La première convention collective unique (CCU) de la branche de l'aide à domicile (BAD) sera-t-elle signée d'ici fin 2009? Malgré les importants désaccords subsistant, le processus semble bien engagé. La majorité des partenaires sociaux espère parvenir rapidement à un accord pour une entrée en vigueur du texte début 2010. Si elle voyait le jour, la CCU constituerait une petite révolution pour une branche écartelée entre quatre conventions collectives (1) et dont l'unification est récente. Créée en 2004, l'Union syndicale de branche USB-Domicile ne rassemble en effet l'ensemble des fédérations d'employeurs (2) que depuis septembre 2008.
Se hâter avec lenteur
Regroupant près de 220 000 salariés, la BAD s'est construite depuis 1993 par une série d'accords collectifs repris dans le projet conventionnel. Mais ce n'est qu'en 2002 que les partenaires sociaux décident de faire de la signature d'une CCU leur priorité. Les premières commissions paritaires de négociation se tiennent en 2006. « La nouvelle convention ne pouvait pas être un empilement des quatre autres, souligne Claire Perrault, secrétaire générale adjointe de la fédération d'employeurs Fnaafp-CSF. Nous avons dû convaincre les syndicats de salariés d'accepter certains "reculs" et nous-mêmes avons fait beaucoup de concessions. Il nous a donc fallu deux ans pour parvenir à un consensus sur l'architecture du texte. » Pourquoi autant de bonne volonté ? La signature d'une CCU est, de part et d'autre, considérée comme indispensable. « Notre branche est à cheval entre le champ de la loi de 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale et celui - hétéroclite - des services à la personne, analyse Claire Perrault. Nous devons donc nous doter d'un outil juridique plus simple reflétant nos spécificités communes d'organismes non lucratifs. » Le contexte, incertain, joue aussi en faveur des négociations : « Entre le plan II des services à la personne qui favorise le gré à gré, l'inconnue du 5e risque, la constitution de conventions collectives dans le privé lucratif et les importantes difficultés de financement des structures, développer notre cohérence en interne et vis-à-vis de l'extérieur est indispensable », insiste André Perrier, président de la fédération d'employeurs Adessa. Autre raison d'accélérer la cadence : se mettre en conformité avant le 1er janvier 2010 avec les récentes règles sur l'emploi des seniors, pour éviter la taxe de 1 % sur la masse salariale (3). « Nous avons donc signé en janvier dernier un protocole prévoyant une signature dans l'année, puis nous avons doublé les commissions mixtes paritaires », rappelle Alexandra Godet-La-Loi, responsable des relations sociales au sein de la fédération d'employeurs À domicile.
Côté syndicats de salariés, la CCU est perçue comme une opportunité à plusieurs égards. « Actuellement, chaque convention a ses avantages, ce qui peut nous empêcher de parler d'une seule voix », estime Pascale Moreau, négociatrice pour la CFE-CGC, qui voit dans la convention le moyen d'être « plus groupés lors des futures négociations ». Le texte en préparation est également considéré par plusieurs syndicats comme un progrès social, sans illusions toutefois : « Il devrait permettre à tous les travailleurs d'être, au moins en théorie, traités à égalité et de se forger une identité commune. Pour autant, il est loin de régler tous les problèmes, notamment celui des salaires de la branche, qui demeurent très inférieurs à ceux des autres conventions du secteur social et médico-social », souligne Gérard Sauty, négociateur pour la CFTC. En effet, la future CCU n'apporte aucune nouveauté du point de vue des rémunérations puisqu'elle reprend intégralement l'accord collectif de 2002. Une décision commune destinée à limiter le risque de blocage des négociations. Alors que la renégociation de cette épineuse question était prévue pour 2007, elle est reportée à l'après CCU !
Accords...
L'un des principaux points d'accord trouvé concerne le paritarisme. La convention prévoit la création d'une association de gestion des fonds paritaires dont les statuts ont déjà été déposés. Objectif : financer les frais liés au dialogue social (coûts de déplacements lors des commissions, etc). « Une première pour le secteur », précise Laurence Jacquon, directrice adjointe de la fédération ADMR. Reste, toutefois, à s'entendre sur la question des chèques congés syndicaux, dont la disparition proposée par les employeurs suscite la colère des syndicats. La mise en place d'une complémentaire santé fait aussi l'unanimité. Si elle devenait obligatoire, celle-ci constituerait selon Emmanuel Verny, président de l'union nationale UNA un « vrai progrès » dans la mesure où « seuls 10 % des travailleurs environ sont couverts aujourd'hui ». Également bouclées ou presque : les dispositions sur la non-discrimination, sur l'égalité hommes-femmes ou encore sur l'emploi des personnes handicapées et des seniors.
... et désaccords
Les discussions butent surtout sur la durée et l'organisation du travail, notamment sur l'inscription ou pas dans le texte d'un temps minimal d'intervention au domicile des usagers. Les syndicats, CFTC et CFDT en tête, demandent un minimum de 30 minutes. « Certains plans d'aide élaborés par les financeurs prévoient des interventions d'un quart d'heure, ce qui entraîne de réels risques de maltraitance des usagers... et des travailleurs », souligne Maryvonne Nicolle, négociatrice pour la CFDT. Celle-ci en fait une condition sine qua non et a lancé mi-juillet une pétition sur le sujet pour faire pression sur les employeurs. « Impossible », rétorquent ces derniers, arguant que jamais les pouvoirs publics n'agréeraient une telle disposition. « Certaines interventions peuvent être très brèves, ajoute Emmanuel Verny. Il est vrai que des plans d'aide sont irréalistes, mais il est illusoire de penser que la CCU règlera cette question, qui ne pourra évoluer que dans le dialogue avec les financeurs. » Autre source de tensions, le travail de nuit, jusqu'alors absent des conventions. « Nous attendons un décret le réglementant, mais aucune structure ne peut financer 8 ou 10 heures de travail de nuit au tarif plein », insiste André Perrier. Face au tollé déclenché par leur proposition d'heures d'équivalence, les employeurs suggèrent désormais de distinguer permanents de nuit et intervenants occasionnels, mais selon des règles qui ne satisfont pas les syndicats. « Il serait possible de travailler 3 heures non consécutives par nuit 5 jours d'affilée, soit 15 heures par semaine, ce qui suppose de cumuler avec des heures de jour pour atteindre un salaire plein », s'indigne Josette Ragot, négociatrice pour Force ouvrière. L'amplitude des journées de travail, qu'USB-Domicile veut faire passer de 12 à 13 heures, ainsi que le travail du dimanche qu'elle souhaite voir autorisé un dimanche sur deux au lieu de quatre, déclenchent aussi l'ire des syndicats. Enfin, la proposition de 240 heures mensuelles d'astreinte pose également problème. D'autant plus que la CGC réclame sur ce point des majorations spécifiques pour les cadres, arguant que les astreintes sont plus contraignantes pour ces catégories par ailleurs trop oubliées dans la future convention... Suite des événements lors des prochaines séances de négociation prévues les 15 et 16 septembre prochain, où une nouvelle version du texte sera discutée. Et si un compromis était trouvé, reste à savoir si les autorités accepteront d'agréer et d'étendre cette convention, dont le chiffrage par un cabinet indépendant devrait être connu dans les semaines à venir.
(1) La convention collective nationale (CCN) du 11 mai 1983 pour l’aide ou le maintien à domicile, la CCN du 6 mai 1970 pour l’association de service à domicile ADMR, celle du 2 mars 1970 pour les techniciens de l’intervention sociale et familiale et les accords collectifs de l’Union nationale des associations coordinatrices de soins et de santé
(2) Aide à domicile en milieu rural (ADMR), Union nationale de l’aide, des soins et des services aux domiciles (UNA), Adessa, À domicile et Fédération nationale des associations nationales de l’aide familiale populaire (FNAAFP/CSF)
(3) Lire ce numéro p. 32
Tiphaine Boucher-Casel
Point de vue
Philippe Hédin, directeur de l'association La Vie à domicile (Paris)
« Cette convention unique va nous donner plus de visibilité, mais la version qui se profile est loin d'être parfaite. La question du personnel soignant pose problème : Dans ma structure, les salariés dépendent de la convention collective de 1951 de la fédération de gestionnaires Fehap plus avantageuse, et il me sera très difficile d'en recruter de nouveaux aux salaires de la branche à domicile. De plus, les solutions envisagées pour le travail de nuit sont insatisfaisantes. Si l'on estime qu'il y a des besoins la nuit, il faut en faire reconnaître le coût et payer les salariés pleinement, comme dans les autres secteurs économiques. L'argument misérabiliste du manque d'argent est irrecevable. Si la société dans son ensemble veut du personnel mieux formé et en nombre pour les personnes dépendantes, elle doit y mettre les moyens et considérer enfin les travailleurs concernés comme de vrais salariés rémunérés normalement. »