Cour administrative d'appel de Nancy, 30 mai 2011, Philippe A… c/ Centre hospitalier de Gérardmer, n° 10NC01016
« Considérant que même si elles impliquent l'élaboration d'un contrat de séjour ou d'un document individuel de prise en charge, les dispositions précitées de l'article L311-4 n'ont pas pour objet ni pour effet de placer la personne hébergée dans un établissement médico-social dépendant d'un centre hospitalier dans une situation contractuelle vis-à-vis de cet établissement »
Les faits
M. A…, familier d'une personne âgée accueillie dans un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehapd) adossé à un centre hospitalier, s'abstient pendant huit mois de payer le prix de journée relatif à l'hébergement. Le comptable public émet huit titres de perception, dont l'intéressé demande la décharge. Le tribunal administratif de Nancy rejette la requête, et M. A… interjette l'appel.
Ce dernier soutient d'abord que si la résidante a nécessairement un lien contractuel avec l'établissement, en l'espèce elle n'a souscrit aucun engagement financier. Mais il fait également valoir que, compte tenu de son état, elle n'avait pas la capacité pour souscrire un engagement contractuel. En réponse, l'hôpital fait valoir qu'il ne saurait être question, pour les usagers d'un service public administratif, d'être liés à l'administration par un contrat. Il ajoute que le seul fait matériel de l'accueil fait naître l'obligation de payer les frais d'hébergement. Enfin, il prétend que M. A… s'est opposé, en son temps, à la signature du contrat de séjour.
La cour administrative d'appel de Nancy interprète l'article L311-4 du Code de l'action sociale et des familles (CASF) pour en fixer la portée. Et affirme qu'en dépit de ce texte législatif, il ne peut exister de lien contractuel entre un résidant et l'Ehpad dépendant d'un hôpital public ; le contrat de séjour constitue ici un document à caractère seulement informatif. Relevant qu'en l'absence de contrat signé, la résidante n'a été convenablement informée ni des conditions de prise en charge, ni du coût des prestations, la cour retient l'existence d'une faute de service, justifiant que 10 % des sommes dues restent à la charge de l'établissement.
L'analyse
Alors que le Conseil d'État n'a pas encore rendu d'arrêt de principe sur la portée du contrat de séjour dans un établissement de droit public, la solution retenue par la cour administrative d'appel de Nancy présente deux intérêts.
Le premier est que cette décision exprime, pour la première fois, le refus d'un juge administratif de reconnaître la valeur contractuelle du contrat de séjour dans un établissement médico-social public. Précédemment, deux arrêts émanant d'autres cours avaient consacré, implicitement puis explicitement, la portée contractuelle du contrat de séjour, l'absence de signature d'un tel contrat justifiant la décharge intégrale des titres de perception (1). La cour de Nancy opère donc un revirement, prenant en compte le principe selon lequel l'usager d'un service public administratif se trouve nécessairement placé, à l'égard de l'administration, dans une relation « légale et règlementaire » ou encore « statutaire », sans jouir d'aucun droit acquis au maintien des règles d'organisation et de fonctionnement du service. L'arrêt souligne ainsi un des hiatus du régime juridique du contrat de séjour, qui n'avait pas posé problème aux cours de Nantes et de Bordeaux puisqu'elles avaient reconnu la portée contractuelle du lien résidant/Ehpad, alors que l'organisme gestionnaire était un centre communal d'action sociale (CCAS), établissement public administratif par détermination de la loi (2).
Le second intérêt de cet arrêt est qu'il inscrit le contentieux résidant/établissement dans le champ de la responsabilité extracontractuelle. L'absence de contrat signé – et, même si cela est implicite dans l'arrêt, de document individuel de prise en charge (DIPC) – caractérise la faute de service et engage la personne publique à verser une indemnisation au résidant pour réparer les conséquences dommageables du défaut d'information. L'application de ce mécanisme conduit à un partage de responsabilité très inégal puisque le résidant ne bénéficie d'une décharge que de 10 % des frais de séjour ; pourtant, aux termes des articles L311-4, D311 et L432-1 et suivants du CASF, l'obligation de conclure un contrat de séjour pèse exclusivement sur l'organisme gestionnaire, sous peine de sanction pénale (3).
Les conséquences
Il est opportun que les directeurs d'établissements médico-sociaux publics veillent à une convenable remise du règlement de fonctionnement, ainsi qu'à la signature du contrat de séjour. Ou, à défaut, à la remise d'un DIPC, la communication de ces informations devant être assortie d'une preuve formelle.
(1) CAA Nantes, 18 mai 2007, René X… c/CCAS de Saint-Malo, n° 06NT00419 ; CAA Bordeaux, 9 mars 2010, CCAS de Mimizan c/Mme X…, n° 09BX01402
(2) CASF, article L123-6
(3) CASF, article R342-1
Olivier Poinsot, avocat au barreau de Montpellier, chargé de cours à l'EHESP et à l'IAE de Toulouse
Publié dans le magazine Direction[s] N° 88 - octobre 2011