La santé mentale ne se réduit pas à la psychiatrie, c’est aussi du médico-social. Voilà, en substance, le message martelé par les professionnels du secteur à l’intention des pouvoirs publics. C’est donc avec un certain scepticisme qu’ils ont pris connaissance du second plan Psychiatrie et santé mentale 2011-2015 (PPSM), présenté en Conseil des ministres le 29 février dernier. Pas question ici d'un catalogue de mesures. Ce plan, dit « nouvelle génération » post-loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST), fixe uniquement les grandes lignes de la politique publique jusqu'en 2015 (lire l'encadré ci-dessous). Avec comme enjeu majeur, unanimement salué : la prévention et la réduction des ruptures dans les parcours de vie des personnes concernées.
Hospitalo-centrisme
Principal pilote au volant de ce PPSM ? La Direction générale de la santé. Une preuve supplémentaire de la mainmise du sanitaire, y voient les professionnels du secteur. Pourtant, sept ans après le vote de la loi Handicap, le plan réaffirme la « nécessité de dépasser la dimension sanitaire pour s’intéresser aux champs de l’inclusion sociale ». « C’est par le renforcement des droits, le développement d’un véritable accompagnement social et médico-social et le déploiement de solutions alternatives […] que nous [leur] redonnerons une place dans notre destin commun », plaidait ainsi, il y a quelques semaines, la secrétaire d’État aux Solidarités et à la Cohésion sociale, Marie-Anne Montchamp. Pourtant, le compte semble ne pas y être. « Ce plan est encore trop hospitalo-centré, confirme la présidente de la Fédération nationale des associations gestionnaires pour l'accompagnement des personnes handicapées psychiques (Agapsy), Marie-Claude Barroche. Alors que plus de 90 % des malades vivent aujourd’hui en plein cœur de la cité, l'essentiel des budgets sont investis dans l'intrahospitalier. »« La spécificité des malades est qu’ils ne sollicitent pas d’aide, précise encore Jean Canneva, président de l'Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (Unafam). C’est un élément dont il faut tenir compte : aller vers les plus fragiles et réserver le sanitaire aux cas les plus lourds notamment. » Autant de griefs largement relayés par la Cour des comptes dans son récent bilan – sévère – du PPSM 2005-2009 (1).
Changement de culture ?
Conséquence de cet « hospitalo-centrisme » ? Un impossible décloisonnement des acteurs et des structures, pourtant indispensable à ces publics spécifiques. « Outre la fluidité des parcours, destinée à leur permettre de naviguer successivement, voire simultanément, entre les structures de soins et d’accompagnement, le décloisonnement implique également un changement de culture, reconnaît le Dr Bernard Durand, président de la Fédération d’aide à la santé mentale (Fasm) Croix-marine. Le temps est révolu où la psychiatrie de secteur semblait pouvoir tout faire seule. Or, il subsiste encore une méconnaissance, voire un jugement péjoratif porté sur le médico-social. » Pour Gilles Gonnard, président de l'Association nationale des instituts thérapeutiques éducatifs et pédagogiques – Itep – et de leurs réseaux (Aire), pas question de laisser le secteur être « instrumentalisé » : « Il n’y a pas d’un côté le sanitaire qui soigne et de l’autre le médico-social qui accompagne. Ce dernier apporte également sa contribution aux soins. Le décloisonnement nécessite donc coopération et complémentarité. » Beaucoup reste donc à faire en matière d’articulations des prises en charge. La preuve par l’exemple avec le secteur de la pédopsychiatrie. « Aujourd’hui, si un adolescent relevant d’un Itep nécessite des hospitalisations régulières, aucune entité ne peut coordonner le tout, déplore Lionel Deniau, président d’honneur de l’Aire. La notification de la maison départementale des personnes handicapées [MDPH] n’a de dimension que sur la partie médico-sociale. Tout cela mérite d’être assoupli. »
Étape indispensable pour un décloisonnement réussi : la création de places dans les structures. Un objectif de nature à résorber les quelque 10 à 15 000 hospitalisations dites « inadéquates », enregistrées chaque année, faute de solutions en aval. Là encore, l’ampleur de la tâche est grande, pointe la présidente d’Agapsy : « Toutes les évaluations du précédent plan reconnaissent le manque de réalisations concrètes. Pire, les données chiffrées (relatives au logement, aux services d'accompagnement…) font singulièrement défaut. » Pour y remédier, le PPSM fixe le cap et prône le développement d’une offre de logement accompagnée et diversifiée (résidences sociales, appartements associatifs…), comme d’emploi adapté ou protégé. Sans compter la multiplication des structures d’accompagnement, vivement encouragé via notamment la mobilisation des conseils généraux. Qui voient là une tentative, à peine voilée, de nouveaux transferts de charges. « L’appauvrissement des moyens est indéniable dans le secteur de la psychiatrie, discipline sanitaire abandonnée de longue date, avance Jean-Pierre Hardy, chef des politiques sociales à l’Assemblée des départements de France (ADF). Pas étonnant que l’État veuille que les départements s’en mêlent. »
Le nerf de la guerre… Le manque d’engagements budgétaires au sein de ce plan d’orientations stratégiques n’a effectivement échappé à personne. « Il ne faut pas se faire d’illusions sur les futures créations de places, confirme Bernard Durand. D’autant plus que localement, nous sommes confrontés à des collectivités territoriales qui ont le couteau sous la gorge. » Pas de promesses de Gascon donc, en ces temps de finances publiques mal en point.
Les ARS aux manettes
Autre réserve récurrente, le rôle central dévolu aux agences régionales de santé (ARS). « L’objectif est de s’inscrire dans une cohérence avec la loi HPST, explique Claire Leroy-Hatala, chargée de mission santé mentale au secrétariat d’État aux Solidarités et à la Cohésion sociale. Le PPSM redonne la main aux ARS, acteurs pertinents du déploiement sur le terrain de programmes répondant à ses objectifs. » Message reçu cinq sur cinq en région. « Il faut revoir des modes de fonctionnement, de développer des articulations et de vérifier la pertinence des structures au regard des besoins, décrypte Marie-Hélène Desbordes, médecin à l’ARS du Limousin. Le cadre général d’interventions étant fixé, à nous de le décliner au sein des plans régionaux de santé [PRS], en tenant compte des spécificités du terrain. » Les pouvoirs publics cèdent donc les rênes aux agences. Et c’est justement là que le bât peut blesser, pointe Gilles Gonnard : « Le risque, c’est qu’elles n’aient pas toutes les mêmes priorités et n’aillent donc pas au même rythme. Il faut un message fort de l’État. »« Il doit s’engager et dire sur quoi, complète Lionel Deniau. Certaines choses doivent relever de sa responsabilité. » Le nouveau PPSM sonnerait-il le glas de l’engagement ferme de l’État? En tout cas, c'est une nouvelle illustration de son manque de cohérence en matière de plans de santé publique, dénonce le vice-président de l’Union nationale pour l'insertion sociale du déficient auditif (Unisda), Jean-Louis Bosc. « La thématique de la détresse psychologique, dimension pourtant importante de la santé mentale, n’est délibérément pas prise en compte, contrairement aux orientations du Programme national d’actions contre le suicide. J’ai du mal à comprendre la cohérence ! », s’agace-t-il.
Un premier bilan est attendu début 2013. Pour l’heure, la vigilance du secteur est de mise pour s’assurer de la concrétisation des bonnes intentions d’un plan lancé… quelques semaines à peine avant la fin de la mandature.
(1) L’organisation des soins psychiatriques : les effets du plan Psychiatrie et santé mentale 2005-2010, rapport public, décembre 2011.
Gladys Lepasteur
Le PPSM 2011-2015, l’essentiel
Élaborés en partenariat avec des représentants d’usagers, des professionnels sanitaires, sociaux et médico-sociaux, ainsi que des sociétés savantes, le plan s’articule autour de quatre axes stratégiques : la prévention et la réduction des ruptures survenant au cours de la vie de la personne ; de celles entre les publics et les territoires ; entre la psychiatrie et son environnement sociétal ; ainsi que de celles entre les savoirs. Les 26 ARS devront l’intégrer dans leurs plans régionaux qui en comporteront alors des déclinaisons opérationnelles. Les administrations centrales et les opérateurs nationaux devront, eux aussi, en tenir compte dans leur feuille de route. Tous ces documents, attendus avant juillet 2012, seront ensuite annexés au plan. Une conférence annuelle de suivi sera organisée. Premier rendez-vous prévu au premier trimestre 2013, avant le bilan final trois ans plus tard. Celui-ci sera élaboré à partir d’indicateurs, encore en cours de finalisation.
Publié dans le magazine Direction[s] N° 95 - mai 2012