L'objectif de 500 000 emplois à créer en trois ans a été fixé sans étude préalable, à partir de données qui ne résultaient pas d'une analyse fiable : toute personne rémunérée ayant travaillé au moins une fois au cours de l'année, quelle que soit la durée de ses prestations, chez un ou plusieurs employeurs, a été considérée comme occupant un emploi - soit 75 000 pour 2004 -, puis, il a été décidé de doubler ce chiffre pour les trois années suivantes (soit 450 000) et de l'arrondir à 500 000. La mesure des emplois effectivement créés est de fait un enjeu sensible. Elle se heurte à de nombreuses difficultés du fait de leur caractère atypique (multiactivité, temps partiel ou très partiel, très forte rotation...). En tout état de cause, les délais de publication des données peuvent atteindre 18 mois, ce qui ne facilite pas l'analyse des évolutions observées.
En retenant la définition extensive utilisée par l'Agence nationale des services à la personne (ANSP), selon laquelle un emploi correspond à une personne qui travaille au moins une fois dans l'année dans ce secteur, 312 000 « emplois » auraient été créés depuis 2004. Toutefois, selon l'Insee, en 2005, 46 % des salariés des organismes prestataires ont occupé plusieurs emplois. En équivalent temps plein (ETP), le nombre d'emplois créés s'élevait en 2006 à 36 000 et en 2007 à 39 000, assistantes maternelles inclus. Sur la période 2006-2008, les services à la personne ont, selon l'Insee, créé 108 000 ETP, soit 15,4 % du total des emplois créés dans l'économie française. Même si, en 2008, plus de 30 % des nouveaux emplois ont été créés dans le secteur des services à la personne, on reste loin des 500 000 emplois évoqués initialement.
Une politique coûteuse
[…] Au total, la politique des services à la personne représente un effort financier de 6,59 milliards d'euros en 2009 pour l'État et la Sécurité sociale. Ce montant, qui a augmenté de près de 40 % depuis 2006 (4,71 milliards d'euros), est à rapprocher du total de la dépense publique pour l'emploi (78 milliards d'euros pour 2007 contre 5,76 milliards d'euros la même année en faveur des services à la personne).
[…] L'essentiel de l'effort public est constitué par des exonérations fiscales (4,44 milliards d'euros) et parmi celles-ci le crédit ou la réduction d'impôt sur le revenu consentis à 4 millions de bénéficiaires (3,54 milliards d'euros) et les exonérations de TVA pour services rendus aux personnes physiques par les associations (600 millions d'euros). […] Parmi les exonérations qui bénéficient aux personnes morales, les deux mesures les plus coûteuses sont l'exonération de TVA pour les associations (600 millions d'euros) et la réduction de TVA à 5,5 % pour les entreprises agréées (120 millions d'euros). […] Les exonérations de cotisations patronales s'élèvent pour leur part à 2,13 milliards d'euros. L'exonération est totale (1,63 milliard d'euros) pour la rémunération des emplois familiaux et aides à domicile bénéficiant aux personnes fragiles. Un allègement de 15 points (170 millions d'euros) s'applique à tous les particuliers employeurs déclarant leurs cotisations sur la base des salaires réellement versés, et non au forfait, de façon à permettre aux salariés de bénéficier de droits complets, en matière de retraite notamment (sous réserve qu'ils travaillent à temps plein). […] Le coût de ces mesures plaide cependant pour une sortie progressive de certains de ces dispositifs et un ciblage plus précis des exonérations accordées.
Un dispositif fiscal et social mieux ciblé et simplifié
Le dispositif d'aide bénéficie davantage aux ménages les plus aisés, déjà les plus enclins à recruter des employés de maison. Une étude de la DGTPE de décembre 2008 portant sur les années 2000 à 2005, avant l'extension des mesures d'aide dans le cadre du plan lancé en 2005, montrait que seulement 7 % des ménages avaient déclaré avoir eu recours aux services à la personne en 2005, tandis que la dépense fiscale était très concentrée sur les tranches de revenus les plus élevés : les trois quarts des foyers fiscaux se partageaient 1/10e des déductions fiscales pour les services à la personne tandis que les 10 % les plus aisés concentraient 70 % de ces réductions.
Une prise en compte des publics vulnérables à améliorer
[…] Les services aux personnes fragiles bénéficient de 3 milliards d'euros d'aide, soit près de la moitié du total des exonérations fiscales et sociales. Les besoins des personnes dépendantes, qui vont continuer à croître, font ainsi peser de fortes tensions sur les services à la personne : ils absorbent, selon la Dares, plus de 60 % de l'activité des services mandataires et prestataires, alors que, selon l'Insee, 28 % des bénéficiaires de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) ont recours à l'emploi direct.
Pour tenir compte de cette évolution, la sortie progressive de certains dispositifs d'aide pourrait s'accompagner d'un ciblage plus précis sur ces publics, alors que la notion de « personnes fragiles » englobe indistinctement aujourd'hui toutes les personnes âgées de plus de 70 ans, qui bénéficient de l'exonération de cotisations sociales, qu'elles aient besoin ou non d'une assistance particulière dans leur vie quotidienne. En tout état de cause, les personnes vulnérables requièrent des personnels formés et des prestations adaptées à leur état, ce qui implique que l'administration contrôle effectivement la mise en œuvre de l'agrément qualité, exigé des organismes habilités à intervenir auprès de ces publics.
Ces contrôles, actuellement insuffisants pour garantir la qualité des prestations, sont d'autant plus indispensables que le renouvellement des agréments qualité est en cours.
À cet égard, la transposition en droit français, au 1er janvier 2010, de la directive européenne relative aux services dans le marché intérieur risque d'entraîner une modification des conditions requises pour obtenir cet agrément. Cette transposition pourrait être l'occasion de réfléchir à une meilleure conciliation de la liberté des prix des services agréés avec un dispositif public de solvabilisation des personnes, de manière, notamment, à obtenir un meilleur maillage territorial et une prise en charge plus efficace des besoins des plus démunis.
Une professionnalisation des salariés à mieux assurer
Actuellement, 30 % seulement des intervenants à domicile possèdent une qualification. La professionnalisation des salariés est ainsi un enjeu prioritaire pour rendre les emplois plus attractifs, favoriser la fluidité des parcours et améliorer la qualité des prestations, particulièrement nécessaire vis-à-vis des personnes fragiles. Même si les textes lui confient à cet égard un rôle fédérateur, l'ANSP ne peut juridiquement intervenir dans l'élaboration des différentes conventions collectives qui couvrent un ensemble très éclaté. Elle tente pourtant d'encourager les acteurs sociaux, comme les administrations, à engager ou à poursuivre les négociations pour unifier les nombreuses conventions ou harmoniser les diplômes. […] En dépit de quelques progrès en matière de formation, notamment en alternance, et d'un début de prise en compte des acquis de l'expérience, les blocages institutionnels et partenariaux ont empêché de faire aboutir les travaux appelés à rapprocher les nombreuses conventions collectives en vigueur dans le secteur social et n'ont pas encore permis de conclure celle qui sera appelée à couvrir les salariés des entreprises. Malgré la réforme en 2007 du diplôme d'auxiliaire de vie sociale créé en 2002, la création de passerelles entre les différents diplômes reste encore insuffisante quand il s'agit de rapprocher les 17 certifications de niveau.
Pour améliorer la situation des salariés concernés, en particulier de ceux qui s'engagent dans un parcours de réinsertion, la possibilité pourrait être envisagée de subordonner le maintien de tout ou partie des exonérations actuellement accordées aux particuliers employeurs à leur adhésion aux futurs « centres ressources » que prévoit le second plan de développement des services à la personne de mars 2009, sur le modèle du centre de formalité numérique mis en place par la Fepem à destination des particuliers employeurs.
Outre un appui à ces derniers dans leurs démarches administratives et de recrutement, les centres ressources devraient permettre d'améliorer la situation de l'emploi des salariés (multiactivités, temps partiel...) et d'accroître leur professionnalisation. Les salariés pourraient ainsi connaître un parcours professionnel plus stable et plus sûr, bénéficier de formations certifiantes ou qualifiantes et d'une reconnaissance de leur expérience à même de leur donner accès à d'autres types d'emploi.
Recommandations
La Cour formule à cet égard les recommandations suivantes :
• à l'État […] :
- Inciter tous les acteurs à conduire les travaux nécessaires, tant sur le plan des conventions collectives que sur celui de la formation et des diplômes, pour améliorer la professionnalisation de ces emplois ;
- Compléter l'agrément simple d'exigences minimales de qualité des prestations ; diligenter les contrôles nécessaires au respect des exigences de l'agrément qualité ;
- Évaluer avec rigueur l'impact sur l'emploi des plans successifs de développement des services à la personne, en tenant compte du coût net des mesures ;
- Engager une réflexion d'ensemble visant un meilleur ciblage des aides en direction des personnes vulnérables, ainsi qu'en matière de professionnalisation des salariés.
• à l'ANSP :
- Assurer le développement du chèque emploi-service universel (Cesu) préfinancé, en élargissant sa part dans le paiement de prestations sociales comme l'APA, en ouvrant son émission à la concurrence d'autres opérateurs privés dont l'habilitation pourrait être désormais limitée dans le temps et en diminuant son coût de traitement par la dématérialisation.
« La transposition de la directive “services” risque de modifier les conditions requises pour obtenir l’agrément qualité. »