent, toute augmentation de la capacité d'accueil, même très minime, peut se révéler importante en valeur relative. Par exemple, si une structure bénéficie d'une autorisation de trois places et qu'elle envisage l'accueil d'une personne supplémentaire, l'augmentation de la capacité d'accueil initiale sera de 33,33 %. Fort de ce constat, le Conseil d'État a fait droit à la demande d'annulation.
Dans un souci de cohérence
Le décret attaqué venait en application de l'article L313-1-1 du CASF, lequel dispose que « lorsque les projets font appel partiellement ou intégralement à des financements publics », les autorités compétentes « délivrent l'autorisation après avis d'une commission de sélection d'appel à projet social ou médico-social […]. L'avis de cette dernière n'est toutefois pas requis en cas d'extension inférieure à un seuil ». Aux termes de cette disposition, il était possible de penser que le pouvoir réglementaire jouissait d'une entière liberté quant à la détermination du seuil à partir duquel l'extension d'une structure doit faire l'objet d'une procédure d'appel à projet.
Mais dans un souci de cohérence, il devait être considéré que le législateur avait nécessairement entendu exclure de cette procédure les extensions ne présentant pas une certaine importance.
Eu égard aux caractéristiques du fonctionnement des lieux de vie et d'accueil, le pouvoir réglementaire ne pouvait pas généralement imposer le recours à la procédure d'appel à projet pour les extensions de capacité qui, faibles en valeur absolue, pouvaient très souvent dépasser le seuil de 30 %. Le Conseil d'État a donc fait prévaloir le bon sens en ce qui concerne cette catégorie de structures.
Il n'en demeure pas moins qu'à la suite de l'annulation ainsi prononcée, le pouvoir réglementaire devra définir un nouveau seuil, cette fois-ci spécifique auxdits lieux, ainsi que l'impose l'article L313-1-1 précité. Le juge ne livrant aucune indication à ce sujet, les pouvoirs publics pourront demander au Conseil d'État de les éclairer sur les modalités d'exécution de sa décision, comme que le permet l'article R931-1 du Code de justice administrative.
David Taron, avocat au Barreau de Paris
Publié dans le magazine Direction[s] N° 94 - avril 2012