Les directeurs des maisons d'enfants à caractère social (Mecs) tirent la sonnette d'alarme. Ces structures, qui accueillent des enfants placés par l'aide sociale à l'enfance ou sur décision de justice, traversent une véritable crise d'identité. « C'est quotidiennement un numéro d'artiste que d'assurer une mission dont plus personne n'est capable de donner une définition claire et exhaustive », explique François Daniès, directeur d'une Mecs à Lalinde (Dordogne) et président de l'Association nationale des cadres du social (Andesi). « Espace d'accueil un peu fourre-tout où l'on retrouve un échantillonnage très large des difficultés rencontrées par une jeunesse en mal de repères et d'affection, les établissements sont soumis à de subtils exercices d'équilibre tant sur les plans éducatifs que juridiques, cliniques et budgétaires », poursuit-il.
Équilibriste
En effet, depuis quelques années, ces établissements doivent à la fois s'adapter à un public plus difficile, assumer de nouvelles missions (issues notamment de la loi réformant la protection de l'enfance), faire face à de nouvelles contraintes juridiques et administratives, le tout sans augmentation de moyens. Conséquences ? Une charge de travail accrue pour les équipes et des difficultés de management pour les directeurs. Comment conserver un climat d'accueil serein dans ces conditions ? Jusqu'où les cadres pourront-ils tenir cet équilibre précaire ? Penser l'avenir de ces structures en pariant sur leur capacité à s'adapter et sur celle des professionnels à innover, ce sont les objectifs des premières rencontres nationales des Mecs, organisées par l'Andesi, fin mars (1). « Le but est de penser collectivement certaines questions spécifiques aux Mecs et de faire un état des lieux des chantiers prioritaires à investir », explique Francis Batifoulier, directeur d'une Mecs à Biarritz (Pyrénées-Atlantiques) à l'origine de cette initiative.
Un public plus difficile
Au premier rang de ces difficultés, un public de plus en plus hétérogène, rendant le maintien d'équilibres de groupe délicat. « Les problématiques des enfants sont plus lourdes qu'avant, notamment parce que les placements interviennent tardivement et concernent les jeunes les plus difficiles, les départements privilégiant les mesures de prévention qui sont aussi moins coûteuses », constate Dominique David, directeur du Foyer de la Beauronne, à Périgueux (Dordogne). Certaines structures ont ainsi développé des stratégies d'externalisation via des appartements ou pavillons éducatifs. Les enfants accueillis cumulent également davantage qu'avant des difficultés sociales, familiales, psychologiques… Alors que certaines relèveraient d'une prise en charge par exemple thérapeutique, ils se retrouvent en Mecs faute de place. Mettant les équipes éducatives à rude épreuve. « Un quart des enfants sont sous traitement psychiatrique lourd, ce qui n'était pas le cas auparavant, note Guy Maestre, directeur de deux établissements dans le Rhône, la moitié de nos pensionnaires ne sont pas scolarisés à l'Éducation nationale et beaucoup d'ados sont exclus de tout système scolaire. » Les professionnels doivent donc inventer des solutions sur mesure et assurer un accompagnement plus soutenu.
De nouvelles missions
Soutien à la parentalité, insertion dans le milieu naturel de l'enfant, accueil séquentiel… Les Mecs se sont ainsi engagées dans une diversification de leurs prestations, en particulier depuis la loi réformant la protection de l'enfance du 5 mars 2007. Les équipes doivent donc s'adapter à une mutation progressive de leurs missions. Et apprendre à intégrer davantage les parents et à aller vers des accompagnements individualisés. « Or, les professionnels sont formés à la prise en charge collective et beaucoup ne sont pas habitués à travailler avec les familles », relève François Daniès. « Il nous faut trouver le juste positionnement et concevoir une offre de services en direction des familles », précise Francis Batifoulier. Autre directive : faire du placement « séquentiel », avec des temps de retour en famille pendant lesquels l'enfant reste sous la responsabilité de l'institution, « ce qui rend difficile d'en assurer réellement la protection », pointe François Daniès. À défaut d'un cadre de mission clairement défini, la réforme de 2007 a du mal à se concrétiser sur le terrain. Surtout qu'elle vient s'ajouter à beaucoup d'autres exigences administratives, juridiques et budgétaires. « Il y a sans arrêt des nouvelles normes qui alourdissent notre fonctionnement et nous coûtent cher, la gestion financière est devenue complexe, toutes ces contraintes administratives nous écartent de notre cœur de métier : l'éducatif », déplore ainsi Guy Maestre.
Pression budgétaire
« Le problème est que nous devons réaliser toutes ces tâches supplémentaires à moyens constants », résume Dominique David. En effet, les prix de journée ont tendance à stagner. Dans la plupart des départements, les établissements sont soumis à une forte pression budgétaire. « Les dépassements de frais de personnels ne sont plus pris en charge », témoigne Guy Maestre. « Cela nous oblige à augmenter la productivité de façon inquiétante au risque d'affecter la qualité de l'accompagnement », confie pour sa part François Daniès. Les directeurs doivent soutenir des équipes usées par des conditions de travail difficiles, un rythme soutenu, des situations de violence et des salaires peu attractifs. À tel point que certaines structures, notamment en milieu rural, ont du mal à recruter du personnel qualifié. « Il y a un fort enjeu de reconnaissance du travail en internat et une nécessité pour le management de valoriser les collaborateurs, estime Francis Batifoulier, l'obligation d'évaluation peut être un moyen d'affirmer des pratiques et une identité professionnelle. » Pour limiter la souffrance au travail, certains directeurs ont mis en place, au sein de l'institution, des séances d'analyse de la pratique ou des espaces de réflexion et de théorisation pour les équipes. « C'est indispensable afin de redonner du sens au travail et leur permettre de souffler », estime François Daniès.
La fonction de direction plus gestionnaire
Et sur le plan éducatif, les directeurs ne se sentent guère soutenus par leurs partenaires : « Nous continuons à organiser des séjours en camp avec les enfants, mais depuis quelques temps, le conseil général se désengage de toute responsabilité en ne donnant plus son autorisation, déplore Guy Maestre. Nous voulons bien faire l'effort de prendre des jeunes exclus de partout, mais on attend du soutien de nos tutelles pour ne pas être seuls à en assumer le risque. » Une autre évolution majeure guette les Mecs : la tendance au regroupement des associations. « Le gouvernement voudrait avoir un petit nombre de gestionnaires qui serviraient les mêmes prestations au même coût sur tout le territoire, explique le président de l'Andesi, mais ce n'est pas réaliste, les établissements doivent garder leur originalité, il ne faut pas appauvrir cette diversité. » La mutualisation des moyens a déjà commencé et il n'est pas rare que, pour des raisons financières, les associations demandent aux directeurs de gérer plusieurs établissements, sans toujours en mesurer les conséquences. « Le résultat ? Des directeurs moins présents et contraints de déléguer une partie des tâches aux chefs de service, eux-mêmes surchargés et moins disponibles pour les équipes », prévient Francis Batifoulier. « Le directeur représente le cadre et la loi au sein de l'institution. Cette fonction contenante auprès des enfants sera mise à mal s'il n'est plus là au quotidien, ajoute Dominique David, sans compter qu'il devra s'en tenir à rôle purement gestionnaire, le projet éducatif passant au second plan. » Au-delà d'une réflexion commune sur ces enjeux, les premières rencontres nationales devraient aussi être l'occasion pour ces professionnels de constituer un collectif représentatif. Afin de faire front commun et de peser davantage à l'avenir.
(1) 1res rencontres nationales organisées par l’Andesi, avec le centre régional d’études et d’actions sur les handicaps et les inadaptations d'Aquitaine, lire dans ce numéro, p. 51
Mariette Kammerer
Point de vue
Pierre-Étienne Gruas, directeur du service enfance et famille au conseil général de Gironde
« Si la problématique des enfants a changé, les Mecs doivent s'efforcer de trouver des solutions. Les financements suivront. C'est au projet d'établissement de s'adapter aux besoins des enfants. L'avenir des Mecs est d'aller vers une prise en charge intrafamiliale, en articulation avec les services du milieu ouvert. Sur ce point la loi du 5 mars 2007 n'a fait que conforter des pratiques existantes, comme par exemple le placement en milieu naturel (SAPMN), dont le but est de rendre les parents plus acteurs. Les établissements doivent contribuer à l'ingénierie des nouvelles réponses, avoir une capacité d'innovation. Et non pas s'arc-bouter sur des pratiques du passé qui ne répondent plus aux besoins. La tendance est à la mutualisation des moyens. Là encore, au-delà de l'approche budgétaire, se regrouper peut être l'occasion de pratiques innovantes, par exemple de partager les prises en charge les plus difficiles, de rassembler ses compétences. Et ainsi d'être plus forts. »
Publié dans le magazine Direction[s] N° 83 - avril 2011