La dernière décennie a vu l'État se décharger d'une partie de ses fonctions sur des agences. Dans le champ de l'action sociale et médico-sociale, plusieurs d’entre elles (ou organismes de ce type) ont à assurer des fonctions d'observation des problématiques (par exemple, celles liées au handicap ou à la protection de l'enfance), de développement et de suivi de l'évaluation, de promotion d’actions de coopérations, d’innovations… et de soutien à la performance. La révision générale des politiques publiques et, aujourd’hui, la modernisation de l’action publique interrogent désormais la pertinence et l'efficience de cette multiplication d’organismes porteurs de missions spécifiques dans un même champ.
Dans le secteur social et médico-social, la multiplication des agences, reflet de la diversité et de la complexité des questions qu’il convenait de traiter, fut dans un premier temps un facteur d'implication des parties prenantes (représentants de l'État, des collectivités territoriales, des organismes de protection sociale, des usagers, des associations et organismes gestionnaires, des personnels, etc.) dans l'adaptation des actions et des pratiques à l'évolution des besoins et des attentes des usagers.
Mais aujourd'hui, cette multiplication d’instances ne semble plus être en mesure de soutenir cette évolution. Il en est notamment ainsi de la fonction d'observation et de mise en cohérence des systèmes d'information afin de permettre une analyse aux différents niveaux territoriaux. Les restrictions budgétaires militent aussi pour que le secteur s'empare de cette question avec un souci d'efficience, plutôt que d’en subir une gestion à dominante comptable.
Soutenir la dynamique du secteur
L'optimisation de l'organisation des agences est désormais souhaitable. Pour être pertinente, elle doit accompagner l'évolution positive du champ, prendre en compte la spécificité de l'action sanitaire d'une part, de l'action sociale et médico-sociale d'autre part […]. Par ailleurs, le rapport du député Yves Bur sur les agences sanitaires, en juillet 2011, a identifié [le bien-fondé] d'un modèle de dirigeance qui facilite l'appropriation de ces évolutions, en l'occurrence l'évaluation par les acteurs de terrain. Il analyse en particulier le mode de coconstruction des recommandations de bonnes pratiques dans le secteur. Il pointe que leur définition, par des groupes de travail réunissant experts, usagers et professionnels, en [lien] avec le triptyque direction générale-comité scientifique-comité d'orientation stratégique (COS), […] aboutit à des recommandations dont la pertinence est reconnue par les parties intéressées et dont l’appropriation par les acteurs est ainsi favorisée. Le secteur social et médico-social a ainsi dépassé ses préventions historiques contre les concepts de l'évaluation et de la qualité du service rendu [1]. […]
Des limites à corriger
Si dans ce contexte, l’action sociale et médico-sociale intègre progressivement, dans ses références professionnelles, le contenu et l'esprit des recommandations de bonnes pratiques, en revanche l'Agence nationale d’appui à la performance (Anap), qui intervient elle aussi dans le champ médico-social, ne les a pas [assimilées]. Outre que cela induit un manque de cohérence entre les priorités partagées en termes de qualité des accueils et accompagnements et les objectifs liés aux contraintes budgétaires, cette distorsion entraîne un fort risque de démobilisation des acteurs de terrain. D’autre part, malgré des expériences encourageantes, le sanitaire et l'action sociale et médico-sociale restent insuffisamment articulés. Ceci ne peut être dépassé tant que cette dernière ne s'est pas unifiée dans une identité spécifique et reconnue pour tenir une place plus repérable et constructive dans le dialogue avec les acteurs du champ médical et hospitalier. Enfin, le secteur social et médico-social continue à souffrir d'un éclatement persistant des fonctions d'observation des besoins et des pratiques, d'évaluation des politiques, de développement de la qualité des accompagnements et de performance dans la gestion des activités. Cette situation […] entraîne un manque d'efficacité et des surcoûts tout en ne faisant pas sens pour les acteurs.
Capitaliser l'expérience acquise
Sans reprendre la question de la spécificité du sanitaire […], l'hypothèse énoncée par certains de l’absorption de l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (Anesm) par la Haute Autorité de santé (HAS) briserait l’élan essentiel impulsé via la démarche évaluative au sens de la loi 2002-2. D’une part, il faudrait reprendre à la base le chantier stratégique en cours des évaluations internes/externes, ce qui poserait d’importants problèmes de calendrier, de références, de méthodes, de cultures et de démotivation des acteurs. D’autre part, cette perspective, si elle donne l’impression de régler la question du médico-social, laisse pendante celle du social en rejetant on ne sait où (mais pas dans une instance cohérente et transversale) le traitement national des enjeux des établissements sociaux restant sous compétence des conseils généraux ou de l’État. De plus, un tel choix mettrait à mal toute harmonisation des systèmes d'information, élément capital pour une évolution de la situation.
Réunir les fonctions d'analyse et de diagnostic
La finalité d'une Haute Autorité de l'action sociale et médico-sociale (H2ASMS) serait l'amélioration de la qualité de l'accompagnement des personnes. Pour y parvenir de façon efficiente, il semble nécessaire de regrouper les instances qui contribuent au diagnostic et à l'analyse des problématiques de fragilité et des besoins des populations. [Afin de] favoriser enfin la construction d’une véritable intelligence collective sur les politiques d'action sociale et leur mise en œuvre. Pour y parvenir, une telle agence pourrait regrouper trois grandes fonctions spécifiques et transversales […] :
- la fonction d'observation, de développement et de mise en cohérence des systèmes d'information (avec les agences et organismes tels que l'Observatoire national de l'enfance en danger (Oned) ou celui de la pauvreté et de l'exclusion sociale (ONPES) ;
- la fonction d'évaluation et d'amélioration de la qualité des prestations (avec les agences et organismes tels que l'Anesm ou le Comité national pour la bientraitance et les droits des personnes âgées et des personnes handicapées ;
- la fonction d'analyse de l’efficience des actions (avec les agences et organismes tels que la partie médico-sociale de l’Anap ou l’Agence nationale du service à la personne (ANSP).
Une gouvernance équilibrée
Par la mise en œuvre intégrée de ces trois fonctions au sein d'une même agence, la H2ASMS aurait pour objectif opérationnel d'appréhender : les besoins des personnes et des territoires, ainsi que leur évolution afin d'ajuster l’offre ; la singularité des problématiques et leur évolution visant à renforcer la personnalisation des réponses ; les systèmes d’information visant la consolidation des données, leur traitement cohérent et leur analyse prospective ; les activités et prestations constituant l’offre de services, visant une amélioration continue de la qualité ; l’adaptation et l'optimisation des moyens visant l’amélioration de l’efficience des interventions et la meilleure adéquation des financements aux objectifs visés. […]Tous sont contenus dans la loi 2002-2, mais aussi dans la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) et certains ne sont pas encore mis en place alors qu’ils sont essentiels. En fait, il s’agit d’amplifier et de radicaliser ces objectifs en permettant que le concept de « santé » ne se réduise pas à la seule dimension sanitaire. La H2ASMS s’articulerait avec la HAS pour assurer ensemble le « cure » et le « care ».
La H2ASMS pourrait être fondée sur le modèle de gouvernance s’inspirant de l'Anesm qui fait place de façon équilibrée à tous les acteurs, notamment aux usagers. Cette nouvelle agence intégrante offrirait l’opportunité de réintroduire à la table de travail les conseils généraux. Ceux-ci doivent tenir une place importante dans la conduite de cette dynamique à engager et un rôle essentiel dans l’articulation du local avec les enjeux globaux de l’action sociale et médico-sociale, ce d’autant que l’acte III de la décentralisation confortera vraisemblablement leur rôle de chef de file, y compris pour le champ du handicap ne relevant pas de la Sécurité sociale. Pour ce faire, un lien devra être réfléchi entre la H2ASMS et des relais locaux au niveau des régions ou des départements.
Une coordination permanente avec le sanitaire
Le champ social et médico-social présente la spécificité de contribuer à la santé (au sens de l'OMS) par l'accompagnement des personnes en situation de fragilité ou de handicap. Il s'inscrit dans un temps de vie et dans une implication des usagers qui n'est pas du même ordre que ce que nécessite la prise en charge sanitaire qui vise à la réduction d'un trouble en mobilisant une thérapeutique. Le social et le médico-social fondent leur technicité sur la relation à la personne, ce qui implique que les bonnes pratiques professionnelles soient surtout axées sur cette problématique.
Si les deux champs […] sont différents, justifiant des instances différentes, ils doivent néanmoins se doter d'une dynamique de politique publique, de procédures et de moyens qui en assurent leur complémentarité et leur articulation. Il est nécessaire, pour une vision globale et humaniste de la santé, de promouvoir une coordination des politiques de santé, de l'action sociale et des prises en charge et accompagnements médico-sociaux.
C'est pourquoi le GNDA prône la création d'une instance de coordination rassemblant les parties prenantes de la dirigeance de la HAS et de la H2ASMS. Cette instance ayant pour mission de définir les axes stratégiques communs aux deux secteurs […] qui éclaireraient les travaux des deux Hautes Autorités.
[1] Lire dans ce numéro p. 8
Par Roland Janvier et André Ducournau
Carte d'identité
Nom. Janvier
Prénom. Roland
Fonctions. Co-président du GNDA, directeur général de la Fondation Massé Trévidy (Finistère).
Nom. Ducournau
Prénom. André
Fonctions. Vice-président du GNDA, directeur général de l'Association régionale pour la sauvegarde de l'enfant, de l'adolescent et de l'adulte (Haute-Garonne) et président du COS de l'Anesm.
Publié dans le magazine Direction[s] N° 106 - avril 2013