« Si l’on pense avoir réglé ainsi la question d’une école inclusive accueillant les enfants en situation de handicap, on se trompe lourdement », résume le président du groupement d'associations Trisomie 21 France, Jacques Daniel. Saluées par la quasi-unanimité du monde du handicap, les décisions gouvernementales relatives à la promotion d’un véritable statut d’accompagnant de ces enfants semblent pourtant loin de constituer l’épilogue d’un vieux dossier. Vigilants, les professionnels entendent bien ne pas perdre de vue l'essentiel : la contruction d'une école accessible à chacun.
Un statut consolidé…
Le symbole n’a échappé à personne. Le 22 août dernier, quatre mois après la publication des recommandations [1] du groupe de travail mené par Pénélope Komités, maire adjoint du 12e arrondissement de Paris en charge de l'action sociale, c’est le chef du gouvernement en personne qui a tenu à annoncer la bonne nouvelle : la fin de la précarité pour les 28 000 auxiliaires de vie scolaire (AVS) de l’Éducation nationale, actuellement sous statut d’assistant d’éducation (AED). À compter de 2014, ils se verront proposer un CDI à l’issue de leurs six années de CDD. Une pérennisation qui se fera toutefois sur la base des temps partiels actuels, note Michelle Zorman, secrétaire nationale du syndicat Sgen-CFDT : « Il faudra réfléchir à l’organisation de leur travail, voire à l’évolution de leurs missions, en le faisant par exemple déborder sur les temps périscolaires, pour que ceux qui le souhaitent puissent travailler à temps plein. »
En 2015, ces professionnels pourront suivre un nouveau cursus, dispensé par les établissements de formation en travail social, et sanctionné par une certification de niveau V, qui reste à construire dans le cadre de la fusion des diplômes d'État d'aide médico-psychologique (DEAMP) et d’auxiliaire de vie sociale (DEAVS). Un réel motif de satisfaction pour le président de la fédération des Associations pour adultes et jeunes handicapés (Apajh), Jean-Louis Garcia. « La formation de ces personnels, placés jusqu’ici en première ligne souvent sans formation adéquate, constitue un réel enjeu afin de permettre à l’accompagnement de s’effacer pour que l’enfant prenne toute sa place. » En attendant sa mise en œuvre, la validation des acquis de l'expérience (VAE) sera encouragée, sans pour autant constituer un prérequis à l’obtention d’un CDI, précise-t-on au cabinet de la ministre Marie-Arlette Carlotti. « Certains de ces personnels sont déjà titulaires d’un bac +2, tempère Céline Poulet, directrice générale adjointe de la Fédération nationale des associations gestionnaires au service des personnes handicapées et fragiles (Fegapei). Il faudra leur présenter l’intérêt pour eux de se lancer dans une telle démarche. »
… mais pas pour tous
Cette décision signe la fin d’un immense gâchis de compétences acquises. Du moins pour ces AVS, car pour les 26 000 en contrat aidé, la précarité reste d’actualité. Un choix qui grave dans le marbre un accompagnement à deux vitesses déjà existant, estime Bénédicte Kail, conseillère éducation et famille à l’Association des paralysés de France (APF) : « Quand ils ont fait leur apparition dans les établissements, la priorité des pouvoirs publics était clairement l’emploi, et non l’accompagnement des enfants. La décision annoncée de doubler leur temps de formation devrait au moins leur permettre de maîtriser les fondamentaux et de rentrer dans une démarche de professionnalisation. » Cela dit, le problème reste entier ; avec les 8 000 nouvelles embauches annoncées pour 2013, l’État semble bien revenir sur sa promesse faite lors de la dernière conférence nationale pour le handicap [2]. Et quid de leurs homologues, actuellement embauchés par voie de convention par les associations [3] ? « Ils ne sont pas oubliés de la réflexion, croit savoir Christel Prado, présidente de l’Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis (Unapei), qui estime leur nombre à quelque 170. Les ministères interpellent actuellement les principales organisations concernées. »
Des enseignants mieux formés
Pour autant, pas question pour le secteur de faire de l’AVS l’arbre qui cache la forêt : le vrai sujet reste celui de l’école inclusive. « Il faut cesser de penser en tuyaux d’orgue, pointe Rémi Mangin, chargé de mission à l’Union nationale de l’aide, des soins et des services aux domiciles (UNA). L’enjeu n’est pas l’accessibilité d’un lieu unique, mais l’idée de parcours au quotidien, sur le chemin de l’école, dans l’établissement, pendant les vacances… » Soit un projet global, au sein duquel le futur AVS n’est qu’un des moyens de la mise en accessibilité de l’école. Autre ressource indispensable ? Des modules de formations spécifiques pour les enseignants, au sein des nouvelles écoles supérieures du professorat et de l’éducation. Pas si simple, à en croire Céline Poulet : « Avec l’autonomie des universités, l’Éducation nationale ne peut que leur proposer des maquettes de formation, pas les leur imposer. Pour faire réellement avancer les choses, il faudrait par exemple pouvoir changer les modalités des concours, en prenant en compte l’accompagnement des enfants. »
La place du médico-social
C’est justement en matière de collaboration avec la communauté éducative que le secteur médico-social a sa meilleure carte à jouer. Ce, aujourd’hui plus qu’hier, avec l’ouverture des établissements à des acteurs extérieurs, suite à la réforme des rythmes scolaires à l'œuvre depuis septembre dernier. Le chantier est titanesque, car plus de quatre ans après la parution du décret relatif à la coopération [4], celle-ci tient encore pour beaucoup à la bonne volonté des acteurs locaux. « Cela doit être un enjeu de mobilisation pour nos associations, milite Christel Prado. Nous devons aider ces deux secteurs à construire la complémentarité de leurs actions. » Un pari réaffirmé en juillet, à l’issue du Comité interministériel de modernisation de l’action publique, par l’État prêt à expérimenter les conditions d’intervention de services venant du secteur social et médico-social au sein même d’établissements. Chiche, rétorque Jacques Daniel : « Aux pouvoirs publics de passer de la parole aux actes, en mettant en place les conditions de mise en œuvre de conventions, en mesurant leur application et en imposant aux acteurs de travailler ensemble et de se former. » La signature en juin d’un partenariat entre l’Apajh et les ministères des Affaires sociales et de l’Éducation nationale, laisse entrevoir le champ des possibles. « Aujourd’hui, chaque département est doté d’un référent, que les équipes éducatives peuvent solliciter toute l’année en tant que personne ressource, pour participer à des formations et pour les rassurer avant même l’arrivée d’un enfant… », énumère Jean-Louis Garcia. Début septembre, en réponse à l’interpellation vive du Défenseur des droits, la ministre réaffirmait la nécessité de passerelles renforcées entre les deux mondes. La condition sine qua non pour le déploiement d’une stratégie globale. Et politique, avant tout.
[1] « Professionnaliser les accompagnants pour la réussite des enfants et adolescents en situation de handicap », rapport du groupe de travail, avril 2013
[2] Lire Direction[s] n° 87, p. 4
(3) Lire Direction[s] n° 89, p. 4
[4] Décret n° 2009-378 du 2 avril 2009
Gladys Lepasteur
Point de vue
Paul Heulin, responsable de la commission de certification de niveau V à l’Unaforis
« La réflexion autour d’un rapprochement des métiers d’AMP et d’AVS, née après l'analyse des certifications de niveau V consacrées à la prise en charge des publics fragiles, a été amorcée par la DGCS. L’option retenue, dont nous nous réjouissons, est d’aboutir à un seul métier de l’accompagnement social, avec un socle commun de formation assorti de spécialisations [1] identifiant des univers de travail différents. Cela devrait permettre une mobilité des professionnels. La question du niveau V est très discutée et soulève de réelles interrogations concernant le suivi des jeunes en lycée et à l’université… Nous ne sommes donc vraisemblablement qu’au tout début de la construction d’un nouveau corps professionnel dans les écoles. »
[1] Intervention à domicile, dans un établissement et accompagnement scolaire.
Repères
- 8 000 contrats aidés et 350 assistants d’éducation ont été embauchés à la rentrée 2013.
- 120 : c’est le nombre d’heures de formation prévues pour les accompagnants en contrat aidé (contre 60 jusqu’ici), leur permettant ainsi de valider une partie du futur diplôme.
- 2014 (au plus tard) : mise en place de formations spécifiques pour les enseignants dans les écoles supérieures du professorat et de l’éducation.
Publié dans le magazine Direction[s] N° 112 - novembre 2013