Benoît Hamon, ministre en charge de l'Economie sociale et solidaire
Le temps de la consécration ? Fin mai, le Conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire (CSESS) a pris connaissance de la dernière version du projet de loi relatif à l’ESS, prévu en Conseil des ministres en juillet. Le texte ne cache pas ses ambitions : définir et structurer le champ, tout en lui octroyant des outils de développement. Une première. « La dimension socio-économique des associations, notamment sociales et médico-sociales, est enfin reconnue. Désormais, la plupart d’entre elles pourront s’identifier à un autre modèle que celui, dominant, de l’entreprise », souligne le sociologue Joseph Haeringer. Au-delà, l’union d’employeurs Usgeres y voit également d’autres avantages. « Le texte définit les spécificités du secteur, dont nos organisations ont besoin pour faire reconnaitre leur représentativité », souligne Sébastien Darrigrand, son délégué général. La philosophie générale semble donc faire consensus. Pourtant, les derniers arbitrages interministériels, encore en cours mi-juin, ne seront pas de trop pour lever les incertitudes restantes… voire les malentendus.
Un périmètre inclusif
Première pierre d’achoppement ? L’ouverture du périmètre qui se veut inclusif. Outre les acteurs « historiques » (mutuelles, fondations, coopératives et associations), des entreprises commerciales pourront entrer dans le cercle fermé de l’ESS. Ce sous réserve de s’être immatriculées au registre du commerce et des sociétés, de poursuivre un but d’utilité sociale, de prévoir un encadrement de la répartition de leurs bénéfices distribuables et d’inscrire dans leur statut les principes fondateurs du secteur. En résumé : la gestion désintéressée, la non-lucrativité (ou limitée) et la gouvernance démocratique. D’accord, mais pas à n’importe quel prix s’inquiète le président de l’union nationale Uniopss, Dominique Balmary : « L’ouverture envisagée est trop grande. Il ne faudrait pas que l’ESS en soit déformée et ses caractéristiques décolorées. » Un risque limité, à en croire Sébastien Darrigrand : « Si certaines organisations, notamment de l’aide à domicile, ont pu craindre l’entrée d’activités de services à la personne susceptibles de les concurrencer et de bénéficier des mêmes aides, les choses sont aujourd’hui cadrées compte tenu des critères imposés. » Le doute subsiste pourtant. Et la définition retenue pour qualifier ce pan de l’économie – « composée d’activités de production de biens ou de services » – ne rassure pas toujours. « Le texte, trop orienté "finances", perd une occasion de défendre un autre modèle fondé sur des modes d’échanges de solidarité et de proximité, déplore Roland Janvier, coprésident du Groupement national des directeurs généraux d’associations (GNDA). Cela aurait pu être une opportunité pour créer un périmètre spécifique d’intervention pour les structures dans un contexte de concurrence généralisée. » Même réserve exprimée sur le concept de l’innovation sociale, jugé « trop faible » par Joseph Haeringer : « Il ne dit rien du fonctionnement démocratique interne, ni de l’engagement bénévole en faveur de l’action publique. Il reste trop centré sur l’intérêt économique, au détriment du bien commun social. » À Bercy néanmoins, on assume. « Pour que cette économie change d’échelle, elle doit s’ouvrir à d’autres, comme aux jeunes entrepreneurs prêts à s’appliquer ses principes, souligne le ministre en charge Benoît Hamon. Elle ne doit pas s’interdire d’être performante et de gagner des parts de marché, mais doit s’astreindre à des résultats en termes d’utilité sociale. » En ligne de mire ? Le formidable potentiel de croissance que promet le secteur, qui pèse aujourd’hui 10 % du PIB et 2,4 millions de salariés. Pas négligeable en ces temps de chômage record…
Un agrément rénové
Autre disposition à repréciser : l’agrément labellisant les entreprises solidaires d’utilité sociale (ESUS). Une version modernisée de celui dit solidaire, jusque-là mal utilisé… Et dont les enjeux doivent être explicités, selon Dominique Balmary. « Les ESUS constituent-elles un sous-ensemble de l’ESS ? Les entreprises publiques pourraient-elles en faire partie ?… Organisations statutaires, entreprises sociales et solidaires ou solidaires d’utilité sociale… Avec toutes ces dénominations, on a l’impression de poupées russes qui ne s’emboîtent pas complètement. » Une chose est sûre : les structures de l’insertion par l’activité économique (SIAE) en sont détentrices de droit… Au grand dam de la fédération Coorace, qui plaide pour que les SIAE aient, a minima, le même niveau de contraintes que les autres. Un moyen d’éviter d'ouvrir une brèche et qu'une entreprise marchande puisse se réclamer de l’ESS au titre d'un conventionnement.
Toutes ces structures pourront adhérer à une déclaration de principe, dont la rédaction est déjà à l’agenda du CSESS. Au rang des obligations ? Des engagements en matière de dialogue social, d’égalité et de formation professionnelles… Une immixtion de l’État, fort peu du goût de la Conférence permanente des coordinations associatives (CPCA). « Ce n’est pas à lui de moraliser les structures. Il relève de leur liberté de s’organiser et d’être vertueuses. »« C’est une disposition qui heurte la liberté contractuelle des partenaires sociaux, alerte Dominique Balmary. En outre, quels seront les avantages consentis aux signataires ? » Aucun, assure Thierry Courret, conseiller juridique au cabinet de Benoît Hamon, « si ce n’est en termes d’images pour cette avant-garde volontaire, prête à aller au-delà des obligations légales, relatives notamment au traitement social de leurs salariés. »
Des subventions sécurisées
À la lecture des outils mis au service de sa croissance et de sa structuration, le secteur ne boude pas son plaisir. « Au-delà du champ et de ses acteurs, c’est une réelle reconnaissance de l’existence d’autres formes de développement économique et social, et avec elles d’éléments essentiels comme les pôles territoriaux de coopération économique », se félicite le porte-parole de la fédération Coorace, Christophe Chevalier. Même si là encore, « les vieux réflexes subsistent, car leur désignation se fera sur la base d’appels à projets, là où au contraire il faudrait imaginer de la coopération », tempère Roland Janvier.
La sécurisation juridique des subventions compte aussi au rang des grandes avancées… au goût d’inachevé pour la CPCA. « Leur définition législative est une réelle avancée. Elle devrait favoriser le recours par les collectivités à cette disposition contractuelle respectueuse de la capacité d'initiative des associations. Cependant, un décret d’application prévoyant un modèle de convention "eurocompatible" et rappelant que 90 % des structures ne sont pas concernées, est, en outre, indispensable », rappelle sa présidente, Nadia Bellaoui [1]. Le tout assorti de modalités d’un « recueil d’initiatives » sur la base de projets associatifs, afin de sortir de la logique de mise en concurrence. Message reçu à Bercy, où un groupe de travail interministériel planche sur une réforme de la circulaire en vigueur [2]. Conclusions promises avant la présentation du projet de loi au Parlement, en septembre.
[1] À savoir celles sans aucune activité économique et pour les aides inférieures à 500 000 euros sur trois ans.
[2] Circulaire n° NOR PRMX1001610C du 18 janvier 2010, lire Direction[s] n° 77, p. 34
Gladys Lepasteur
De nouveaux outils de financement
Le 31 mai dernier, Benoît Hamon a pris connaissance des nouveaux outils proposés par la Banque publique d'investissement (BPI) en faveur de l’ESS, vers laquelle 500 millions d’euros seront fléchés. « Un plancher, surtout pas un plafond », selon le ministre qui entend « outiller la BPI pour financer des projets plus tempérants ». À retenir ? La mise en place du fonds de l’innovation sociale déjà annoncé par le chef de l’État, ainsi que celle d'un prêt participatif social et solidaire (de 10 à 50 000 euros sur sept ans). D’ici au mois de septembre, un portail numérique fédérant les opérateurs de crowdfunding devrait également être créé.
Repères
10 % du PIB et 2,4 millions de salariés, c'est le poids de l'ESS.
Les trois piliers de l’ESS : non-lucrativité (ou limitée), gestion désintéressée et gouvernance démocratique.
« C’est un changement d’échelle, jusque dans la doctrine commerciale de la France qui valorise notre expertise dans le champ de l’ESS comme un des instruments du soft power. » Benoît Hamon, le 28 mai 2013.
Publié dans le magazine Direction[s] N° 110 - août 2013