La mise en place d’une politique d’aide aux aidants en Europe est considérée comme une des composantes essentielles de la politique de prise en charge des personnes âgées dépendantes. […] À l’exception des pays scandinaves, il n’y a pas de véritable politique [en la matière] répondant aux besoins et attentes des aidants tout en s’insérant dans la politique globale d’aide aux personnes en perte d’autonomie.
En Suède, concilier aide et travail
La Suède a investi précocement (1960-1970) et de façon continue […] dans une politique d’aide aux personnes âgées en perte d’autonomie financée par l’impôt. Leur accès aisé aux services professionnels se double d’un usage modéré et régulé de la concurrence et d’une limitation du choix des prestataires privés. Ces pratiques ont permis d’adapter la nature de l’aide des aidants, afin qu’elle corresponde à leur attente sans réduire ni sa fréquence ni son volume. Par ailleurs, une politique active de l’emploi et du travail, et de l’égalité entre genres, s’est traduite par une flexibilité de l’aménagement du temps et des conditions de travail. Les femmes de la « génération sandwich » (s’occupant à la fois de leurs parents et de leurs enfants) ont ainsi pu continuer à travailler, tout comme les seniors, qui enregistrent le plus fort taux d’emploi en Europe, grâce à une adaptation du contenu de leurs tâches.
Ce contexte a favorisé la mise en place de réponses adaptées aux besoins spécifiques des aidants en emploi tels que le droit à un congé rémunéré à hauteur de 80 % en cas d’aide à un proche en fin de vie, avec maintien des droits sociaux et garantie de retour en emploi. À partir des années 1990, marquées par une restriction de l’accès aux services professionnels, un plus fort recours à l’aide informelle a été rendu nécessaire, mais il a été accompagné. La loi de juillet 2009 oblige les municipalités à mettre en place des mesures de support individualisées aux aidants […], tel l’accès facile au répit. Des prestations monétaires, destinées aux aidants, ont été créées, mais elles ne concernent que 4 % des personnes âgées en perte d’autonomie. [Elles] sont fortement encadrées sous forme de contrats avec les municipalités et impliquent une formation, des conditions de travail, de rémunération et de protection sociale, mais aussi d’évaluation des tâches des aidants qui rapprochent leur statut d’aidant de celui d’un professionnel. Un bémol : la décentralisation de ces politiques a entraîné des disparités entre municipalités. […]
En Angleterre, pallier le fort déficit en services professionnels
En Angleterre, la politique en faveur des personnes âgées repose sur un filet de sécurité pour les plus démunis entraînant un accès très limité aux services professionnels […], 10 % des personnes âgées le nécessitant. La prestation monétaire de 1972, qui cible les personnes âgées dépendantes, est indépendante de leur revenu et financée par l’État central. Elle ne contribue néanmoins que marginalement au financement de l’aide professionnelle, [car] son accès est difficile sur le plan administratif et elle est modique (300 euros mensuels). Les municipalités font de plus en plus appel à des prestataires privés, mais peu régulés et coûteux. L’intervention des aidants demeure donc
vitale : 88 % des personnes âgées dépendantes bénéficient de l’aide de quatre millions d’aidants, dont 30 % délivrent plus de 20 heures d’aide par semaine. Le rôle des associations a été et demeure [donc] majeur : UK Carer fédère tous les types d’associations d’aidants et bénéficie de la force de lobbying des associations de patients Alzheimer. […] Son influence dans le domaine législatif a notamment pesé pour favoriser la conciliation entre aide et travail. Outre le droit de tout aidant à bénéficier d’une évaluation spécifique de ses besoins, ceux en emploi sont protégés par une loi de « non-discrimination » leur donnant droit à plusieurs semaines de congés. [Leur] organisation et [leur] forme (durée, rémunération, droits sociaux associés) sont fixées par les employeurs, avec de fortes disparités entre entreprises […].
Parmi les nombreuses prestations monétaires expérimentées depuis le début des années 2000, et en dehors de celles ciblant des catégories spécifiques d’aidants (en recherche d’emploi, dépendants ou ayant des revenus inférieurs au minimum retraite), les trois principales ont des conditions d’accès très restrictives et des montants relativement faibles. Ceci explique […] leur faible impact à la fois en matière de lutte contre la pauvreté, de diminution des effets nocifs de l’aide sur le bien-être et le niveau d’emploi des aidants. L’expérimentation d’outils reposant sur les technologies de l’information y est importante, car ils sont considérés comme efficaces pour le bien-être des aidants et des aidés. Ils sont aussi vus comme un moyen de réaliser des économies par un effet de complément/substitution de l’aide professionnelle, même si peu de données permettent aujourd’hui de valider ces hypothèses. Au total, on peut douter de la capacité de ces mesures à offrir aux aidants un ensemble de conditions favorables leur permettant de combler le déficit en aide professionnelle. […]
En Italie, le recours à une main-d’œuvre féminine immigrée
En Italie, la responsabilité de la politique d’aide aux personnes âgées dépendantes est partagée de manière peu organisée entre [État, régions et municipalités]. Jusqu’au début des années 2000, l’aide informelle très dominante (90 %) reposait sur les familles, surtout les femmes, en raison du fort taux de cohabitation intergénérationnelle, du faible niveau d’emploi féminin et de la quasi absence de services professionnels publics. Néanmoins, toute personne invalide âgée de plus de 65 ans bénéficiait depuis 1980 d’une indemnité (480 euros en 2008) pour financer une faible partie de ses besoins d’aide et dont l’usage est libre. Les aidants en emploi bénéficient de trois jours de congés payés par mois pour s’occuper de personnes très dépendantes.
La situation a profondément évolué depuis les 15 dernières années. Des émigrants des pays de l’Est ou d’Afrique, souvent en situation illégale, sont devenus les principaux pourvoyeurs de l’aide à domicile. Ce sont majoritairement des femmes (90 %) qui interviennent en logeant dans les familles et en assurant l’aide cinq ou six jours par semaine, voire des gardes le week-end. Cela permet ainsi aux femmes désireuses de travailler d’accéder à un emploi. Diverses prestations monétaires ciblant les familles, émanant des régions ou des municipalités, permettent de les financer. Depuis cinq ans, afin de mieux contrôler l’emploi de ces personnels et assurer une qualité minimale de l’aide, l’État a développé une législation visant à régulariser leur situation (octroi de permis de travail), dès lors qu’ils s’engagent à suivre une formation à la fois linguistique et professionnalisante.
En Allemagne, répondre à l’augmentation du taux d’emploi des femmes
En Allemagne, la création en 1995 de l’assurance dépendance s’est faite en assumant un sous-financement de l’aide professionnelle. Le différentiel devait être couvert […] en recourant à l’aide des femmes dont le niveau d’emploi était faible. Celles en emploi travaillaient d’ailleurs majoritairement à temps partiel. La personne âgée dépendante bénéficiaire […] peut choisir entre les deux types de prestations (monétaire ou en nature) ou un mélange des deux, le choix du monétaire permettant de rémunérer un aidant, familial ou autre. Cette modalité est le plus souvent choisie par des familles à revenus modestes, car elle leur procure un revenu supplémentaire dont l’usage n’est pas contrôlé, d’où de potentiels problèmes de qualité. À besoins identiques, ce choix ne permet
de financer que 60 % des services par rapport aux choix de prestations en nature. Ce dispositif contribue à augmenter les inégalités sociales face à la dépendance, la modalité « en nature » étant privilégiée par les ménages aisés et s’accompagnant d’un contrôle de l’aide délivrée de meilleure qualité. Pour pallier ces insuffisances, la réforme de 2008 a augmenté le financement de l’assurance dépendance. L’accès au répit a ainsi pu être développé. Les Länder ont pour leur part été dotés de nouveaux moyens de contrôle de la qualité de l’aide informelle […] et ont pris en charge l’information aux familles sur les dispositifs d’aide existants. Par ailleurs, […] les travailleurs aidants bénéficient d’une semaine par an pour aider un proche avec une avance de l’employeur remboursée par l’assurance dépendance. […]
Quels enseignements pour la France ?
Ces exemples montrent un besoin général de développer l’aide aux aidants pour compléter l’aide professionnelle. Cette politique n’est envisageable que s’il existe un accès adéquat des personnes âgées en perte d’autonomie à des services professionnels. Elle comprend généralement des mesures qui répondent aux besoins des aidants âgés comme à ceux en âge de travailler ou en emploi. […] La France apparaît en position difficile en raison d’un marché de l’emploi tendu, de relations sociales au sein des entreprises dégradées, du peu de flexibilité de l’organisation du travail qui fait que les seniors, depuis plus de 30 ans, constituent une variable d’ajustement du taux d’emploi et que l’égalité des genres piétine. En France, la politique d’aide aux aidants centrée sur les aidants Alzheimer est promue cause nationale depuis dix ans et sous-tendue par un discours compassionnel. Ces orientations tendent à détourner la réflexion sur les autres dimensions de l’aide (le logement) et sur les autres publics concernés par une politique globale d’aide aux aidants. Faire de la conciliation entre travail et aide un des axes prioritaires de la nouvelle politique d’aide aux aidants suppose une véritable refondation de la politique visant les personnes âgées dépendantes.
Carte d'identité
Titre. Comment pérenniser une ressource en voie de raréfaction ? Enseignements d’une comparaison des politiques d’aide aux aidants des personnes âgées dépendantes en Europe
Auteur. Michel Naiditch, Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes), Questions d'économie de la santé n° 176, mai 2012
À télécharger sur :www.irdes.fr
Publié dans le magazine Direction[s] N° 98 - août 2012