Un total décalage entre les discours et les actes. La circulaire de campagne budgétaire 2011 des établissements et services médico-sociaux (ESMS) pour personnes âgées et handicapées a fait l'effet d'une douche froide. Voire glacée. Avec elle s'annonce, pour certains, l'une des pires campagnes qu'ait connu le secteur. Et ce, l'année même des débats sur la dépendance et de la seconde Conférence nationale du handicap, pourtant érigés en priorités présidentielles.
C'est donc avec un peu moins de retard qu'en 2010, que la Direction générale de la Cohésion sociale (DGCS) a dévoilé, le 2 mai, le texte qui précise les règles d'allocation budgétaire des ESMS. Pas de réelle surprise : la loi de finances pour la Sécurité sociale (LFSS) et la réunion du conseil de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) du 12 avril en laissaient déjà deviner les grandes lignes. En 2011, l'objectif national des dépenses de l'assurance maladie (Ondam) médico-social progresse de 3,8 %, essentiellement soutenu par les prévisions de création de places dans le cadre des plans nationaux (Alzheimer, Solidarité grand âge…). Une tendance qui cache cependant mal la rigueur des arbitrages, assumée par la directrice générale de la DGCS, Sabine Fourcade : « L'année va être difficile », concède-t-elle.
Austérité contre efficience ?
Première mesure de taille : l'augmentation de la masse salariale fixée à 1 %. Côté budget de fonctionnement, l'effet prix est verrouillé… à 0%. Des tensions en perspective, prédit le syndicat de salariés Syncass-CFDT, « qui pèseront d'abord sur les directeurs d'établissements chargés […] de mettre en œuvre des plans d'économies ». Conséquence mathématique ? Les taux de reconduction des moyens s'établissent à 0,75 % pour le champ des personnes handicapées et à 0,89 % pour celui des personnes âgées. « Une catastrophe, lance Thierry Nouvel, directeur général de l'Union nationale des associations de parents et amis de personnes handicapées mentales (Unapei). Ce texte marque une accélération du processus d'écrasement budgétaire qui mène nos associations dans l'impasse ! »« La moitié des structures de notre réseau ont aujourd'hui moins de 4 % de fonds propres », alerte Pierre Béhar, chargé du financement à l'Union nationale de l'aide, des soins et des services aux domiciles (UNA). Un état de cessation de paiement programmé.
Non-remplacement des absences, porosité des budgets.... Les variables d'ajustement sont quasi nulles pour les ESSMS. Pire, la circulaire vient confirmer l'encadrement strict des crédits non reconductibles (CNR), réservés aux dépenses non pérennes (lire encadré ci-dessous). « C'est la fin d'une importante marge de manœuvre, déplore Alain Villez, conseiller technique de l'Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (Uniopss). Les CNR servaient notamment à prendre en charge le dépassement sur les postes "actes infirmiers" dans les services de soins infirmiers à domicile. »
Autre mesure : la mise en réserve de 100 millions d'euros issus de l'Ondam médico-social, pour garantir la maîtrise des dépenses d'assurance maladie. « C'est un lourd tribut payé par le secteur médico-social, souligne David Causse, directeur du secteur sanitaire et médico-social à la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés non lucratifs (Fehap). Cette décision l'affecte bien plus que la part qu'il représente dans les financements de l'assurance maladie. » Et de dénoncer « la fongibilité asymétrique inversée » des enveloppes. Du côté du secteur de l'aide à domicile, la pilule a encore plus de mal à passer. « 100 millions, c'est exactement le montant du fonds d'urgence que nous réclamons pour aider les structures en difficulté », constate, amer, Pierre Béhar.
Strict suivi d'activité
Dans le champ du handicap, en 2011, l'objectif de la DGCS est clair : pas question de reproduire la surexecution (191 millions d'euros) survenue en 2010. Les agences régionales de santé (ARS) ont donc reçu des directives précises. L'activité des ESSMS sera examinée à la loupe et fera l'objet de remontées d'informations auprès de la DGCS, en septembre.
Les objectifs fixés dans le cadre du programme pluriannuel 2008-2012 sont poursuivis : 34,58 millions sont consacrés à la création de nouvelles places, financées sur six mois. Et non sur neuf, comme prévu initialement par la CNSA. « La loi de finances rectificatives et la LFSS ont respectivement décidé le prélèvement sur notre budget de 75 millions, destinés à abonder un fonds de soutien en faveur des départements, et de 93 millions d'euros pour le Plan d'aide à l'investissement, rappelle le directeur Laurent Vachey. Il nous a effectivement fallu trouver des mesures d'économies. »
Reste que pour les 14 organisations de la Conférence des gestionnaires issues du secteur du handicap, réunies le 10 mai dernier, 2011 confirme la tendance amorcée ces dernières années. « Tous les clignotants sont au rouge, assure Thierry Nouvel (Unapei). Y compris pour les associations sous contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens. Nombre d'entre elles partent déjà au contentieux. »
Année blanche pour la médicalisation
Même si dans le secteur des personnes âgées, les créations de places se poursuivent (financées aussi sur six mois), les mauvaises nouvelles s'accumulent. Au premier rang desquelles, l'arrêt de tout nouveau conventionnement. Motif : les 159 millions d'euros prévus à cet effet permettront uniquement la couverture des engagements contractualisés avant le 1er janvier… 2011. Fin 2010, quelque 1700 établissements (soit 60 000 places) restaient à conventionner. Un sujet de mobilisation pour Florence Arnaiz-Maumé, déléguée générale du Syndicat national des établissements et résidences privés pour personnes âgées (Synerpa) : « Depuis 2001, c'est la première année qu'un tel coup d'arrêt est opéré sur le processus de médicalisation. Il y a urgence : la moitié des établissements sont toujours signataires d'une convention tripartite de première génération et restent donc sous dotés. » Un avis partagé par Murielle Jamot, en charge du secteur médico-social à la Fédération hospitalière de France (FHF): « Si les établissements sont moins médicalisés, c'est toute la filière sanitaire qui sera embouteillée », prédit-t-elle. Et de s'interroger sur l'efficience globale d'une telle mesure.
Autre décision mal comprise : la pause décrétée dans la généralisation du tarif global. Une option pourtant destinée à assurer une meilleure gestion des crédits d'assurance maladie et à desserrer le carcan de la convergence. Un virage à 180 % de la part des pouvoirs publics ? Une mesure de bon sens, assure Virginie Magnant, sous-directrice des affaires financières à la DGCS : « Nous avons connu une forte accélération du nombre d'établissements optant pour la tarification globale. Au premier semestre 2009, 20 % des conventions de première génération comportaient un forfait global de soins… contre 40 %, six mois plus tard. Une évaluation est donc nécessaire pour s'assurer qu'il n'y a pas de surfinancement. » Les conclusions d'un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) sont attendues pour juin.
Dans ce contexte, la poursuite de la convergence tarifaire est « inacceptable », pour le directeur de la Fédération nationale avenir et qualité de vie des personnes âgées (Fnaqpa), Didier Sapy : « L'État change les règles du jeu en cours de route. À l'origine, la convergence faisait partie d'un dispositif "gagnant gagnant". Aujourd'hui, l'État ne signe plus de convention, décrète une pause dans la tarification globale et n'a toujours pas fait paraître de décret sur la réforme tarifaire. »
Fin des réserves de la CNSA
« Les difficultés du secteur ne résultent pas seulement de la crise, analyse David Causse. Elles sont également le résultat d'une stratégie délibérée, selon une logique d'arbitrages faits aux abois. » En ligne de mire, les restitutions successives de crédits à l'assurance maladie : 150 millions en 2009, 100 millions en 2010… « Depuis sa création, deux milliards ont été repris dans les caisses de la CNSA, chiffre Pascal Champvert, le président de l'association de directeurs AD-PA. Pourtant, l'État poursuit le processus de convergence censé lui rapporter environ 15 millions d'euros par an ! Où est la logique ? » L'association envisage d'adresser un recours gracieux au ministère pour suspendre l'application de cette circulaire. Définitivement jugée « calamiteuse ».
Gladys Lepasteur
Des crédits non reconductibles strictement encadrés
« Toute utilisation de crédits non reconductibles [CNR] aux fins de financement de mesures pérennes est strictement proscrite. » Cette année encore, conformément aux recommandations du rapport Igas/Igf de 2009, l'utilisation des CNR sera placée sous haute surveillance. La circulaire définit, en outre, cinq dispositifs spécifiques qui peuvent être financés par ces crédits. À savoir, la rémunération des professionnels de santé libéraux participant à l'une des commissions de coordination gériatrique en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ; le dispositif de formation des formateurs autisme (en droite ligne du plan autisme 2008-2010) ; la gratification des stagiaires d'une durée de plus de deux mois ; les mises à dispositions syndicales ; et certaines mesures d'investissement dans les Ehpad.
Publié dans le magazine Direction[s] N° 86 - juillet 2011