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Plan ESSMS numérique
Garder le rythme

15/03/2023

Le plan visant à déployer le dossier usager informatisé dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux entame sa seconde année de généralisation. Un compte à rebours et un défi ambitieux pour les pouvoirs publics comme pour les structures qui doivent s’organiser pour porter ce projet dans la durée.

« On demande au secteur social et médico-social de faire en cinq ans ce qui a pris quinze ans au milieu hospitalier », résume Deniz Leblanc, PMO (Project Office Manager) à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA). L’objectif du plan lancé en 2020 et doté de 600 millions d’euros est, en effet, audacieux : aider 80 % des établissements et services à prendre le virage du numérique. Ce, grâce à une aide à l’investissement pour l’équipement de base et le déploiement d’un dossier usager informatisé (DUI). « Ce dernier est la colonne vertébrale du plan pour permettre aux professionnels de mieux se coordonner et accompagner les personnes. Car l’enjeu est de développer les usages pour que la transformation se concrétise », souligne Deniz Leblanc. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle une partie des financements n’est allouée qu’une fois les cibles d’utilisation atteintes

Une dynamique enclenchée

« Le parcours de transformation est profond et l’embarquement des acteurs ne va pas de soi malgré de solides enveloppes sur la table, appuie Marine Réquillart, responsable du Collectif Système d’information (SI) des Hauts-de-France. Contrairement au sanitaire, le niveau de maturité est très différent d’un gestionnaire à un autre. » « Il y a une forte hétérogénéité entre de gros établissements et d’autres de petites tailles où le service informatique peut se limiter à des usages basiques de bureautique et de finances. Plus on se rapproche du sanitaire, plus on rejoint les exigences demandées sur l’échange et le partage de données de santé », complète Jonathan Reiss, conseiller Transformation numérique de l’organisation patronale Nexem. Une très forte hétérogénéité compensée par une grande appétence. « Le constat assez sévère au démarrage est aujourd’hui à nuancer. Les structures ont montré leur capacité à s’emparer de ce programme », observe Deniz Leblanc. Il faut dire que la dynamique est bonne : en trois ans, plus de 11 000 établissements et services ont déjà émargé. En 2021, 40 % des demandes ont été financées et « face à ce constat, l’enveloppe a été réajustée en 2022 et 2023 permettant l’année dernière d’accepter 80 % des candidatures ».

2023, année de bascule

Pour amplifier encore le mouvement, des barrières ont été levées cette année. « Les financements arrivaient à l’automne ce qui retardait le démarrage des projets. Nous avons donc fait en sorte qu’il y ait plusieurs fenêtres de tir pour un financement au fil de l’eau », explique Deniz Leblanc. Autres mesures ? Suppression de l’obligation de recourir au marché public Resah, possibilité pour des structures isolées de rejoindre un projet existant… « Une bascule a été opérée par les pouvoirs publics avec le programme Système ouvert et non sélectif (Sons) en 2022 et un pilotage renforcé d’année en année par la direction du numérique en santé (DNS). Tout cela va dans le bon sens », juge Charlotte Pentecouteau, directrice adjointe du pôle Offre sociale et médico-sociale de Nexem. L’un des enjeux pour les pouvoirs publics sera de faire preuve de pédagogie pour que les établissements s’emparent davantage du système Sons, qui permet à ceux déjà équipés d’un DUI de monter en version. Difficile au départ de démêler les fils entre ce dispositif et le plan numérique : sur lequel candidater ? Est-ce qu’ils se complètent ? Outre ce travail, se finalise celui du référencement Ségur pour les logiciels du médico-social qui devrait aboutir au cours du premier semestre et solidifier le choix des porteurs de projets.

« L’enjeu en 2023 est de faire branche », ajoute Gauthier Caron Thibault, responsable du pôle Prevention et Appui à la transformation de la CNSA. « C’est un vrai défi pour la Caisse et la branche Autonomie. Les départements seront plus systématiquement associés au choix des projets. Si nous avons réussi à mailler le territoire de communautés professionnelles avec les groupements Grades et les collectifs SI, dans les Agences régionales de santé (ARS). Il faut maintenant faire de même avec des référents dans les conseils départementaux », développe-t-il. Ces collectifs, pas toujours homogènes dans leur organisation comme dans leur appui, sont néanmoins appréciées. « Nous jouons un rôle de facilitateur (accès à l’information, acculturation et compréhension des enjeux) mais aussi d’accompagnement des projets, détaille Marine Réquillart. Nous commençons aussi à avoir une fonction de capitalisation des enseignements des premières vagues pour faciliter le chemin aux autres. »

Quid du social ?

2023, année de la maturité ? « L’encre n’est pas encore sèche sur tous les sujets. C’est davantage l’année de l’ouverture. On sort des champs personnes âgées et handicapées pour faire entrer ceux des personnes en difficultés spécifiques et de la protection de l’enfance », analyse Marine Réquillart. Le cahier des charges du référencement pour ces derniers a été finalisé et celui des secteurs Protection juridique des majeurs et Accueil-HébergementInsertion est en cours d’arbitrage. « Ce plan a été conçu sans intégrer le secteur social dès le départ. Même si le coup a été rattrapé puisque l’ensemble des établissements est désormais concerné, dans les faits peu ont émargé car le dispositif de référencement n’est pas finalisé et actionnable par tous aujourd’hui », regrette Charlotte Pentecouteau. Résultat : 80 % des structures sélectionnées dans les appels à projets régionaux sont issus du domicile et du handicap, quand ce dernier a répondu en majorité aux appels nationaux. Le risque ? Que les derniers aspirants ratent la fenêtre de tir. « Ce n’est pas simple pour ces établissements éloignés du sanitaire de concevoir des usages compatibles avec leur pratique. Et le social a aussi ses propres données sensibles. Un travail colossal s’engage alors que le calendrier du programme ne bouge pas et que les crédits risquent de fondre », s’inquiète Jonathan Reiss. Surtout que les financements destinés au soutien des petits organismes, en particulier pour l’équipement matériel, sont déjà largement entamés pour les deux premières années du programme. Aussi, Philippe Passis, directeur de groupement de moyens Ressourcial, recommande « d’envoyer le plus vite possible un dossier suffisamment ficelé pour entamer un dialogue avec l’ARS et maximiser ses chances d’être retenu ».

Le défi de la mutualisation

« Le plan ne pourra pas être la voix unique. D’où l’importance de capitaliser sur les expériences en cours », pointe Marine Réquillart. Sur le terrain, les premières leçons sont déjà tirées. Au rang des principaux enjeux, la mutualisation demandée aux structures pour candidater en se joignant en « grappe ». Avec un passage obligé de diagnostic individuel, « pour connaître sa trajectoire et ne pas faire courir de risque au projet collectif », insiste Marine Réquillart. Si la mutualisation est un vecteur facilitant la structuration des fonctions SI, elle nécessite une gouvernance solide : « Il faut un engagement réciproque, définir la solidarité autour de l’atteinte collective des objectifs. Car, il y a aussi la question de l’après – gérer le DUI – et personne ne pourra pas y arriver seul. » Autre impératif : bien choisir et définir le rôle du porteur de projet. « C’est une responsabilité. Je suis l’interlocutrice principale de l’ARS, chargé d’animer la grappe, témoigne Marie-Aude Mathieu, directrice des établissements et services de l’association AideraVar. Une fois retenue, j’ai plaidé pour que nous prenions une assistance à maîtrise d’ouvrage qui s’est vite avérée indispensable

Un paramétrage délicat

Ce fonctionnement en grappe « n’est pas juste un vecteur financier mais une vraie rencontre qui peut déboucher sur d’autres mutualisations, ajoute Marie-Aude Mathieu. Il n’y pas de mariage par une fusion ce qui permet de construire une relation de confiance sans fausse promesse. » Mais la coopération n’est pas toujours simple quand des établissements de champs différents doivent s’accorder sur une même solution logicielle. « Il faut se dire que ce projet doit tenir dans la durée et que nous sommes tous interdépendants. Il faut être au clair par rapport aux publics que l’on accompagne et il est vrai qu’une certaine homogénéité aide », souligne Marie-Aude Mathieu. 

Les dix-sept établissements de sa grappe s’adressant à des publics avec des troubles autistiques ont réussi à trouver un terrain d’entente, quand une organisation tournée vers des adultes handicapés et âgés a quitté le groupe faute d’y trouver son compte. « Il faut prendre le temps de confronter nos besoins à ce que propose les éditeurs et ne pas hésiter à demander des adaptations sans lâcher et en priorisant. » Mêmes échos du côté du groupement de coopération sociale et médicosociale (GCSMS) Autisme France qui s’est lancé en 2021. « Tous nos besoins n’étaient pas les mêmes mais le fait que certaines structures utilisent déjà le logiciel a permis de trouver un consensus, relate Jocelyn Sirvent, directeur de l’établissement d’accueil médicalisé Saint-Vincent de Montréal (Aude). C’est un enjeu pour l’éditeur : adapter l’outil pour qu’il soit suffisamment agile pour répondre aux exigences de chacun. »

Car l’étape suivante, elle aussi ardue, est celle du paramétrage du système en fonction des besoins. « Un service d’accompagnement à la vie sociale va beaucoup utiliser la fonction calendrier et moins celle de la transmission, quand c’est l’inverse pour une structure de l’hébergement », illustre Claire Bout, chargée de projet pour l’association varoise Phar83. Pour ses raisons, l’association Vivre et Devenir, candidate en 2021 en Île-de-France, a choisi d’avoir un tronc commun sur l’ensemble de ses établissements pour harmoniser les pratiques, puis déployer en deux phases un modèle « adulte » pour ses foyers et maisons d’accueil spécialisées et un autre dédié aux instituts médico-éducatifs et service d’éducation spéciale et de soins à domicile.

Miser sur les cadres intermédiaires

Les acteurs voient arriver d’un œil vigilant, mais aussi impatient, le temps concret du déploiement et de la formation des équipes. « L’accompagnement des usages est l’enjeu principal. Mais on se heurte au fort turn-over des équipes. Nous avons opté pour une formule mixte : trois journées de formation pour tout le monde et cinq jours pour des personnes ressources », explique Jean-Marc Soulard, directeur délégué au Développement et coopérations du GCSMS Autisme France. La stratégie d’installer des référents en établissement fait mouche sur le terrain, tout comme celle de bien choisir son chargé de projet, pour qu’ils embarquent les équipes. « C’est complexe de trouver le mouton à cinq pattes qui saura jongler entre les associations avec parfois un usage numérique faiblard. Nous sommes sur un CDD qui nécessite des déplacements dans quatre départements… », pointe Claire Bout. L’association Vivre et Devenir a misé sur un « profil atypique». « C’est une ancienne accompagnante éducative et sociale qui a une connaissance fine du travail des équipes. Cela fonctionne bien car cette personne parle le même langage, est à l’écoute des besoins et a une légitimité », observe Adeline Cousty, directrice Qualité de l’association. Quand Claire Bout, en attendant ce recrutement, maintient tous les lundis son webinaire sur un thème du logiciel pour répondre aux questions pratiques et ouvrir des perspectives sur son utilisation. « Les chefs de service sont la pierre angulaire. Sans cadre intermédiaire qui portent le projet, vous n’avancez pas », avertit cette dernière. « Il faut s’accrocher et ne pas perdre le fil de l’animation car ce chantier bouleverse les équipes. Il y a un énorme travail à faire sur la plus-value pour donner du sens. Et la cheville ouvrière est le chef de service », surenchérit Marie-Aude Mathieu. Cette dernière voit déjà arriver le prochain challenge, celui de la vérification des usages : « C’est un peu le stress, car 20 % de notre enveloppe financière dépend de ces résultats. » Et de livrer un dernier conseil : s’armer de patience au gré des étapes fastidieuses. Depuis le lancement du programme, seuls vingt-trois établissements et services ont totalement achevé leur déploiement. 

Laura Taillandier

« L’occasion de mettre à niveau de notre système de sécurité »

Jean-Marc Soulard, directeur délégué au développement, Autisme France

« Le plan numérique était une occasion à saisir pour que la moitié des 32 établissements de la grappe monte en version sur son logiciel et que l’autre l’acquiert. Nous avons choisi de mettre une partie des financements sur notre système de sécurité après une série d’audits sur le règlement général sur la protection des données. Nous n’étions pas au niveau des attendus sur tout l’arsenal, avec des failles béantes. Seul, il est impossible de gérer un système de sécurité de haut niveau. Nous avons donc opté pour la mutualisation pour passer en norme « hébergeurs de données de santé ». Grâce à un mécénat de compétences la DSI du groupe Safran pour guide avec des prestataires. Les prix varient de 1 à 5. Nous avons besoin de nous faire aider. À chacun son métier ! »

Publié dans le magazine Direction[s] N° 218 - avril 2023






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