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Tribune
Les associations à l’aune des enjeux territoriaux

08/12/2010

En octobre dernier, le syndicat des employeurs associatifs action sociale et santé (Syneas) tenait sa première université. L’occasion pour Didier Tronche, attaché au président et délégué auprès du directeur général, d’interroger la nécessaire adaptation du monde associatif face aux mutations de l’État sur les territoires.

Le contexte d'intervention des associations du secteur social et médico-social a beaucoup changé. Et nombre d'entre elles se débattent dans une complexité, de plus en plus grande, nonobstant ce qui constitue sans doute, l'un de leurs plus grands sujets de préoccupation à savoir la raréfaction des moyens financiers qui leur sont alloués. Mais le sens de ce changement qu'il convient d'accompagner voire d'anticiper mérite qu'on s'y attarde.
Depuis 2002, une série de réformes législatives ont presque totalement revisité le champ de l'action sociale : la loi de rénovation de 2002, celle du 13 août 2004 de décentralisation (dont le titre III porte sur la formation professionnelle en travail social), la loi de 2005 sur le handicap, les lois sur la protection de l'enfance et sur la protection des majeurs de mars 2007, les différentes mesures sur la prévention de la délinquance, la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) en 2009…

La massification des besoins sociaux

Mais au-delà, c'est sans doute de profonds changements dans l'organisation de la société, du pays et de l'État qu'il nous faut observer. Depuis les années 1980, la nature du lien social a évolué. La montée des précarités et des solitudes qui touchent toutes les catégories d'âge et, plus profondément, certaines couches sociales, fait progresser les individualismes et altère ce que notre société a placé au cœur de son regard sur l'humain et l'organisation de la cité : la solidarité. La massification des besoins sociaux, la crise économique, le chômage accélèrent les mécanismes de paupérisation et accentuent encore un peu plus les processus de désaffiliation sociale et d'exclusion. Notre société s'est endormie sur une logique considérée, à tort, comme acquise que le progrès bénéficiait toujours au développement.
Le rapport des personnes aux institutions qui font le ciment de toute démocratie est malmené par un sentiment d'injustice de plus en plus profond. La croyance dans les outils qui régulent la vie sociale s'effrite au vue de l'inconsistance de promesses mal tenues et de discours qui s'éloignent de la réalité quotidienne des citoyens.
Ces éléments questionnent le fait associatif en particulier dans le domaine de l'action sociale. La force de l'association est de dépasser l'abstraction que pourrait induire la fusion d'objectifs purement individuels, pour donner une vision politique de ce que nous considérons être le fondement même d'une vie en société où chaque individu a des droits inaliénables  et des devoirs qui témoignent que « le respect oblige au respect ». Que la liberté implique la tolérance. Que la fraternité n'est rien sans la solidarité.

Force de proposition

Nos associations, quelles que soient leur histoire et leurs racines, ont cette vision commune. Mais ne sont-elles pas devenues au fil du temps, à leur insu, des gestionnaires négligeant la force de rappel et de proposition qu'elles devaient être. Ne se sont-elles pas focalisées sur les activités ciblées qu'elles gèrent oubliant que l'action sociale est avant tout un partage qui nécessite la reconnaissance mutuelle et une forme de solidarité interassociative ? Elles maillent le territoire. Mais, pour autant, constituent-elles un ensemble ? Ce maillage, qui devrait faire leur force, s'est englué dans une planification qui les a sans doute isolées les unes des autres, les rendant parfois concurrentes. La concurrence n'est pas un défaut absolu, pour peu qu'elle implique de l'émulation et le partage de savoirs.
L'État en matière de politiques publiques poursuit aussi une longue mue. La décentralisation a rapproché les lieux de décision des citoyens, notamment dans le domaine social. Elle a mis la question de la place des citoyens au cœur de la réflexion. Mais peut-être l'avons-nous sous-estimé, pris par d'autres changements, en particulier celui lié à la nature du nouveau lien avec les élus devenus décideurs et financeurs.
Avec la loi 2002-2, la prégnance de l'usager est introduite dans le fonctionnement même des institutions, en même temps que se jouent la prédominance de la puissance publique en tant que financeur et l'avènement de la mise en concurrence. Mais ces trois vecteurs ne sont qu'accentués par la massification des besoins sociaux et la raréfaction des ressources. Mais tout en étant réalistes, nous ne devons pas succomber en permanence à la subjectivité comptable, ce qui n'exclut bien sûr nullement de rationaliser nos dépenses afin qu'elles soient, le mieux possible et en toute transparence, affectées à la qualité du service auprès des usagers.

Entreprendre ensemble

Mais la mue de l'État s'effectue également dans un contexte européen selon des convergences qui induisent une nouvelle organisation. Avec la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) et la révision générale des politiques publiques (RGPP), on assiste à son retour en force sur le territoire. Aujourd'hui, l'État se présente désormais comme un ensemblier gestionnaire. Il dit ce qui doit être fait, comment cela doit l'être, sans pour autant le faire lui-même. La loi HPST en est l'illustration. Cela se traduit aussi par l'apparition de nouveaux outils institutionnels tels que les agences (Anesm, ARS, Anap), qui fleurissent dans des domaines de plus en plus transversaux et induisent de nouveaux fonctionnements sans que nous en ayons toujours acquis une grande lisibilité. Que ces changements interviennent n'est pas a priori condamnable. Mais il manque, sans aucun doute, une appropriation critique de ces évolutions. Il va s'agir pour les associations, incitées à être des entreprises au service d'une politique, de prouver ce que le mot entreprendre veut dire pour elles. Et peut-être même d'interroger le sens même de ce que peut vouloir dire entreprendre ensemble sur un territoire donné. Le monde associatif va devoir réfléchir à un nouveau positionnement territorial. D'un mode d'organisation de l'entreprise associative, basé sur l'adaptation, il va falloir passer à une modélisation de type prospectif et stratégique. Il va falloir sortir de l'isolement ou de l'individualité des positionnements associatifs pour initier des modes de partenariat, de regroupement, de mise en réseau.
Ceci est d'autant plus important pour les associations  qu'elles doivent prendre aussi en compte la montée en puissance du lucratif, la définition des services sociaux d'intérêt général (Ssig), le fait que l'Europe ne connaît pas l'association et son statut particulier que lui confère le droit français. Le lieu de l'entreprise devient le lieu premier du dialogue social, celui de l'adaptation des compétences professionnelles à l'activité, mais aussi à son évolution, le lieu où va se déterminer la représentativité syndicale et d'élaboration des politiques de formation. Or l'évolution de chaque entreprise associative se fera à l'aune des enjeux territoriaux et de l'action sociale et médico-sociale territorialisée.

Vision stratégique des syndicats

L'association se doit donc de préciser son projet, mais aussi de prendre en compte cette dimension territoriale, son inclusion dans un environnement dont elle fait partie, et dont elle est actrice.
Les unions fédératives et les syndicats employeurs doivent également évoluer. Nous ne pouvons pas imaginer être absents dans ce changement. Il nous faut dynamiser une vie syndicale. Faire entendre les préoccupations régionales au niveau national, participer à la consolidation des représentations de la branche professionnelle dans toutes les instances, sans négliger les lieux de représentation de l'économie sociale, ni les instances, où, de droit, la représentation employeur a vocation à être. La fonction syndicale se doit d'accompagner ces enjeux territoriaux et ces enjeux de positionnement des associations dans ce contexte de changement qui impacte la fonction employeur dans sa responsabilité et son exercice. Cela touche bien sûr à leur mode d'organisation des entreprises associatives, à leur gouvernance, à leur management, aux politiques RH, à la négociation d'entreprise. Syndicats professionnels et associations doivent mesurer les enjeux, dégager une vision stratégique pour conduire le changement.

 

Tribune de Didier Tronche

Carte d'identité

Nom. Didier Tronche

Fonction. Attaché à la présidence du Syndicat des employeurs associatifs action sociale et santé (Syneas) depuis le 1er janvier 2010 et président de l’Observatoire national de l’emploi et des qualifications.

Parcours. Directeur général du Snaséa de 1995 à 2009 et président du collège Unifed à la CPNE de 1996 à 2008.

Publié dans le magazine Direction[s] N° 80 - janvier 2011






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