Le secteur public du grand âge est invité au rassemblement. D’ici à janvier 2025, les Ehpad, petites unités de vie, accueils de jour et services à domicile autonomes relevant de l’hospitalière, devront avoir adhéré à un groupement hospitalier de territoire (GHT) ou à un nouveau venu : le groupement territorial social et médico-social (GTSMS). Ce dernier est créé par la loi Bien-vieillir, sous l’impulsion d’un amendement gouvernemental approuvé par les sénateurs. Motifs ? Les outils existants, facultatifs et perfectibles, sont insuffisamment utilisés : selon la chambre haute, 23 % des établissements et services médico-sociaux coopéraient au sein d’une forme de groupement fin 2022, quand le parc d’Ehpad publics « apparaît particulièrement atomisé ».
Une question de survie ?
« Si le regroupement est devenu obligatoire, c’est pour une question de survie. De plus en plus d’autorisations de petits Ehpad sont cédées au privé, associatif et lucratif, sans redevance de la part de ces entités », justifie Séverine Laboue, directrice du groupe hospitalier Loos-Haubourdin (Nord). Une tendance de fond, confirme Julien Blot, président du Groupe national des établissements publics sociaux et médico-sociaux : « Nous sommes dans un mouvement de concurrence globale, y compris au sein du public. L’union peut faire la force en permettant d’avoir une stratégie de territoire pour mieux répondre aux besoins. Le débat a porté sur le caractère obligatoire des regroupements et le nombre de places à atteindre, avec la crainte d’effets de seuils. Mais finalement, ce qui est le plus fragilisant c’est de rester mono-établissement. »
Le groupement apparaît aussi comme un atout pour aller vers une meilleure qualité : « L’un des directeurs peut se consacrer à des tâches RH, quand un autre se spécialise sur un sujet différent, comme l’éthique et la participation des résidents, qui exigent du temps. Un Ehpad autonome ne peut pas tout gérer en même temps », illustre Séverine Laboue. Un bon point également pour l’attractivité des métiers. « Le groupement permet à la fois de rompre l’isolement des directions et d'ouvrir des perspectives de mobilité et de carrière pour tous dans un périmètre géographique qui se tient », argumente la directrice.
L’idée ne fait néanmoins pas l’unanimité. « Nous n’avons pas d’hostilité à la coopération, mais il faut rappeler le contexte : cette loi "auberge espagnole" ne traite pas les problèmes principaux du secteur. On parle de "contraindre" les établissements à se rassembler et de gestion, non de politique gériatrique», pointe Damien Lagneau, délégué national du syndicat des cadres hospitaliers CH-FO. « Une coquille vide pour la recherche d’efficience dans un moment où les Ehpad sont tous dans le rouge. Cela laisse un goût amer, assène Prisca Ombala-Strinati, à la tête de deux établissements en Seine-Saint-Denis (93). On va juste transférer les difficultés à un mastodonte. »
Car la réalisation d’économies d'échelle ne serait pas non plus forcément au rendez-vous. « Au contraire, il s’agit de répondre à des ambitions plus élevées. Les groupements vont se traduire par des montées en compétences. Il faudra que les statuts suivent et que les changements soient pris en compte dans les contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens », insiste Julien Blot. « Regrouper permet d’être plus efficace, mais ce n’est pas ça qui redonnera du souffle aux structures, juge Pascal Champvert, président de l’association de directeurs AD-PA. Qui prévient : Créés dans l’idée d’être plus familiaux, les Ehpad ont été éparpillés par les pouvoirs publics. Il faut changer cela mais pas à marche forcée. »
Faire son choix
Premier choix ouvert aux acteurs : le GHT. Selon la Cour des comptes, le secteur médico-social ne compterait que 78 établissements membres d’un tel groupement. Qui a ses avantages comme ses inconvénients. « Le GHT a une vraie force de frappe administrative et permet de bénéficier de l’expertise du sanitaire, avec des protocoles aboutis ou l’accès à une filière ortho-gériatrique d’excellence, promeut Séverine Laboue. En revanche, dans un GHT très grand, à la sensibilité sanitaire, on ne peut pas dire que les sujets médico-sociaux, comme la dimension hôtelière (qualité de l'alimentation, protections hygiéniques...) soient la priorité. » Et de résumer : « Dans une superstructure, il faut une voix qui porte. »
Le GHT rencontre donc sur ce point une opposition du champ qui craint de voir son identité diluée. « Le sanitaire mange toujours le médico-social, synthétise Pascal Champvert. Le GTSMS, lui, ne nous pose pas de problème sauf à devenir une annexe de l’hôpital. Les Ehpad ne sont pas des lits d’aval », avertit-il. Ce second choix remplacerait les groupements de coopération sociaux et médico-sociaux (GCSMS) qui ont séduit jusqu’ici seulement 11,5 % des Ehpad. « Malgré des exemples plutôt réussis », rapporte pourtant Florent Aboudharam, expert à l’agence nationale de l’appui à la performance Anap. Le directeur d’établissement sanitaire, social et médico-social (D3S) invite « à titre personnel » à opter pour cette option, en nouant ensuite des partenariats avec le secteur hospitalier. Contrairement à son prédécesseur, « le modèle du GTSMS semble plus stabilisé et souple pour permettre aux Ehpad de se lancer. Il n’y a pas de contraintes sur un nombre maximum d’adhérents ou sur un territoire donné. Les établissements sont libres de choisir une fonction mutualisable parmi celles énumérées par la loi. Comme les achats, par exemple, pour avoir un même fournisseur, de mêmes pratiques et une même formation des équipes », explicite-t-il. Ses conseils ? Démarrer par des actions aux bénéfices immédiats comme la formation des agents qui simplifie la gestion des plannings. « La preuve par l’exemple peut donner envie d’aller plus loin. »
Sur le terrain, l’idée fait son chemin dans le Puy-de-Dôme par exemple. « Sur notre territoire, nous évoquons la pertinence de partager les coûts de l’évaluation qui implique une montée en compétences. Nous pourrions envisager ensuite la mutualisation des fonctions supports, des gardes ou des astreintes, du médecin coordonnateur…», développe Julien Blot, en direction commune d’un Ehpad et d’un établissement dans le champ du handicap. L’adhésion à un GTSMS est en effet ouverte aux structures autonomes de ce secteur d’activité, et le projet d’accompagnement partagé du groupement doit comporter une partie relative aux personnes handicapées vieillissantes.
Un « super directeur »
Reste une question qui fâche : celle du statut du directeur à la tête du GTSMS. La loi prévoit qu’un D3S soit nommé par l’agence régionale de santé, après avis du conseil départemental, sur proposition de l’assemblée générale du groupement. « Que le département regarde les projets, cela peut s’entendre. Mais la nomination est un symbole qui compte dans la bagarre entre les autorités. Les directions sont prises dans les mâchoires de l’insuffisance des financements », estime Damien Lagneau. « Quid du statut des adjoints si le directeur bascule super directeur ? C’est quoi diriger un Ehpad qui ne détient plus en propre ses autorisations ? », surenchérit Prisca Ombala-Strinati. Ce sujet peut faire grincer des dents, concède Séverine Laboue : « Les directrices et directeurs en poste peuvent avoir le sentiment, symboliquement ou juridiquement, de redevenir adjoints. Cela suppose un travail sur soi... » En revanche, moins d’inquiétude pour les sortants d’école. « C’est assez vertigineux de prendre la tête d’un Ehpad autonome en première affectation. Faire partie d’un groupement peut être rassurant », nuance-t-elle.
Et si le statut d’administrateur de GCSMS était peu incitatif, celui de « super directeur » « nécessitera une revalorisation à la hauteur de la tâche, sauf à accentuer l’hémorragie du corps », anticipe Alexandre Gris, délégué national du syndicat des manageurs publics de santé (SMPS). Point de vigilance, aussi : ne pas diminuer le nombre de directeurs de site. « Quelle que soit la configuration, la gouvernance ne marchera que si l’on s’entend sur le projet. Ce n’est pas simple de s’en remettre à quelqu’un. Pour l’instant, nous avançons à pas raisonnable pour préparer l’avenir et prendrons les décisions au moment de départs en retraite », admet Julien Blot. « Nous avons encore peu de détails pratiques sur la gouvernance. Le législateur entendra-t-il les appréhensions ? », questionne Florent Aboudharam. Réponse dans le décret d’application, qui était encore attendu mi-mai.
Laura Taillandier
« S’unir, une force pour les appels à projets »
Sylvain Guillaume, directeur de la résidence Le Grand pré, à Alboussière (Ardèche)
« Petit Ehpad de la territoriale de soixante lits, nous avons conclu un partenariat appronfondi avec un établissement de l’hospitalière. Ensemble, nous sommes beaucoup plus performants pour répondre aux appels à projets. Un mono-établissement a aujourd’hui peu de chances de les remporter. Nous avons un projet d’établissement et un comité éthique commun, une dizaine de prises en charge spécifiques sur les aidants, la médiation animale... Pour faire vivre le travail en commun, les directions doivent s'entendre, il faut des réunions très régulières et des formations permettant aux équipes de se connaître. Le plus dur ? Que la collaboration ne tienne pas qu’à des personnalités qui, ensuite partent, mais qu’elle s’inscrive dans le temps. »
Repères
1/5e des Ehpad mutualisent ses postes (Baromètre des Ehpad 2021, KPMG et CNDEPAH).
Bon à savoir : l’
Anap va ouvrir une communauté de pratiques professionnelles et un appui terrain en deux phases (faire émerger un projet dans un territoire et aider à la construction du groupement).
Publié dans le magazine Direction[s] N° 231 - juin 2024