Et de deux. Le Conseil d'État a été saisi d'un nouveau recours contre les tarifs plafonds s'appliquant aux établissements et services d'aide par le travail (Esat). Déposé par cinq organisations, il fait suite à celui initié, fin 2009, par l'Association des paralysés de France (APF). « Notre premier recours contre l'arrêté fixant les tarifs plafonds pour 2009 n'est pas encore tranché. Nous renouvelons notre démarche contre celui du 3 août dernier, qui reconduit ces plafonds pour 2010. Mais, cette fois, nous ne sommes pas seuls », se satisfait Dominique Sigoure, conseiller technique à l'APF. L'association a battu le rappel. Et rallié quatre autres organisations : l'Uniopss, la Fehap, la Fegapei et l'Adapt (1). Ensemble, elles dénoncent la remise en cause des « principes fondateurs de la loi du 11 février 2005 et des dispositions de celle du 2 janvier 2002 ». Et demandent que cet arrêté soit remis à la concertation par la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS).
Tarification à la pathologie
Les tarifs plafonds – fixés annuellement par le ministère, et qui déterminent ensuite les dotations des structures – sont à l'œuvre dans les Esat depuis la campagne budgétaire 2009. Lors de la concertation sur le premier arrêté, une partie des fédérations avaient accepté des aménagements, via des plafonds différenciés en fonction des publics accueillis (lire ci-dessous). Une façon de « limiter les dégâts », à court terme. Aujourd'hui, les organisations remontent au créneau.
Leur premier grief concerne la logique de tarification à la pathologie ainsi sous-tendue. « C'est inadmissible. Cela va à l'encontre de la logique de compensation des besoins des personnes portée par la loi de 2005 », fustige Dominique Sigoure. « L'arrêté fait reposer la tarification sur une classification qui n'est pas reconnue en droit. En outre, il confie ce classement au directeur dont ce n'est pas la mission, ni la compétence, et qui n'est pas censé avoir connaissance des diagnostics du handicap des travailleurs », conteste Cécile Chartreau, conseillère technique à l'Uniopss.
Sélection des publics
Cette mécanique est également difficile à mettre en œuvre. Comment prouver qu'au moins 70 % des travailleurs sont infirmes moteurs cérébraux (IMC), souffrent de troubles autistiques, des conséquences d'un traumatisme crânien ou bien encore d'une « altération de leurs fonctions physiques » ? « Cela n'a aucun sens ! Les Esat n'ont pas forcément de médecin dans l'équipe et la décision d'orientation ne mentionne pas ces informations », insiste Dominique Sigoure. Mais ce n'est pas tout. Les représentants associatifs pointent du doigt le risque de sélection des publics accueillis. « Quel directeur ou gestionnaire avisé se risquerait à mettre la viabilité de son établissement en péril en accueillant une population pouvant le priver d'un concours financier ? », questionne Marie Aboussa, directrice du département gestion et gouvernance associative à la Fegapei.
Plafonds couperets…
« Le Code de l'action sociale a fondé la mécanique budgétaire issue de la loi 2002-2 et du décret budgétaire d'octobre 2003 sur le dialogue de gestion. Ce dispositif légal a été déconstruit par l'introduction des tarifs plafonds, sans clarification législative », précise Dominique Dusigne, conseiller en droit des usagers et des institutions à l'APF. Ce renversement de procédure budgétaire s'accompagne, en effet, de la mise en œuvre d'un état prévisionnel des dépenses et des recettes – en attente d'un arrêté – signant la fin de la procédure contradictoire. En outre, les établissements qui dépassent ces plafonds voient leur dotation gelée au niveau de l'année précédente, jusqu'à leur retour "dans les clous". Mais alors que la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) pour 2009 prévoyait la définition des modalités de convergence tarifaire, rien de tel n'est en œuvre. Dominique Dusigne complète : « La reconduction des budgets à l'identique pour les structures au-delà des plafonds correspond à une tarification d'office, sans rapport avec l'esprit de la LFSS. Les débats parlementaires évoquaient une convergence tarifaire dans le temps, non des tarifs couperets. » Sans compter que les plafonds 2010 sont strictement les mêmes qu'en 2009, sans prise en compte de l'inflation ni de l'évolution naturelle de la masse salariale. De quoi entraîner davantage de structures dans la spirale déficitaire.
… et budgets corsetés
« Nos budgets "État" 2010 nous sont parvenus que fin… 2010, rendant quasi impossible toute décision de gestion ou arbitrage, avec pour conséquence de reporter des difficultés sur les budgets économiques », explique Yanick Garnier, directeur de l'Adapt de Mayenne. Le contexte est peu enclin à l'optimisme. Entre 30 et 40 % des Esat seraient en déficit sur le compte social, voire également sur le groupe économique.
Quid des 138 Esat (environ 10 % des structures) dépassant les tarifs plafonds ? Dans un courrier en date du 1er décembre à la DGCS, les cinq partenaires fustigent le manque de transparence de l'administration. « Alors que nous demandions, depuis plus d'un an, les données de l'enquête annuelle auprès des Esat, nous n'avons eu, qu'il y a peu, la liste de nos 25 adhérents concernés, sans autre forme d'explication sur les données recueillies et les méthodes de traitement », déplore David Causse, coordonnateur du pôle santé-social de la Fehap. Le collectif demande ainsi une « étude nationale associant étroitement le secteur afin de déterminer objectivement les critères de formation des coûts de revient au regard des besoins de compensation ».
Bémol
Reste que ce chœur aurait certainement porté davantage s'il avait réussi à accorder plus de cinq voix… Car d'autres organisations, représentatives du secteur du travail adapté, n'ont pas rejoint ce concert de protestations. Comme la Fédération des Apajh, qui indique soutenir la démarche. « Il n'y a pas de compétition entre les organisations, précise son président Jean-Louis Garcia, mais un combat commun à porter contre l'administration. » Le président de l'Association nationale des directeurs et cadres des Esat (Andicat), Gérard Zribi, est beaucoup plus virulent. « Depuis le début, Andicat dénonce ces plafonds. Mais se focaliser uniquement sur eux est une grave erreur ! Du fait des enveloppes fermées, si le ministère les relève, des Esat non concernés seront ponctionnés. Le problème sera donc généralisé », fustige-t-il. En attendant une réforme globale, Andicat demande toutefois une réévaluation des tarifs et de l'enveloppe globale, afin de tenir compte de l'inflation et de la réalité des coûts des structures. Quant aux ressources financières nécessaires, l'association de cadres rappelle que les crédits 2011 intègrent une économie de 7 millions d'euros liés à la poursuite de la convergence tarifaire. « Pourquoi ne pas mobiliser une enveloppe Agefiph ou FIPH pour atteindre cette vérité des coûts ? », propose-t-il.
Même argumentaire du côté de l'union nationale représentative Unapei. « Nous ne nous associons pas à ce recours, même si nous sommes opposés à ce mécanisme de tarification à la pathologie, que, pour notre part, nous n'avons jamais avalisé. C'est sur le mode d'allocation des ressources que nous devons nous mobiliser », argumente Thierry Nouvel, directeur général de l'Unapei. Qui réclame, comme Andicat, des tarifs planchers. Autre urgence : une meilleure anticipation de la campagne budgétaire 2011.
Au final, les aspirations des différentes organisations semblent pouvoir converger. Le principal défi sera de réussir à parler d'une seule et même voix face aux pouvoirs publics. « Nous aurions souhaité un front associatif plus large pour ce recours. Mais nous avons bon espoir de travailler ensemble dans d'autres perspectives, répond Dominique Sigoure. L'APF convie l'ensemble des organisations, signataires ou non, à se réunir afin de travailler ensemble sur l'identification des déterminants des coûts et trouver un consensus large afin de faire des contreproposition aux pouvoirs publics. »
(1) L’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (Uniopss), la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne (Fehap), l’Association pour l’insertion sociale et professionnelle des personnes handicapées (Adapt) et la Fédération nationale des associations gestionnaires au service des personnes handicapées mentales (Fegapei).
Noémie Gilliotte
En chiffres
Comme en 2009, le tarif de référence 2010 par place autorisée en Esat est de 12 840 euros.
Mais, ces plafonds sont valorisés à :
- 16 050 euros pour ceux accueillant des personnes handicapées IMC ;
- 15 410 euros pour ceux accueillant des travailleurs présentant un syndrome autistique ;
- 13 480 euros pour ceux dont le handicap des usagers résulte d'un traumatisme crânien ou de toute autre lésion cérébrale acquise, ou ayant une altération d'une ou plusieurs fonctions physiques ;
Condition : que ces populations représentent au moins 70% des effectifs.
Pour ceux qui dépassent ce plafond, le forfait global 2010 correspond aux charges nettes autorisées au titre de 2009.
Arrêté du 3 août 2010
Le plan de modernisation de la DGCS
En juin 2010, lors de la restitution du rapport du cabinet Opus 3, la DGCS a présenté les axes du plan de modernisation et de développement des Esat. La première réunion du comité de pilotage s'est tenue en novembre 2010. Objectif : prioriser les chantiers et définir les modalités de travail pour 2011. Un groupe de travail se penchera sur l'accompagnement des travailleurs handicapés et l'adaptation de leurs parcours. Deux autres groupes, sur les relations avec le monde de l'entreprise (respectivement sur les questions de la formation des travailleurs handicapés et sur la réponse aux marchés). Un dernier groupe de préfiguration expertisera l'intérêt de créer un centre national d'appui et de ressources (Cnar). « Les Esat ne sont pas des structures vermoulues. Ce plan ne doit pas être un leurre. Ce serait une lourde erreur de susciter davantage de déception sur le terrain », avertit le président d'Andicat, Gérard Zribi.
Publié dans le magazine Direction[s] N° 81 - février 2011