Cinq ans après la loi du 5 mars 2007 rénovant la protection juridique des majeurs (1), le secteur brosse un tableau en demi-teinte. Parmi les objectifs de cette refonte, entrée en vigueur en janvier 2009 ? Corriger les dérives de l'application de la loi du 3 janvier 1968 et répondre aux besoins d'un public de majeurs protégés en augmentation. Soit replacer la personne vulnérable et ses intérêts au cœur du dispositif.
Mais ces premières années de mise en œuvre ont été marquées par une double contrainte. En premier lieu, le contexte budgétaire s'est vite révélé difficilement compatible avec les ambitions affichées. « Une augmentation de 1 % seulement pour la masse salariale et aucune pour les dépenses de fonctionnement en 2011, cela laisse peu de marges de manœuvre pour un accompagnement de qualité », témoigne Patrick Bertho, directeur de l'Association tutélaire d'Ille-et-Vilaine. Ce à quoi s'est ajouté, dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP), la vaste restructuration des services déconcentrés de l'État. Conséquence directe : des retards significatifs dans la publication, in extremis, des textes d'application. Certains manquent d'ailleurs toujours à l'appel, notamment celui devant préciser les règles encadrant les pratiques des préposés aux tutelles dans les établissements médico-sociaux (lire ci-dessous). « La création des agences régionales de santé [ARS] et des directions régionales et départementales de la cohésion sociale en 2010 n'a pas facilité l'accompagnement des professionnels, et donc l'appropriation de la réforme par le secteur », ajoute Sébastien Breton, responsable de la protection juridique à l'Union nationale des associations de parents d'enfants inadaptés (Unapei).
Dans la loi 2002-2
Il n'en demeure pas moins qu'une révolution culturelle a bien été initiée sur le terrain. Ainsi, les services mandataires à la protection des majeurs sont rentrés de plain-pied dans le giron de la loi du 2 janvier 2002, devenant des établissements sociaux et médico-sociaux à part entière. Pour cela, les organisations ont dû ouvrir des chantiers sur tous les fronts. Et si le processus d'obtention des autorisations n'a, in fine, pas posé de difficultés (la quasi-totalité des structures a échappé à la nouvelle procédure d'appels à projets), la transposition de certains dispositifs de la loi rénovant l'action sociale et médico-sociale aux services mandataires n'a pas toujours été aisée. « Se familiariser et intégrer les outils de la loi 2002-2 a impliqué une charge de travail conséquente pour les professionnels, alors même que les moyens financiers n'ont pas suivi », explique Marie Aboussa, directrice déléguée à la Fédération nationale des associations gestionnaires au service des personnes handicapées (Fegapei). « Le document individuel de protection des majeurs [DIPM], équivalent du contrat de séjour, n'est pas facile à faire signer par une personne dont les capacités intellectuelles sont altérées », ajoute Hadeel Chamson, chef du service juridique à la Fédération nationale des associations tutélaires (Fnat).
Maîtrise des coûts ?
Le mode d'allocation des ressources des services tutélaires a également été complètement remanié (1), afin de donner plus de visibilité aux gestionnaires et réduire les disparités de financement entre services. Calculée à partir d'un ensemble de données quantitatives afin d'évaluer la charge de travail en fonction du nombre, de la nature et du lieu d'exercice de chaque mesure, la dotation globale de financement prend en compte l'activité réelle des services. Petit bémol : les fédérations regrettent l'absence d'indicateurs plus qualitatifs, permettant de valoriser les accompagnements de qualité et d'intégrer l'aggravation des altérations du majeur protégé. En outre, « si la tendance est bien à la réduction des écarts de dotation, l'effort doit être poursuivi de façon soutenue, pour une répartition plus équitable des moyens publics », pointe le député PS Christophe Sirugue (2). Qui soulève des insuffisances dans la procédure budgétaire. Faute de coordination locale entre les financeurs (État, assurance maladie, caisses d'allocation familiales et conseils généraux), des risques existent de double financement et de mauvaise imputation des charges… De plus, la sortie tardive des circulaires de campagne budgétaire assure peu de visibilité pour les gestionnaires.
Les formations à la peine
Corollaire de tous ces chantiers ? La professionnalisation des mandataires judiciaires à la protection des majeurs (MJPM), qui doivent obtenir un certificat national de compétences (CNC). Or, au 1er janvier dernier, et malgré un premier report de l'échéance pour satisfaire à cette obligation, environ 400 personnes n'avaient pas eu ce sésame selon la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS). Les raisons de ces dysfonctionnements, pour lesquels les fédérations avaient tiré la sonnette d'alarme dès 2007 ? « Des retard pris dès le départ par les autorités pour agréer les organismes de formation, l'impossibilité pour les établissements de remplacer le personnel faute de financement… », égrène Laurence Rambour, conseillère technique à la Convention nationale des associations de protection de l'enfant (Cnape). Sans compter que « l'organisme paritaire collecteur agréé Unifaf n'a pas assez provisionné et l'enveloppe prévue n'a pas été complètement maintenue », ajoute Agnès Brousse, responsable du service évaluation à l'Union nationale des associations familiales (Unaf). Résultat des courses ? Un nouveau délai, reporté à fin 2012, pour permettre aux professionnels d'exercer cette année encore (3). « La situation devrait rentrer dans l'ordre à la fin de l'année », assure Daniel Anghelou, chef du bureau de la protection des personnes à la DGCS.
Le flop de la Masp
Enfin, la réforme de 2007 a revu l'articulation entre les mesures sociales et judiciaires, et gradué les réponses en fonction du degré d'altération des facultés mentales ou corporelles des majeurs à protéger. Au rang des nouveautés ? La mesure d'accompagnement social personnalisée (Masp). Dont la montée en puissance espérée n'a pas (encore ?) eu lieu. Nouveauté du dispositif, manque d'information des bénéficiaires, coût plus élevé que prévu… Les raisons sont multiples. En outre, « les départements doutent de la portée de cette mesure qui, pour un de ses volets, n'a fait que reprendre le travail déjà effectué par les travailleurs sociaux », complète estime Nathalie Alazard, chargée de mission à l'Assemblée des départements de France (ADF). Parallèlement, on n'a pas assisté au désengorgement des tribunaux qui devait aller de pair, cela ne facilitant pas la révision quinquennale des 700 000 mesures judiciaires prononcées avant le 1er janvier 2009. Peu de chances même avant le 1er janvier 2014. Un délai que Christophe Sirugue propose de repousser.
Alors que les assises nationales organisées par les principales fédérations du secteur (3) se tiennent ce mois-ci, un rapport de la Cour des comptes devrait être rendu public incessament. Un document très attendu, qui pourrait dégager de nouvelles pistes pour relancer la réforme.
(1) Loi n° 2007-308 du 5 mars 2007
(2) Avis au nom de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, octobre 2011
(3) Assises nationales de la protection des majeurs 2012, organisées par la Cnape, la Fnat, l'Unaf et l'Unapei, les 9 et 10 février.
Julian Breuil
Préposés d'établissements : vers la mutualisation ?
La loi de mars 2007 a rendu obligatoire pour les établissements publics de plus de 80 places de désigner un préposé en qualité de mandataire judiciaire à la protection des majeurs (MJPM). « La loi n'ayant pas prévu de sanction, très peu y ont répondu », pointe Dominique Cailhol, présidente de l'Association nationale des MJPM. Autre raison invoquée, de longue date, par la Fédération hospitalière de France (FHF) : l'absence de financement spécifique. Les établissements doivent s'appuyer sur la mutualisation des postes et des moyens entre eux, lui répond la DGCS. Pour Christophe Sirugue, l'intérêt de cette solution est de distendre les liens entre préposés et directeurs et de mieux prévenir les conflits d'intérêts. Enfin, constatant que ces professionnels gèrent souvent un nombre important de dossiers (« parfois jusqu'à 200 »), le député propose de confier cette mission à d'autres personnes que les agents des structures concernées.
Publié dans le magazine Direction[s] N° 93 - mars 2012