Après celle des établissements pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), c’est au tour de la tarification des services de soins infirmiers à domicile (Ssiad) d’être rattrapée par la vague de la réforme. Celle qui vise l’efficience, c’est-à-dire l’équité dans la répartition des enveloppes et une meilleure adéquation aux besoins des usagers. Un double objectif incontestable et incontesté. « Les organisations concertées sont tout à fait favorables à une refonte du mode d’allocation des ressources dans ce sens. D’autant que le système actuel ne permet pas de tenir compte de la réalité de leur activité », explique Cécile Chartreau, conseillère technique de l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (Uniopss).
Les constats à l’origine de cette réforme – dans les tiroirs du gouvernement depuis fin 2006 – ne font pas débat : celui notamment d’obstacles à la bonne prise en charge des personnes nécessitant des soins importants (dits « cas lourds ») donc coûteux. Avec pour corollaires des refus d’admission, des compensations par l’accueil de « cas légers », une activité inférieure au nombre de places autorisées ou bien, simplement, la formation de déficits. Une étude (1), commanditée par les pouvoirs publics et conduite de mars 2007 à novembre 2008, a, d’ailleurs, entériné ce constat. Mais pas seulement… Elle concluait aussi que, si un tiers des services était déficitaire, un autre tiers recevait une dotation suffisante, et le dernier était… surdoté. Non sans susciter de vives réactions. La majorité des organisations pointant du doigt l’absence de représentativité de l’étude (échantillon de 36 Ssiad volontaires, soit 1,8 % des services et 2,4 % des places de l’époque). « C’est sur ces bases contestables qu’en octobre 2009 la Direction générale de la cohésion sociale [DGCS] nous a proposé une mise à plat de la tarification déjà validée par les ministères », déplore Aurore Rochette, déléguée santé et soins de la fédération Adessa À domicile. Un pan de l’objectif initial aurait-il été abandonné en cours de route ? « Alors que dans un premier temps, on nous avait fait espérer un forfait soins spécifique pour les “cas lourds”, les pouvoirs publics sont revenus en arrière au profit d’une réforme globale », rappelle Alain Villez, conseiller technique de l’Uniopss.
À marche forcée
À compter du 1er janvier 2012, la dotation globale des Ssiad sera progressivement transformée en dotation « mixte per capita » alliant un financement fixe pour les coûts de la structure, lié à la taille des services (score structure), et un financement variable, attaché aux caractéristiques des personnes (scores patients ou terrain). Le calcul du score global d’un Ssiad sera déterminé à l’issue des remontées d’une enquête réalisée pendant une période de référence. En fonction de l’objectif national des dépenses et de la valeur du point, chaque service se verra attribuer sa dotation annuelle.
Pour l’heure, les organisations concertées (2), qui opposent depuis plusieurs mois un front uni aux pouvoirs publics, ont réussi à arracher un délai d’un an pour l’entrée en vigueur du dispositif. Ainsi qu’une simulation à blanc (sans effet sur la tarification) pour 2011 afin de tester l’impact des modalités retenues sur le budget des 2 350 Ssiad. « Cela tombait sous le sens ! Une application en janvier prochain était irréaliste. Mais nous n’avons toujours aucune visibilité sur le paramétrage global », déplore Cécile Chartreau. Point sacrément épineux dans la mesure où la DGCS semble inflexible sur la date de sortie du décret modifiant cette tarification. Elle entend publier le texte d’ici… la fin de l’année. C’est-à-dire avant même les conclusions de l’enquête nationale. Celle-ci sera menée de mi-octobre à mi-novembre. Tous les Ssiad doivent y répondre, sur une semaine de référence de leur choix. Afin que les pouvoirs publics puissent disposer d’une remontée d’information exhaustive sur l’activité des services à partir de leurs données « patients ». Et connaître, dès 2011, les effets potentiels du mode de tarification retenu pour bâtir des scénarios pour le passage à la nouvelle tarification à partir de 2012.
Un jeu à somme nulle ?
Dès lors, quelles sont véritablement les marges de discussion ? « Le dialogue que les organisations souhaitaient engager avec la DGCS semble, pour une large part, inscrit dans l’abord de sujets de détail, non sur les principes de construction de la réforme », déplore David Causse, coordonnateur du pôle santé social de la fédération d’employeurs Fehap. Pression politique à l’heure où une autre réforme, celle de la tarification à la ressource des Ehpad, paraît s’enliser ? Quoi qu’il en soit, les organisations ne veulent pas laisser la DGCS « mettre la charrue avant les bœufs ». Encore moins lui donner un blanc-seing. Car le projet de décret est particulièrement peu prolixe. Présentée en juillet, lors de la dernière réunion de concertation, cette première mouture renvoie à de nombreux autres textes, qui ne seront peaufinés que… l’année prochaine. Certes, dans un courrier du 3 septembre, la DGCS indique aux organisations qu’elle donne suite à l’ensemble de leurs demandes concernant l’enquête, en prenant en compte certaines données (passage simultané de deux soignants, accompagnement de fin de vie, ancienneté moyenne du personnel soignant…).
Il demeure un point d’achoppement de taille : le financement de la réforme. « Nous ne sous-estimons pas les avancées obtenues, mais nous refusons d’avaliser un texte sans connaissance des arrêtés », complète Aurore Rochette. Les organisations entendent donc obtenir la garantie que la réforme ne se résumera pas à une redistribution des cartes entre services. Le courrier de début septembre n’est pas rassurant. La DGCS rappelle que « l’étude de 2007 indique que la réforme doit porter essentiellement sur une meilleure répartition des moyens entre les structures. » La messe est-elle dite ? « Nous craignons donc que la nouvelle tarification ne procède de débasages des uns au bénéfice des autres, alors que certains Ssiad bouclaient déjà leur budget grâce aux crédits non reconductibles. Or, cela n’est plus possible », s’alarme David Causse.
Enquête nationale de coûts
Devant tant d’incertitudes, les organisations ont donc décidé d’en référer aux ministres concernés. Et de marteler leurs revendications : report de la publication du décret, rebasage des services en difficulté, prise en compte des personnes handicapées… « L’objectif initial de la réforme étant de répondre à des besoins mal ou non couverts, nous allons demander des moyens additionnels », insiste Paloma Moreno, directrice du pôle action sociale et santé à l’union de l’aide à domicile UNA. « Une enquête nationale de coût pilotée par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, liée à une véritable étude de besoins, doit être un préalable », argumente aussi David Causse. Jérôme Antonini, directeur de la santé et de l’aide à l’autonomie de la Croix-Rouge française, résume : « Il s’agit de tenir compte de l’ensemble des contraintes des gestionnaires, afin de permettre aux Ssiad d’être le maillon essentiel de la politique de maintien à domicile, largement prôné par le gouvernement depuis le plan Solidarité grand âge 2007-2012. »
« Nous craignons donc que la nouvelle tarification ne procède de débasages des uns au bénéfice des autres. »
(1) "Les patients en services de soins infirmiers à domicile. Le coût de leur prise en charge et ses déterminants", sous la direction de Karine Chevreul, unité de recherche en économie de la santé d’Ile-de-France (URC Eco Idf).
2) Adessa À domicile, ADMR, AD-PA, Croix-Rouge française, Fehap, FHF, Fnaafp-CSF, Fnadepa, GIHP national, UNA, Unassi, Unccas, Uniopss.
Noémie Gilliotte
Point de vue
Jean-Marc Colin, conseiller territorial à l'Association des paralysés de France
« Il y a trois risques majeurs dans le cadre de la réforme de la tarification des Ssiad. En premier lieu, résumer cette réforme à une nouvelle répartition des moyens à enveloppe constante sans se soucier de savoir si elle est suffisante pour répondre aux besoins des usagers. Deuxièmement, en arriver à une gestion des politiques sociales sur la base d'indicateurs et de tableaux de bord déconnectés de tout dialogue de gestion. Enfin, céder à la pression de l'urgence. Car derrière la question ultra technique de la tarification, les enjeux sont éminemment politiques. Si au final les conditions d'accueil des usagers et celles de travail des salariés en font les frais, nous aurions raté l'essentiel. D'autant que cette réforme pourrait présager de ce qui attend d'autres structures du secteur du handicap. »
Publié dans le magazine Direction[s] N° 78 - novembre 2010