En toute discrétion. Telle a été la méthode adoptée par le gouvernement pour transposer en droit national la directive « services » - ex-directive « Bolkestein - (1) avant la date butoir du 28 décembre 2009. La majorité des États membres de l'Union européenne (Belgique, Suède, Allemagne, Espagne, Royaume-Uni, Pays-Bas...) ont choisi de traduire, au moyen d'une loi-cadre, ce texte qui ouvre le secteur des services à la liberté d'établissement et la libre prestation (2). Quant à la France, elle a opté pour une transposition « par morceaux », en distillant des dispositions dans divers textes de lois. En juin 2009, dans un rapport publié au nom de la Commission des affaires européennes sur l'état de la transposition de la directive « services", le sénateur Jean Bizet expliquait déjà les raisons de ce mode opératoire : « Cette méthode est sans doute moins lisible, tant pour les parlementaires que pour l'opinion publique, mais elle permet, en "technicisant" la transposition, d'éviter l'apparition de polémiques stériles. » Pour autant, le dossier des services sociaux d'intérêt général (Ssig) ne devrait pas échapper au débat parlementaire. Déposée par des députés socialistes, une proposition de loi visant à exclure clairement les Ssig du champ de la directive européenne sera examinée le 21 janvier à l'Assemblée nationale. Une initiative saluée par le collectif Ssig (3) qui voit là une occasion de mettre un terme à « la politique de la France consistant à ne pas traiter de cette question publiquement ».
Transposition technocratique
À la mi-décembre, soit quelques jours avant l'échéance fixée par la Commission européenne, les interrogations étaient nombreuses sur les conditions de la transposition. Les délais imposés seraient-ils respectés ? Quelle sera la liste des services sociaux inclus et exclus de la directive ? « Nous avons du mal à connaître l'état d'avancement des travaux du groupe de travail interministériel chargé de cette transposition », regrette Carole Saleres, conseillère technique de l'Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (Uniopss). Un sentiment d'exaspération partagé par Daniel Zielinski, délégué général de l'Union nationale des centres communaux d'action sociale (Unccas). « Le gouvernement a refusé un débat global sur la sécurisation des services sociaux d'intérêt général dans le paysage national. La directive « services" était pourtant bien une occasion unique d'affirmer les frontières entre service public et marché. » Pour sa part, fin décembre, le réseau Coorace ignorait encore si le secteur de l'insertion par l'activité économique serait ou pas inclus dans le champ de la directive européenne. « La France procède à une transposition technocratique. Elle disposait pourtant d'une marge de manœuvre pour traduire ce texte mais a préféré se refugier derrière le bouc émissaire européen », critique Fabrice Gelin, juriste de la mission Europe auprès du Coorace.
Du côté de la Direction générale de l'action sociale (DGAS), on réfute le fondement de la polémique. « On ne peut pas parler de transposition en catimini, rétorque Guy Janvier, chargé de coordonner les textes de la transposition pour une partie des services sociaux. L'approche du gouvernement par blocs législatifs est celle préconisée par le rapport Michel Thierry. La majorité des services sociaux et médico-sociaux devraient être exclus du champ d'application de la directive. » Toutefois, si le mode opératoire est celui recommandé par le rapport, toutes ses préconisations n'ont pas été retenues. Ainsi, selon Michel Thierry, le régime de l'autorisation des établissements et services sociaux et médico-sociaux défini par la loi du 2 janvier 2002 présentait les « indices d'un mandat d'intérêt général », soit une condition requise pour être exclu du champ de la directive européenne. Mais la mission chargée de la transposition l'a jugée au contraire incompatible avec les principes de la directive. Conséquence : cette procédure d'autorisation a été remplacée par celle d'appels à projets dans le cadre de la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST). « Il s'agit là d'une justification a posteriori », commente Carole Saleres.
Évaluation mutuelle
Autre sujet d'inquiétude pour le secteur : les services d'aide et d'accompagnement à domicile qui relèvent ou optent pour le régime de l'agrément qualité figurent dans la liste des structures impactées par le texte européen. « Lors du congrès de l'Unccas en septembre 2009, Xavier Darcos, ministre du Travail nous avait assurés que les services de l'aide à domicile seraient exclus de la directive services », rappelle Daniel Zielinski. « Ce n'est pas le fait que les services d'aide et d'accompagnement à domicile entrent dans le champ de la concurrence qui nous inquiète, car c'est déjà le cas. C'est surtout le fait que les publics fragiles auprès desquels nous intervenons ne sont pas des consommateurs comme les autres. Il faut maintenir le secteur de l'aide à domicile dans le giron médico-social », insiste Ingrid Ispanian, juriste spécialiste du droit européen à l'Union nationale de l’aide, des soins et des services aux domiciles (UNA).
La DGAS se veut rassurante au sujet de la libre prestation de services (LPS) dans le secteur de l'aide à domicile. En pratique, les prestataires concernés par cette clause ne seront pas soumis à la législation de l'État membre dans lequel le service est fourni. « Tout sera mis en œuvre pour faire en sorte que les usagers fragiles des services établis dans un autre pays de l'Union bénéficient des mêmes garanties de qualité que ceux qui font appel à des services établis en France », souligne la DGAS. Concrètement, la France devrait obliger les opérateurs issus d'un autre État membre à être agréés qualité. « L'article 16-3 de la directive prévoit qu'un État membre peu imposer ses exigences au prestataire en LPS quand celles-ci sont justifiées par des raisons de sécurité publique ou de santé publique », explique Guy Janvier. Reste à savoir si cette condition passera le cap de l'évaluation mutuelle et ne sera pas considérée par les autres États comme une entrave à la libre concurrence. En effet, à l'instar de chaque État membre, la France devait rendre deux rapports à la Commission européenne. Le premier porte notamment sur les régimes d'autorisation. Le second traite des exigences nationales dans le cadre de la libre prestation de services. Chaque État membre examinera, durant six mois, les modifications apportées par ses voisins à leurs législations dans le cadre de la transposition de la directive « services ». Leurs observations seront ensuite communiquées et discutées au Parlement européen.
Le dossier de la transposition de la directive est donc loin d'être clos. « 2010 sera la première année d'application de la directive. Elle sera donc l'occasion de mesurer les premiers effets du texte, en particulier en termes d'appropriation par les prestataires de services, de procéder à d'éventuels ajustements et... d'adopter les mesures de transposition qui ne l'auraient pas encore été », rappelait le rapport Jean Bizet. Et d'ajouter : « Il n'est pas inenvisageable que certains secteurs aujourd'hui exclus du champ de la directive "services" y soient réintégrés à l'avenir, à la demande des professionnels eux-mêmes, qui trouveraient finalement un intérêt objectif à être couverts par les dispositions de la directive et à pouvoir ainsi bénéficier de ses opportunités, d'autant plus que certaines des exclusions actuelles ont des fondements plus politiques qu'économiques. » Autant de raisons qui amènent le collectif Ssig à considérer qu'« une loi permettra d'envisager avec plus de sérénité et de sécurité juridique les perspectives de consolidation du droit communautaire applicables aux services sociaux d'intérêt général tenant compte de leurs spécificités d'organisation et de financement ».
(1) Directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006
(2) Lire Direction(s) n° 57, p. 4
(3) Le collectif Ssig regroupe 19 fédérations ou organisations représentatives des services sociaux tels que l'Uniopss, l'UNA, l'Uncass.
Nadia Graradji
L'eurocompatibilité des subventions publiques
La convention de partenariat d'intérêt général a été présentée, le 17 décembre, lors de la Conférence de la vie associative. Objectif : rendre « eurocompatibles » les subventions publiques versées aux associations exerçant une activité économique d'intérêt général. Pour mémoire, depuis l'entrée en vigueur du « paquet Monti-Kroes », les services sociaux d'intérêt généraux (Ssig) doivent être « mandatés » pour qu'une subvention ne soit pas considérée comme une aide de l'État qui entrave la libre concurrence. « Cette convention parle des "services de l'État", mais pas des collectivités territoriales. Elles n'ont pas été associées à l'élaboration de ce document alors que ce sont les premières concernées », souligne Laurent Ghekière, représentant auprès de l'UE de l'Union sociale pour l'habitat. Le gouvernement indique que ce document est « une première étape ». Une concertation avec les associations et les collectivités territoriales devrait se tenir au premier trimestre.