Apparue dans les années 1970 dans un contexte de chômage de masse et portant l'idée d'un nouveau mode de développement, l'insertion par l'activité économique (IAE) a depuis lors prouvé toute son utilité et son efficacité sociales et économiques. Le secteur de l'économie sociale et solidaire (ESS), dont il est un des maillons, a ainsi été salué au dernier Salon des entrepreneurs comme un rempart à la crise.
Occuper un emploi est un facteur essentiel de réinsertion sociale. Ainsi les structures de l'IAE, à travers une palette de réponses adaptées (entreprises d'insertion, associations intermédiaires, ateliers et chantiers d'insertion et entreprises de travail temporaire d'insertion), permettent chaque année à plus de 75 000 personnes d'exercer une activité rémunérée et encadrée. Mais aussi de bénéficier d'un accompagnement global, aussi bien social que professionnel, d'un contrat de travail et d'un statut. Les structures accueillent des personnes en grande souffrance sociale et les aident à remettre le pied à l'étrier de l'emploi, en prenant en compte tous les aspects des difficultés rencontrées. Un travail qui prend du temps.
De nouvelles formes de précarité
Mais aujourd'hui, ce secteur est confronté à l'émergence de nouveaux phénomènes. D'abord, le vieillissement des populations précaires, et le fait que certains usagers ne retrouveront pas le chemin de l'emploi ordinaire. Pour ceux-ci, quels emplois durables et solidaires sommes-nous en mesure de développer ? Ensuite, le développement de la "vente à la sauvette" que les "Biffins" (vendeurs de produits de récupération) illustrent bien sur Paris. Face à l'extension de ce phénomène, la réponse à apporter ne peut être que plurielle et s'adapter au contexte de chaque territoire. Si le problème de fond des nouvelles formes de précarité n'est pas pris en compte, rien ne peut être réglé.
Réinsérer les personnes les plus exclues, les plus éloignées du marché de l'emploi et leur éviter la rue est l'objectif fondamental des structures de l'IAE. Là n'est pas leur seul atout puisqu'elles contribuent à l'activité économique et au développement des territoires. En effet, elles créent de l'emploi et de la richesse redistribuée sur le territoire. En moyenne, un euro investit dans une structure de l'IAE en rapporte deux. En effet, elles paient des taxes et permettent que bon nombre de personnes perçoivent un salaire plutôt qu'un minima social. Elles représentent donc un gain financier pour les collectivités locales. Les entreprises trouvent également un double intérêt à disposer d'une source de main d'œuvre formée et de possibles partenaires économiques. Elles contribuent enfin au renforcement du lien social entre les habitants et à la lutte contre l'exclusion.
La chasse aux recettes
Pourtant, ces structures ne sont pas rémunérées à leur juste coût. Limitées à 30 % de recettes marchandes, elles n'entrent pas dans le dispositif concurrentiel. Ce sont logiquement 70 % de financements publics qui devraient venir compléter ces ressources. Mais le compte n'y est pas ! Pour un chantier d'insertion d'un budget d'environ un million d'euros, plus de dix sources de financement différentes sont nécessaires quand l'État n'assume pas ses engagements. La chasse aux recettes est permanente. Pour autant, aller au-delà de ces 30% serait condamner les chantiers à produire plus de "marchand" et, à court terme, à laisser sur le bord de la route les publics les moins productifs. Ce serait entrer dans le jeu concurrentiel et renoncer à l'utilité sociale.
De novembre 2007 à mai 2008, un Grenelle de l'insertion a réuni tous les acteurs du secteur. Où en sommes-nous aujourd'hui ? Les réformes préconisées sont en panne et les calendriers des rencontres qui devaient se poursuivre sont au point mort. L'expérimentation en cours depuis janvier 2009, qui étudie la mise en œuvre d'une aide au poste encadrée et modulable, démontre que la moitié des structures expérimentatrices étaient en déficit structurel en 2009 et que le coût de la mission – capitale – d'insertion était peu couverte par les finances publiques.
Alors que leurs structures sont confrontées à un réel problème de sous-financement qui les affaiblit, les réseaux nationaux d'insertion (Chantier école, Fnars, les régies de quartier et le Coorace) veulent reprendre les discussions. Par exemple, en organisant des conférences des financeurs qui permettraient, enfin, d'évaluer le juste coût de la part non marchande de leur activité. Mais aussi de mobiliser les partenaires publics et privés du secteur pour un pilotage unique par territoire.
Constituer des alliances
L'IAE doit s'interroger. Trop de dispositifs sont confrontés à des impératifs de productivité revus sans cesse à la hausse et qui, de fait, excluent les plus « cassés ». Ne faudrait-il pas sortir de la multitude de dispositifs (entreprises d'insertion, entreprises de travail temporaire d'insertion, ateliers et chantiers d'insertion...) et organiser l'IAE autour d'une notion unique de « firme sociale » où, selon la prestation technico-sociale proposée, correspondrait un financement ? De même, il convient de veiller à la planification territoriale et à articuler les besoins des territoires avec ceux des entreprises locales. Cela facilitera sans doute les débouchés, notamment en termes d'emplois à l'issue des parcours.
Enfin, constituer des alliances avec les réseaux de l'ESS (9 % des entreprises en France pour près de 10 % des salariés) représenterait un moyen de mettre en valeur l'IAE, trop souvent considérée comme « tiers secteur ».
L'IAE est d'abord un outil, un sas pour l'insertion des plus éloignés de l'emploi. À ce titre, elle ne doit pas demeurer un monde à part. C'est pourquoi le choix de l'association Aurore a été de rejoindre le Mouvement des entrepreneurs sociaux qui veut donner une lisibilité plus globale au secteur. C'est pourquoi, également, nous considérons que la création de conventions sectorielles, comme celle du syndicat d'employeurs Synesi pour les ateliers et chantiers d'insertion (1), est contreproductive quand l'heure devrait être à la mise en place d'une convention unique. Outre une consolidation de ses financements, le secteur doit donc réfléchir à ses pratiques pour les faire évoluer dans l'objectif de sortir de la marginalité. Et être vu, enfin, comme un atout économique pour les publics précaires et pour le territoire.
(1) Lire Direction(s) n° 80, p. 18
Carte identité
Nom. Éric Pliez
Fonctions actuelles. Directeur général de l'association Aurore (900 salariés, 60 ESSMS, trois champs d'activité, 10 000 personnes hébergées et/ou accompagnées chaque année), trésorier de la Fnars et membre du Conseil national de l'insertion par l'activité économique (CNIAE)
Site Internet.www.aurore.asso.fr
Publié dans le magazine Direction[s] N° 85 - juin 2011