La panne ? À un an de l'échéance de la stratégie nationale 2009-2012 de prise en charge des personnes sans abri ou mal logées, la refondation du dispositif « accueil, hébergement, insertion » (AHI) frôle l'enlisement. Lancé il y a deux ans par le secrétaire d'État au Logement, Benoît Apparu, le chantier a deux ambitions : la mise en place d'un service public de l'hébergement et de l'accès au logement et la priorité accordée au « logement d'abord ».
Sur la base des propositions de trois groupes de travail associant les professionnels du secteur, 20 mesures devaient permettre sa réalisation : services intégrés de l'accueil et de l'orientation (SIAO) dans chaque département, référent personnel pour chaque usager (2), plans départementaux d'accueil, d'hébergement et d'insertion des personnes sans domicile (PDAHI), harmonisation des prestations et des coûts dans les structures, développement du logement d'insertion… Objectifs ? Réduire le nombre de personnes à la rue, adapter l'offre aux besoins, renforcer le pilotage du dispositif AHI, sur la base d'un dialogue renouvelé entre les opérateurs et l'État, mais aussi optimiser et rationaliser les moyens.
Néanmoins, à un an de l'échéance du chantier, une partie seulement de ses mesures sont opérationnelles, quand celles en place ne font pas l'objet de vives critiques ou de déceptions. Certes, la crise financière est passée par là. « En 2010 et 2011, les crédits ont été revus à la baisse, mais le passage à la logique du "logement d'abord", ne peut se faire en coupant dans les moyens en pleine période de transition ! », s'indigne Maryse Lépée, présidente de l'Association des cités du Secours catholique et copilote d'un des groupes de travail initiaux. Quant au dialogue, la crise estivale de l'hébergement d'urgence a aussi montré qu'il était au bord de la rupture.
Un pilier encore fragile
Plate-forme d'harmonisation entre l'offre et la demande d'hébergement – et pilier de la refondation –, le SIAO doit notamment permettre de coordonner les acteurs locaux et, assurer la continuité de la prise en charge tout au long du parcours des usagers (2). Si la quasi-totalité des SIAO sont enfin installés, « seuls une dizaine fonctionnent à leur rythme de croisière et remplissent l'ensemble de leurs missions », déplore Matthieu Angotti, directeur général de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (Fnars). « Il manque encore une véritable pratique partenariale », pointe aussi Maryse Lépée.
Les raisons de ce retard selon la Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (Dihal) ? Les délais d'appropriation du dispositif par les travailleurs sociaux. « Tout n'est pas réglé à la signature de la convention entre le préfet et le porteur du SIAO. Il faut encore que les procédures se mettent en place », estime ainsi Marie-Françoise Lavieville, adjointe au Dihal. Matthieu Angotti (Fnars) lui renvoie la balle. Et relève surtout un manque d'implication des préfets. « En plus, le logiciel de gestion et d'observation développé par l'État qui devait permettre le partage d'informations sur les places disponibles est loin d'être l'outil performant annoncé », ajoute-t-il. Une mission de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) doit se pencher sur les SIAO d'ici à la fin de l'année. Un état des lieux très attendu.
Boycottde la précontractualisation
Outils de planification, les PDAHI constituent donc sur le papier « le cadre d'une programmation pluriannuelle et territorialisée de l'offre » (3). Alors qu'ils devaient être définitivement mis en place au printemps dernier, ils ne seront vraiment finalisés qu'en… 2012. « La définition des premiers plans a manqué de concertation », regrette le directeur général de la Fnars. « Pour l'heure, ils ont simplement fixé une ligne stratégique », précise Maryse Lépée, qui déplore : « Et peu ont associé les conseils généraux. »
Quant à la nouvelle contractualisation entre les opérateurs et l'État, qui doit être généralisée en 2012, c'est aussi le blocage. Alors qu'elle vise le développement d'une culture partagée autour du SIAO, du PDAHI et du référentiel national des prestations (4), les établissements ont boycotté la précontractualisation à laquelle les incitaient les pouvoirs publics. Leurs raisons ? L'absence de PDAHI pertinents sur lesquels baser la négociation d'objectifs et de moyens, et le manque de visibilité concernant les résultats de l'étude nationale des coûts (lire l'encadré ci-dessous) et les contours flous du projet de réforme du mode d'allocation des ressources.
Quelle tarification ?
En effet, derrière l'harmonisation des prestations et des coûts dans les structures, se profile une réforme du système de financement. Pour l'heure, seuls quelques jalons sont posés : le référentiel national des prestations (paru en juillet 2010) et la première enquête nationale de coûts (ENC), finalement publiée cet été. « C'est une initiative louable dont n'ont pas bénéficié d'autres secteurs. Grâce à cette étude, chaque structure va pouvoir se positionner dans l'optique d'une nouvelle tarification », se satisfait David Causse, directeur du secteur sanitaire et coordonnateur du pôle Santé social de la fédération d'employeurs Fehap. « Le partage d'une méthode et de résultats va permettre d'instaurer un dialogue entre l'État et les opérateurs concernant la réforme de la tarification prévue pour l'année prochaine », poursuit Florence Gérard-Chalet, animatrice du comité de pilotage de l'ENC pour la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS).
Mais de quelle tarification parle-t-on ? « Les modes de tarification à l'activité, à la personne et à la prestation ont d'ores et déjà été exclus », annonce Florence Gérard-Chalet. Malgré tout, l'Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (Uniopss) craint malgré tout « l'automaticité d'une tarification basée sur des tarifs médians ». « Nous demandons une tarification en fonction des besoins des personnes accueillies et des coûts réels de fonctionnement », précise Bruno Grouès, conseiller technique au pôle Lutte contre les exclusions de la fédération.
Priorité au logement d'abord
Pour relancer le chantier, le secteur comptait sur la rencontre, promise pour la fin septembre, avec le Premier ministre. Mais aussi sur les assises interrégionales du « logement d'abord » qui devaient s'ouvrir à la même période et s'achever par des assises nationales, en décembre. « Espérons qu'elles permettront de sortir de l'enlisement », souhaite Maryse Lépée (Secours catholique). « Si l'on est encore loin de ce à quoi on pouvait s'attendre, le chantier n'est pas mort. Il faut simplement donner les moyens au secteur de l'hébergement de répondre aux situations d'urgence auxquelles il est confronté. Et investir dans le logement », complète Matthieu Angotti. Et Patrick Doutreligne, délégué général de la Fondation Abbé Pierre, d'enfoncer le clou : « Si l'on souhaite que le logement soit la porte d'entrée du parcours de réinsertion, il faudrait commencer par construire suffisamment de logements sociaux. » Récemment consultée par Benoist Apparu sur le chantier de refondation, l'Association des départements de France (ADF) est sur ses gardes. « Le "logement d'abord" propose la suppression de places en centres d'hébergement et de réinsertion sociale [CHRS] au profit de places en "logement diffus". Fort bien. Mais quelle garantie avons-nous qu'il ne s'agit pas d'un nouveau transfert de charges ? », questionne Jean-Pierre Hardy, chef du service Politiques sociales. Pour l'ADF, le dispositif constitue un service de solidarité nationale qui doit rester intégralement financé par l'État.
(1) Lire Direction(s) n° 88, p. 42
(2) Circulaire du 8 avril 2010 relative au service intégré de l'accueil et de l'orientation
(3) Circulaire n° DGAS/LCE 1A/2009/351 du 9 décembre 2009 relative à la planification territoriale de l'offre d'accueil, d'hébergement et d'insertion des personnes sans domicile, en liaison avec la politique d'accès au logement
(4) Circulaire n° DGCS/1A/2010/271 du 16 juillet 2010 relative au référentiel national des prestations du dispositif d’accueil, d’hébergement, d’insertion
Julian Breuil
Une enquête des coûts instructive
Publiée cet été, la première étude nationale des coûts du dispositif AHI a été réalisée sur la base d'un échantillon réduit in fine à 120 établissements (5 600 places, soit 10 % de celles ouvertes fin 2009), dont 91 % de centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS). En s'appuyant sur le référentiel national qui définit une vingtaine de prestations, cette étude a aussi permis de construire six groupes homogènes de structures (GHS), en fonction des missions assurées (héberger/alimenter/accueillir/ autonomie), et du type d'hébergement (regroupé/diffus). Des facteurs déterminants des coûts ont été identifiés : nombre de places installées, situation familiale et présence de jeunes adultes isolés, type de service intégré assuré (restaurant, crèche, chenil…), ou bien encore propriété ou non des locaux. Ainsi, si le coût à la place diminue au-delà d'un seuil d'une vingtaine de places, la prise en charge des familles est moins onéreuse que celle d'adultes isolés.
(1) Étude nationale des coûts du dispositif "Accueil hébergement insertion", réalisée sous l'égide des ministères de l'Écologie et des Solidarités et de la Cohésion sociale, juin 2011
Publié dans le magazine Direction[s] N° 89 - novembre 2011