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Détachement
Une brèche dans le corps des D3S

18/01/2023

Le passage des chefs d’établissements des foyers de l’enfance de la fonction publique hospitalière à la territoriale s’achève, non sans inquiétudes ni difficultés. La fragilisation de trop pour le corps des directeurs d’établissement sanitaire, social et médico-social (D3S) déjà en perte d’attractivité ?

Date à laquelle le détachement des directeurs des foyers de l’enfance dans la fonction publique territoriale devra être opérationnel ? Le 21 février 2023. Un transfert entériné un an pile auparavant par la loi n° 2022-217 relative à la différenciation, à la décentralisation et à la déconcentration (dite loi 3DS), et unanimement critiqué par les organisations représentant les personnels de direction de l’hospitalière. Car, si elle ne concerne que soixante-cinq d’entre eux, la gestion du dossier « révèle une certaine complexité » de l’aveu même du Centre national de gestion (CNG). Et pose surtout la question des marges de manœuvre des cadres sur le terrain. 

« Plus de garde-fous »

Objectif de cette réforme ? Conférer aux présidents des conseils départementaux un pouvoir hiérarchique sur ces directions de foyers, en leur donnant la main sur les recrutements et nominations. « C'est totalement paradoxale alors que l'État s’exprime pour reprendre la main sur la protection de l'enfance ! Ce n'est ni cohérent ni pertinent, sans apporter de plus-value, assène Jeanne Cornaille, déléguée nationale du groupe national des établissements publics Gepso, vent debout lors de l'examen parlementaire de la loi 3DS. C'est atypique pour nous de nous positionner sur un sujet statutaire. Ce qui montre que ce dossier est beaucoup plus compliqué. On craint en effet une confusion entre les enjeux de la politique départementale avec ceux de l’établissement, et un impact au final sur le parcours des enfants », poursuit-elle.

Des inquiétudes qui ont décidé Ludivine Martin [1], à la tête d'un établissement autonome, à prendre la tangente vers le sanitaire. « Les relations étaient déjà compliquées avec le conseil départemental. Nous avions des bras de fer, la collectivité étant sur une logique de places et nous sur celle de projets. Le directeur est pris entre le marteau et l'enclume : un contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens (CPOM) peu tenable et une équipe qui pousse à juste titre pour une amélioration des conditions d'accueil. La loi enlève tout garde-fous et je ne voulais pas me retrouver en conflit de valeurs », témoigne-t-elle.

Autres craintes des directeurs sur le terrain ? Leur position dans l'organigramme de l'établissement avec des adjoints, pour leur part toujours dans le giron de l'hospitalière, mais aussi vis-à-vis de leurs homologues du secteur associatif. « Le directeur, devenu agent du département, risque de ne plus pouvoir entretenir les mêmes relations avec ses pairs, sachant qu’il représente l’institution qui est leur autorité de tutelle et de tarification... », pointe Ludivine Martin. 

Quel régime indemnitaire

Comme elle, des managers ont préféré effectuer une mobilité vers d’autres d’établissement (hôpitaux, maisons de retraite, structures du handicap). Mais, pour l'heure, difficile d'établir un bilan. « Un point a été fait afin de comptabiliser les professionnels qui n’ont pas, à ce stade, effectué de demande de détachement : une vingtaine d’entre eux sont concernés et sont suivis de près par le CNG », précise ce dernier.

C'est que ce détachement recèle des particularités. Aux personnels de faire leur demande sur un grade et une durée, « sans cadre légal précis encadrant la marche à suivre », relève Philippe Guinard, délégué permanent du syndicat CH-FO. Après des atermoiements, la plupart des collectivités s’orienteraient vers le choix du corps des administrateurs territoriaux, celui plebiscité par les syndicats. Les fonctionnaires conservent le bénéfice du régime indemnitaire qui leur est applicable, s’ils y ont intérêt, et restent rémunérés par les départements ou les établissements publics des services de l’aide sociale à l’enfance. « Au départ, toutes les collectivités n'avaient pas la même perception. Il leur a fallu appréhender les spécificités de l'hospitalière et à nous de faire preuve de pédagogie », témoigne Sandra Fovez, permanente du Syncass-CFDT.

Quid de la réintégration ?

Autre problématique : la formation. Chaque directeur détaché bénéficie du plan de formation de sa collectivité, laquelle peut éventuellement décider de faire appel au Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT). Mais quid de la formation initiale de ceux nouvellement nommés ? « Dans la mouture initiale de la réforme, les directeurs n’étaient plus soumis à la formation à l’École des hautes études en santé publique (EHESP) et relevaient uniquement d’une nomination administrative par le président du conseil départemental, point sur lequel la loi est revenue en conservant cette obligation », souligne le CNFPT.

Reste la question de la durée du détachement, qui peut varier de un à cinq ans. « Difficile de se projeter sur les missions confiées quand ce n'est que pour deux ans. Ce n'est pas le temps de l'institution », souligne Sandra Fovez. Et, « quid du directeur au terme du détachement s’il ne veut pas intégrer la territoriale ou si la collectivité ne lui propose pas ? Des fonctionnaires vont peut être pointer à Pôle emploi, ce n’est pas anondin !, s'agace

Damien Lagneau, délégué permanent D3S du CH-FO. Un agent détaché un an devrait déjà commencer à se renseigner pour la suite... »

« C'est un peu la mort des D3S »

Un an après la loi, les inquiétudes sur l'après restent donc entières. « C'est un peu la mort des D3S, assène Jeanne Cornaille. On sait que l’hypothèse d’une intégration directe des directeurs et adjoints a été envisagée avant la version plus "light" du détachement des seuls chefs d'etablissement. Il y a un mouvement de fond... » Et Marie-Cécile Darmois, secrétaire nationale du syndicat des manageurs publics de santé (SMPS) de surrenchérir : « Une brêche est ouverte. Demain les adjoints, voire une partie du secteur du handicap ou du grand âge ? Avec la double tutelle, tout est ouvert. »

La crainte d'une perte d'attractivité supplémentaire du métier de D3S est aussi palpable. Il souffre d'une désaffection que la loi « Mobilité » de 2009 est venue accentuer en dopant les détachements dans le corps de directeurs hospitaliers (DH), dont le régime indemnitaire est plus satisfaisant. « Ces départs de D3S, suivis en général par une intégration, représentent un flux significatif d’abondement du corps de DH, confirme Lionel Pailhé, permanent du Syncass-CFDT. Même si quelques DH font le chemin inverse en dépit du sacrifice financier, ce phénomène montre bien les inconséquences statutaires. » 

L'enjeu de la revalorisation

Son syndicat et d'autres plaident toujours pour l'unicité du corps de directeurs, quand le SMPS campe sur ses positions : la solution est de revaloriser les D3S. « Le quotidien auprès de publics vulnérables avec un lien fort avec les familles des résidents est différent », juge Marie-Cécile Darmois. Le camp des « pro-unicité », sorti renforcé des élections professionnelles, entend bien profiter de l’entrée en vigueur au 1er janvier de la réforme de la haute fonction publique d'État qui acte le regroupement de quinze corps dans celui des administrateurs. « La solution trouvée n’est pas fantastique mais l’État a mis le paquet pour que les agents fassent le choix de ce corps unique attractif. Il faut une transposition adaptée à l’hospitalière pour ne pas créer de concurrence », promeut Philippe Guinard. « Il s’agit de ne pas de laisser les D3S en dehors de ce mouvement », surrenchérit Lionel Pailhé. Le gouvernement devait arbitrer sur la fusion D3S/DS [2] fin 2021, avant de renoncer. Cette année est la bonne, veulent-ils croire.

[1] Nom d'emprunt.

[2] Directeur des soins.

Laura Taillandier

Quel encadrement des mobilités ?

Pour les syndicats, l'accompagnement par le CNG des directeurs des foyers de l'enfance, et plus globalement des D3S détachés, n'est pas à la hauteur des enjeux. Car, si la mobilité et la diversification des parcours sont encouragées, le retour est problématique (réintégration dans l’établissement d’origine rarement possible, absence de sas) et certaines situations complexes (revirement de l’organisme d’accueil, non-renouvellement tardif...). Le suivi des mobilités sortantes et l’accompagnement anticipé au retour doivent être intégrés dans les chantiers d’amélioration du CNG, plaident les organisations. Comme le CH-FO qui recommande un entretien de carrière un an avant le terme. Réponse du CNG ? Il a vocation à accompagner les directeurs dans leur repositionnement, mais n'est pas le recruteur et ne peut intervenir au-delà de ses prérogatives. Ainsi, propose-t-il la possibilité d’un point carrière et met-il en relation des managers avec des recruteurs de manière ponctuelle. Pour les situations sensibles, le chef de département et son adjoint sont sollicités et les échanges trimestriels avec les syndicats permettent de faire un point régulier, précise-t-il.

Publié dans le magazine Direction[s] N° 216 - février 2023

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