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Entretien avec le Dr Annick Deveau
«D’une logique de places à une logique de solutions»

07/09/2016

Proposer un nouveau modèle tarifaire des structures pour personnes handicapées. C'est la mission, de longue haleine, du projet Serafin-PH, dirigé par le Dr Annick Deveau. Elle revient sur les objectifs et les étapes à franchir afin de mettre en place une allocation des ressources plus équitable et facilitant les parcours.

Annick Deveau (DGCS) © Damien Grenon

Quelle est la mission du projet Serafin-PH [1 ]que vous pilotez ?

Annick Deveau. Notre ambition est de proposer, dans le champ des établissements et services pour personnes handicapées, une réforme de la tarification qui permette une allocation de la ressource plus équitable, davantage liée aux besoins des usagers et qui facilite leurs parcours. Cette réforme s'appuie sur les rapports des inspecteurs Laurent Vachey (IGF) et Agnès Jeannet (Igas) dans lesquels ils établissaient un certain nombre de constats, largement partagés, et émettaient des recommandations et des pistes plus opérationnelles [2]. 

Ils indiquaient en particulier que cela nécessitera du temps – sept à huit ans –, et conseillaient de procéder par étapes. La première phase vise à construire les outils qui permettront une allocation de ressources rénovée. C'est l'objet de notre feuille de route, validée par le comité stratégique du 26 novembre 2014, et qui définit nos chantiers sur environ trois ans. Ce n'est qu'ensuite que nous serons en mesure d’opter pour un modèle, d’en simuler les impacts (phase 2), puis de le déployer (phase 3).  Bien sûr, tout le monde espère qu’on ira plus vite, mais il est important d'avancer pas à pas.   

Tarification à la ressource, à l'acte, à la personne, à l'activité (T2A)… Vers quel modèle tarifaire pourrait-on s'orienter ? 

A. D. Il ne faut pas préempter le modèle, c'est trop tôt. Des travaux préalables indispensables doivent être menés. Quand j’entends des craintes d'orientation vers une tarification à l’activité, je réponds que je ne sais pas ! À titre d’exemple, la T2A implique un recueil d’informations et une codification à l'acte. Or, je ne connais pas de catalogue des actes d’éducateurs. Il ne peut y avoir de copier-coller d’un modèle sanitaire. Encore une fois, le choix n’est pas fait. 

Des leçons à tirer toutefois des expériences d’autres secteurs ou d’autres pays en matière de tarification ?

A. D.On se penche sur tous les modèles, leurs avantages et leurs inconvénients, etc., en France mais aussi à l’étranger. À Bruxelles par exemple, j’ai trouvé intéressant la grande souplesse en matière d'autorisation. Par ailleurs, les Belges ont mis en place un financement complémentaire attaché à la personne pour celles qui présentent des problématiques lourdes, complexes, difficiles… Nous prenons aussi contact avec les Japonais, qui ont mené récemment une réforme de la tarification afin de mieux connaître leurs indicateurs, ou encore avec les Québécois.

Allocation des ressources plus transparente, équitable, souple… Comment passer d’une logique de places à une logique de parcours ?  

A. D. Notre démarche part des besoins des personnes afin de définir la meilleure réponse à y apporter et en déduire des prestations. Cela permet ainsi de sortir de la logique de places pour une logique de solutions. C'est un changement de raisonnement pour beaucoup. Avant tout, construire un modèle tarifaire nécessite de définir une politique et une stratégie. Tout modèle tarifaire a en effet un impact extrêmement fort sur le rôle du secteur. Ici, il s'agit d'accompagner le virage inclusif, en favorisant le libre choix de la personne, au plus près du droit commun, en encourageant l'accompagnement à domicile ou d’autres formes plus souples. En même temps, il ne faut pas laisser au bord du chemin les usagers les plus lourdement handicapés, pour lesquels il y aura toujours besoin d’un accompagnement plus dense ou plus « institutionnel ».

C’est-à-dire conforter la constitution de plateformes de services et le fonctionnement en dispositifs ?

A. D. Exactement. Avec une organisation territorialisée afin d’apporter collectivement un ensemble de solutions aux personnes handicapées au plus près de leurs besoins. Il ne s’agit donc pas de fermer les établissements, ni de ne plus penser collectif. Mais ce sont des indications, des modalités d’accompagnement. Mais aussi l'un des enjeux des travaux de la démarche « Une réponse accompagnée pour tous ». 

Quels sont les principaux chantiers de cette première phase de Serafin-PH ? 

A. D. Elle vise à élaborer un référentiel tarifaire d’ici à fin 2017. Elle comprend des chantiers structurants : créer une nomenclature des besoins des personnes handicapées, une nomenclature des prestations, réaliser des enquêtes de coûts et préparer une étude de coûts, établir les liens entre besoins et prestations. Tout cela implique d'autres travaux transversaux, comme réfléchir au contenu des autorisations, œuvrer pour la consolidation de la dépense tous financeurs compris, s’assurer de la cohérence avec le tableau de bord de la performance, sans oublier la prise en compte des impacts en matière de systèmes d’information (SI) ou la conduite du changement. 

En janvier dernier, les deux nomenclatures ont été validées. À quoi servent-elles ? 

A. D. Elles constituent un vocabulaire partagé. Ce sont des catalogues permettant de décrire les besoins et prestations, directs (structurés en trois domaines : santé, autonomie et participation sociale) et indirects (comprenant le pilotage et les fonctions supports).

Ces nomenclatures n’ont pas vocation à ne servir qu'à des fins tarifaires. Tout le monde peut s’en saisir, et c'est déjà le cas. Par exemple, dans le cadre d'« une réponse accompagnée pour tous », elle aide certaines maisons départementales pour personnes handicapées (MDPH) à définir les plans d'accompagnement globaux (PAG). Des  gestionnaires s'appuient aussi sur ces outils pour répondre à des appels à projets. De la même façon, les équipes des établissements et services médico-sociaux (ESMS) peuvent les utiliser pour construire des plans d’accompagnement individualisé ou encore les projets personnalisés. Pour l'heure, elles n'ont pas encore fait l'objet d'un arrêté. Nous attendons pour cela les retours du terrain [3] afin d'apporter d'éventuels ajustements.   

Comment les articuler pour construire un référentiel tarifaire ?  

A. D. C'est ce à quoi nous devons nous atteler ! Le nœud du sujet est de réussir à faire le lien entre les besoins et les prestations, afin d'être capables de savoir si les sommes allouées à une structure sont adaptées vis à vis des prestations servies en regard des besoins des personnes. Or, ces derniers tels qu'on les exprime (accès aux soins, participation sociale, autonomie) n'ont jamais été recueillis sous cette forme dans les ESMS.

D'ici à décembre, nous aurons arrêté une méthodologie. Parmi les pistes possibles : nous appuyer entre autres sur des « sachants ». Par exemple, un directeur sait implicitement pourquoi il ne peut accueillir une personne du fait de certaines caractéristiques.

Parmi les chantiers 2016, figure le lancement d’une première enquête de coûts…

A. D.L’Agence technique de l'information sur l'hospitalisation (Atih) va mener auprès de structures volontaires formées (100 pour enfants et adolescents, et 20 pour adultes) une première enquête de coûts sur la base des budgets 2015. Aidées par des superviseurs, elles doivent répartir la part du budget affecté aux prestations de la nomenclature jusqu'à un niveau très fin. Les volontaires transmettront aussi les informations recueillies dans le cadre de l'enquête ES 2015, notamment les fiches descriptives des personnes accueillies. Nous aurons de premiers résultats au premier trimestre 2017. Nous préparerons simultanément la suivante, avec un panel élargi pour couvrir davantage de structures pour adultes.

Qu’en attendez-vous ? 

A. D.C'est une façon d'objectiver la manière dont se répartit le budget d'un établissement. 

Comme c'est une première, il ne faudra pas tirer de conclusions hâtives. Cela nous permettra également d’identifier plus précisément les principales prestations qui mobilisent la part la plus importante des moyens financiers, la répartition entre prestations directes et indirectes, le poids des transports (entre domicile et établissement, et pour des activités, signes d'une démarche inclusive). On aura aussi le coût de l'immobilier. Cela ne dira pas ce qu'il faut faire, mais permettra un premier état des lieux sur des bases comparables entre structures. 

En matière d’autorisation, quels sont les verrous à lever ? 

A. D. Actuellement, les autorisations contribuent au cloisonnement du secteur : en précisant les types de structures, les caractéristiques des personnes accueillies, les classes d’âge, elles morcellent les réponses et vont à l’encontre d’une organisation par dispositif, en plateforme. L'idée générale est d’évoluer progressivement vers des autorisations plus souples, plus larges. Après avoir consulté des représentants du secteur, la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) fera des propositions à l’automne.

Il s'agit aussi de définir quelles données doivent figurer absolument dans le fichier Finess, et lesquelles doivent être compilées ailleurs, par exemple dans un contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens (CPOM) ou d’autres SI comme les répertoires opérationnels des ressources (ROR) que les agences régionales de santé (ARS) doivent maintenant mettre en place. 

Cette évolution implique également de définir des modalités de compte-rendu de l'activité et du parcours de la personne. Cela pose aussi la question des lieux d'échange avec les usagers et leurs familles, et de la régulation des éventuelles tensions. 

Vous évoquiez le nécessaire travail de consolidation de la dépense. C’est-à-dire ?  

A. D. Concernant le budget national consacré à la politique du handicap, nous connaissons l'objectif global des dépenses (OGD), celles des départements via des enquêtes annuelles, etc. Mais il faudrait arriver à une vision consolidée rassemblant aussi les soins de ville et hospitaliers. C’est un enjeu en matière de promotion de l’accès aux soins des personnes handicapées, notamment en établissements. Cette vision permettrait aussi de suivre les transferts d'une enveloppe à l'autre en fonction de l'évolution des modes de prise en charge. Avec l’appui de la caisse nationale d'assurance maladie (Cnam), nous comptons mettre en place un SI (ResidESMS). Il existe déjà dans le champ des personnes âgées. Il est en cours d'extension pour les services de soins infirmiers à domicile (Ssiad), puis à l'ensemble du médico-social financé par l'assurance maladie en 2017.

Quid des structures qui se retrouveraient in fine avec des budgets à la baisse ?

A. D. On n'en est pas là ! On vise davantage de souplesse, dont le corollaire est le compte-rendu et plus de transparence. Lors des autres réformes tarifaires, des mécanismes de convergence ont été mis en place, parfois sur plusieurs années. Quoiqu’il en soit, il est important que celle-ci ne soit plus liée au strict coût moyen à la place par typologie d’autorisation. Cela n’est pas assez pertinent car cette dernière recouvre des modalités variées de fonctionnement pour répondre aux besoins des personnes parfois très différents.

Vos travaux ont-ils un impact sur le tableau de bord de la performance de l’Agence nationale d'appui à la performance Anap, en voie de généralisation ?

A. D. Un groupe ad hoc a comparé nos nomenclatures avec les indicateurs du tableau de bord. Ils ont proposé quelques ajustements qui seront testés à l’automne par une cinquantaine d'ESMS volontaires (et 500 ESMS en 2017). Si les changements s'avèrent pertinents, ils seront soumis à la validation du comité technique du tableau de bord, pour être opérationnels en 2018.

 

[1] Services et établissements : réforme pour une adéquation des financements aux parcours des personnes handicapées

[2] « Établissements et services pour personnes handicapées : offres et besoins, modalités de financement », octobre 2012 et « Mission d’assistance, modernisation de l’action publique, réforme de la tarification des établissements et services pour personnes handicapées », rapports de Laurent Vachey et Agnès Jeannet, Igas, juillet 2013

[3] Tout utilisateur des nomenclatures peut renseigner le questionnaire en ligne

http://goo.gl/forms/3RA8q9KcMJ

Propos recueillis par Noémie Gilliotte. Photos : Damien Grenon

Carte d'identité

Nom. Annick Deveau

Formation. Médecin général de santé publique.

Parcours. Ddass de Paris ; conseillère technique chargée de la psychiatrie infanto-juvénile à la Direction générale de la santé ; conseillère technique sur le handicap à la Direction générale des affaires sociales ; directrice du Centre technique national d’études et de recherches sur les handicaps et les inadaptations ; déléguée à la promotion de la santé et à l’action médico-sociale à l’AP-HP ; conseillère technique au secrétariat d’État aux Personnes handicapées (2002-2004) ; directrice adjointe de la Drass Ile-de-France (2004-2010) ;  directrice adjointe de la Direction régionale et interdépartementale de l’hébergement et du logement en Ile-de-France (2010-2014).

Fonction actuelle. Directrice du projet Serafin-PH à la Direction générale de la cohésion sociale.

Publié dans le magazine Direction[s] N° 145 - septembre 2016






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