« Pour un accompagnement du soir à l’aube » : c’est ainsi que les équipes de l’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) Les 7 Rivières nomment en interne leur pôle d’activités et de soins adaptés (Pasa) de nuit. Une touche poétique qui tranche avec la sobriété toute institutionnelle de l’acronyme originel. Et c’est peut-être pour remettre précisément un peu de poésie et de sérénité dans le quotidien des usagers que les professionnels de cet Ehpad public, situé à Bédarrides, dans le Vaucluse, ont retroussé leurs manches.
Remédier aux troubles du sommeil
L’histoire commence en juin 2017. Au deuxième étage – où logent près d’une trentaine de personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer et de troubles apparentés –, un agent de nuit vient alors renforcer les effectifs, dans la tranche horaire entre 19 heures et 5 heures du matin. Le rôle de cet agent un peu spécial ? Prêter une oreille attentive à ces usagers, leur proposer des animations de nature à les apaiser, ou tout simplement être là, à leurs côtés, en cas de réveil ou d’angoisses nocturnes. « C’est en réalité une résidente qui est à la genèse du dispositif, relate Maryse Godet-Cicard, cadre de santé. Quelques temps après son admission, elle rencontrait d’importants troubles du sommeil. Nous étions dans l’impasse. Puis nous nous sommes rappelés qu’à son arrivée, une façon de la tranquiliser avait été de rester à ses côtés pour l’aider à s'endormir. Nous ne comptions alors que deux agents de nuit pour près d’une centaine de résidents, et avons donc décidé de dédier un professionnel supplémentaire à l’étage des personnes avec Alzheimer. »
Un peu plus tard, lors d’une réunion sur le projet d’établissement avec l’agence régionale de santé (ARS) de Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca), cette expérience est mentionnée par l’équipe au détour d’une discussion. « Nous l’avions dénommée Pasa de nuit, en référence au dispositif de jour déjà existant dans la structure, indique Éric Matteo, directeur de l’Ehpad. Et nous avons reçu une écoute attentive de la part de l’ARS, qui a soutenu notre initiative. » Si le dispositif a été baptisé Pasa de nuit, de façon à être aisément identifié au plan institutionnel, il n’est néanmoins pas implanté dans une aile spécifique ou un lieu différencié, mais directement à l’étage de vie des résidents.
Une agente en pyjama
Particularité du dispositif ? L’agente de nuit est en pyjama. Une façon plus décontractée d’envisager le rapport aux usagers, leur permettant également de se repérer dans le temps. En cette nuit de septembre, c’est Marine Enderlin, aide-soignante et par ailleurs assistante de soins en gérontologie (ASG), qui officie au deuxième étage. Cheveux courts, sourire aux lèvres et haut de pyjama gris estampillé « Guns n’ Roses » sur le dos, elle vient saluer les résidents dans leur chambre, puis prépare de la tisane, qu’elle distribue à ceux présents dans la salle commune, un mot aimable pour chacun. Beaucoup de douceur et de parole chez cette professionnelle du care, dont les gestes délicats et la démarche sereine ont un effet apaisant immédiat. « L’ambiance est totalement différente de nuit, glisse la jeune femme, qui travaillait il y a encore quelques mois en journée. La tombée du jour peut susciter des angoisses, le but de ma présence est donc de rassurer personnes. Ce qui me plaît, c’est de pouvoir prendre le temps pour elles, ce qui est plutôt rare dans des institutions où tout est habituellement chronométré. Le fait de ne pas être en tenue supprime aussi la barrière soignant-soigné. »
Respecter le rythme de chacun
« L’objectif principal du dispositif est de respecter le rythme du résident, pointe le Dr Jean-François Laurent, médecin coordonnateur de l’Ehpad. Ce, en toute bienveillance, en ne lui imposant pas une heure de dîner ou de coucher par exemple. » « C’est une prise de soins singulière, non formatée, abonde Maryse Godet-Cicard. La philosophie n’est justement pas de tomber dans des protocoles, mais véritablement de s’adapter à chacun. » Les activités de la soirée ne sont pas établies à l’avance, mais plutôt au gré des besoins et envies exprimés : jeux de société, visionnage d’émissions, musicothérapie… Un chariot de stimulation multi-sensorielle Snoezelen est également à disposition à l’étage. L’agente du Pasa de nuit peut en outre s’appuyer sur Cécile Carretero, psychomotricienne, qui assure un rôle de suivi et de conseil en matière d’accompagnement.
Il est environ 21 h 30 lorsque Marine Enderlin propose un atelier autour de photographies aux quelques personnes attablées : le but est de susciter l’échange, de ranimer des souvenirs anciens… Ou tout simplement de partager des moments de convivialité – telles ces deux résidentes s’extasiant devant la chevelure ondoyante de Brigitte Bardot, sur un cliché en noir et blanc des années 1960.
Mais le dispositif ne serait pas complet sans Nemo. Membre à part entière de l’établissement, le jeune chien vadrouille gaiement dans les allées de l’étage, toujours preneur d’une caresse au passage. Il a notamment aidé une résidente à cesser ses déambulations nocturnes : comme chaque soir, Nemo est ainsi au rendez-vous, déjà couché sur le lit, aux pieds d’Arlette, qui l’attendait.
Un appel à projets régional
« Les professionnels intervenant au Pasa de nuit sont tous des volontaires. Ils ont à la fois l’expérience et l’envie de travailler au contact de résidents atteints d'Alzheimer, indique Laurène Pauzat, infirmière coordinatrice. Ce rôle n’est pas inné, il exige une sensibilité particulière à la problématique. » « Le dispositif ne devrait finalement pas être un projet isolé, mais la normalité », esquisse Éric Matteo.
Cette présence rassurante d’un professionnel chaque nuit a eu des effets aussi tangibles que rapides : réduction des troubles du comportement en journée, mais aussi baisse drastique des prescriptions médicamenteuses, ou encore diminution des chutes nocturnes. Lesquelles ont même disparu après quelques mois de fonctionnement – ce qui a réduit d’autant les appels aux urgences et les hospitalisations de nuit des résidents de l’étage…
Au vu de ces résultats, l’équipe ambitionne d’ailleurs d’étendre le Pasa de nuit sur une plage horaire plus longue (jusqu’à la relève de 7 heures du matin), voire à d’autres étages.
L’initiative de l’Ehpad Les 7 Rivières a même conduit l’ARS à lancer, fin 2017, un appel à projets régional, afin de développer ce type de dispositif de nuit : 21 structures ont été retenues pour une expérimentation menée sur deux ans, dont évidemment l’établissement précurseur de Bédarrides.
Le Pasa de nuit a en outre un impact positif au-delà des usagers. « Il y a eu aussi un effet bénéfique chez les professionnels, relève Laurène Pauzat. On observe moins d’arrêts de travail, moins de cas d’épuisement et moins de rotations de personnel… » « On en a vraiment besoin, confirme Marie-France Truphemus, aide-soignante. La différence est visible en journée, où les résidents sont plus apaisés qu’auparavant. » « Cela a indéniablement contribué à soulager les équipes, en déculpabilisant notamment les agentes qui partent vers 21 heures, car même si des personnes ne sont pas couchées à la fin de leur service, elles savent que le Pasa de nuit prend le relais (lire l’encadré), complète Maryse Godet-Cicard. En remettant l’humain au centre, ce dispositif redonne du sens au travail accompli en Ehpad. Cela ne nécessite pas forcément des moyens démesurés, juste du bon sens, pour assurer une présence auprès de l’usager à des moments-clés. » Et de lancer, dans une allitération spontanée : « Les professionnels ne pourraient plus se passer du Pasa… »
Justine Canonne. Photos : William Parra
« Un impact positif pour les équipes de jour »
Guilaine Moreau, aide-soignante de l’Ehpad
« J’interviens auprès des résidents de l’Ehpad soit en matinée, soit en soirée jusque vers 21 heures. Le Pasa de nuit a eu un impact positif sur les équipes de jour. Quand je suis amenée à m’occuper de mettre au lit les personnes du deuxième étage, je les trouve vraiment apaisées. Cela rend les couchers plus faciles, alors qu’avant c’était un moment assez redouté pour nous, l’équipe soignante, à cause des nombreuses déambulations de certains résidents. C’est aussi moins difficile pour les toilettes du matin, l’environnement est plus calme… Comme leurs troubles du sommeil se réduisent, ils dorment aussi plus longtemps qu’avant. Ils sont en réalité à leur rythme, et cela fait toute la différence. »
En chiffres
- 98 lits à l’Ehpad, dont 3 réservés à l’hébergement temporaire.
- 75 % des résidents de l’Ehpad présentent des troubles cognitifs.
- 20 à 30 personnes composent la file active du Pasa de nuit.
- 100 000 euros par an versés par l’ARS pour financer ce dispositif.
- 0 chute nocturne constatée trois mois après les débuts du Pasa de nuit.
Publié dans le magazine Direction[s] N° 179 - octobre 2019