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Tribune de David Causse (Fehap)
L’intervention à domicile, révolution silencieuse

01/01/2014

Le développement des services à domicile répond à une demande sociale forte. Leur maturité dépendra de la capacité de tous à sortir de la pensée unique. D’où la nécessité pour les pouvoirs publics de s’extraire d’une lecture « en silo » des projets.

David Causse (Fehap)

Il existe un savoir-faire de l’intervention à domicile qui mérite d’adopter une position un peu en surplomb des différences de métiers et des besoins à satisfaire dans chacune des catégories de services. S’il n’existait que cinq priorités de la Stratégie nationale de santé, les services à domicile constitueraient indéniablement l’une d’entre elles.

Les services sanitaires, sociaux et médico-sociaux à domicile représentent ensemble un peu plus de 5 600 structures, qui totalisaient en 2012 près de 225 000 places. Soit 225 000 assurés sociaux soignés ou accompagnés tous les jours, l’équivalent de la capacité d’accueil de tous les établissements de santé de court séjour publics, privés non lucratifs et privés de statut commercial : c’est considérable et témoigne d’une véritable mutation du système. Il y a ici un avant et un après. À ces ordres de grandeur, il faut ajouter les quelque  26 260 structures de services à la personne (SAP) dont 10400 sont agréées, totalisant 850 000 emplois en équivalent temps plein (ETP) dont 480 000 pour les seuls services agréés.

Les services à domicile, quels qu’ils soient, existent de longue date. Mais encore peu nombreux début 2000, ils se sont développés à un rythme soutenu : 7 % d'augmentation annuelle pour les services de soins infirmiers à domicile (Ssiad), 9 % pour les services d’éducation spécialisée et de soins à domicile (Sessad), 14 % pour les services d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés (Samsah) ou à la vie sociale (SAVS), et 21 % pour l’hospitalisation à domicile (HAD). Les services d’aide et d’accompagnement à domicile (Saad) intervenant auprès des personnes âgées ont connu une croissance deux fois supérieure à celle des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), répondant au doublement du nombre de bénéficiaires de l’aide personnalisée d'autonomie (APA) à domicile depuis 2002, avec 1,2 million d'usagers aujourd’hui.

Ce mouvement appelle un « coup de chapeau » aux dirigeants et aux professionnels, le plus souvent du secteur privé non lucratif, qui ont réussi ce tour de force d’un déploiement qui n’allait pas de soi en surmontant les réflexes très hospitalo- ou institution-centrés. Les murs d’un hôpital ou d’une structure médico-sociale, cela se voit, cela se subventionne et apporte une garantie bancaire. Tandis que ces « chevau-légers » de l’action au domicile, c’est impalpable, un peu insaisissable pour ceux qui confondent (il y en a encore beaucoup) soigner et bâtir, accompagner et héberger. Osons l’idée que la cohésion sociale de la Ve République a été (et demeure) façonnée par l’idéal sanitaire et médico-social, et que ces pionniers du domicile sont en quelque sorte nos « hussards blancs » du moment, dans la digne lignée des instituteurs, « hussards noirs » porteurs de la cohésion sociale de la IIIe République.

La fin du modèle du pyjama

Si l’on tente de resituer les services à domicile dans les grandes évolutions du secteur, on peut rattacher la force de ce mouvement à plusieurs autres dont le développement de l’ambulatoire et le temps partiel sanitaire ou médico-social. Cette profonde mutation peut s’exprimer comme la fin du « modèle du pyjama », vêtement qui symbolisait auparavant la synonymie entre soin ou accompagnement à la perte d’autonomie d’une part, et hospitalisation ou hébergement à plein temps d’autre part. Culturellement, chacun sent bien intérieurement que la tenue de nuit n’est pas sans implications quant au style des liens qui se sont établis avec les professionnels : elle imprime une relation forte de dépendance vis-à-vis de celui qui « porte l’habit ».

L’intervention à domicile inverse radicalement cette situation : le bénéficiaire est chez lui. C’est lui qui « accueille » et non le professionnel : une différence de taille qui place les services à domicile dans une profonde modernité culturelle et sociétale, annonçant d’autres mutations bienvenues. C’est le cas de la dispensation des médicaments dont la législation des pharmacies à usage intérieur (PUI) a fortement vieilli. Il est très différent d’aborder le sujet avec un malade ou un résidant retenu dans sa chambre pendant plusieurs jours ou semaines, au regard de ceux venant en hôpital ou en accueil de jour, et plus encore lors d'une intervention à son domicile. Les questions que se posent les professionnels, les solutions et contournements qu’ils élaborent sont à l’évidence de précieux indices pour concevoir les PUI de l'avenir, desservant de moins en moins de « bénéficiaires couchés ». Ceci vaut pour le médicament comme pour la gestion du dossier, la continuité de service, le système d’information… Les services à domicile sont déjà en train, jour après jour, d’inventer l'organisation des établissements sanitaires et médico-sociaux « conventionnels » de demain. Il serait donc logique que le ministère des Affaires sociales et de la Santé consacre au moins 20 % de ses appels à projets de recherche et d’innovation à ce secteur.

Un secteur plus accessible

La croissance spectaculaire de ces services correspond à une demande sociale forte. Celle de vivre et vieillir chez soi le plus longtemps possible, mais aussi celle de l’autonomie et de l’intégration sociale de tous. Au-delà, le soin ou l’accompagnement à domicile sont synonymes (ce n’est pas rien) d'une meilleure accessibilité financière pour les citoyens. Beaucoup a déjà été écrit sur l’importance du reste à charge en maison de retraite. Bien entendu et chaque fois que cela sera possible, des soins et un accompagnement par un Ssiad changeront positivement la donne. Le reste à charge d’une hospitalisation à plein temps est également très élevé. L’HAD pallie cette difficulté. Doit-on se demander si les mutuelles et complémentaires santé ne devraient pas accorder une ristourne de cotisation à leurs affiliés pouvant s’organiser en HAD ?

En miroir de l’accessibilité pour les usagers et leurs proches, les services à domicile sont également beaucoup plus visibles pour les pouvoirs publics car ils génèrent moins de coûts fixes. On y finance le soin ou l’accompagnement de manière beaucoup plus directe et moins médiatisée que dans les structures conventionnelles où l’existence et la maintenance d’un patrimoine immobilier et mobilier absorbent une part significative des ressources consenties par le financeur. Dans cette dynamique et fort heureusement, les repères juridiques traditionnels frémissent : désormais, d’un institut médico-éducatif (IME) peuvent surgir des Sessad, d’un foyer d’accueil médicalisé (FAM), des Samsah, etc.

Le déploiement de services intégrés

L’étude 2013 de la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne, privés non lucratifs (Fehap) et de la Nouvelle Fabrique des territoires (NFT) montre qu'il existe naturellement des « cultures et préférences régionales et territoriales », avec des déséquilibres qu’il sera bienvenu de rééquilibrer dans les prochaines années pour assurer une égalité d’accès des citoyens à ces différents services (lire l'encadré). Mais, au-delà de la maturation géographique, se posent des questions importantes d’évolution organisationnelle. Les Sessad, Samsah et Ssiad doivent s'efforcer d’ajuster à des enveloppes budgétaires qui ne traduisent pas tous leurs besoins, mais ne connaissent pas de cessation de paiement en série. En revanche, c’est le cas de nombreux SAP, dans le domaine de la gérontologie comme du handicap, affaiblis par l’hémorragie financière permanente issue d’un « modèle économique impossible ». Une situation non seulement injuste mais très dangereuse, porteuse de fortes inefficiences du système dans son ensemble. Les quelques euros qui manquent pour assurer la continuité des services d’aide, pèsent beaucoup plus lourd dès lors qu’une décompensation n’a pu être évitée ou anticipée et que l'usager se présente aux urgences. Ou encore comment éviter une prolongation inutile du séjour à l'hôpital et revenir rapidement à domicile, faute de solution d’accompagnement ?

Comment peut s’exprimer cette « maturation organisationnelle » ? Cela tiendra à la sortie de la pensée unique et de l’action « en silo ». À l’évidence, Les Ssiad et Saad ou les SAP ont nombre de projets plus intégrés à concevoir et mettre en œuvre pour permettre aux services d’aide de retrouver un second souffle. Le déploiement des services polyvalents de prévention d’aide et de soins à domicile (SPPASAD) peut y contribuer largement. Mais tel est le cas aussi de plates-formes encore plus ouvertes, associant à la fois HAD, Ssiad et Saad ou SAP. La maison de santé Bagatelle à Bordeaux, l'association Soins Service à Amiens, le groupe hospitalier de l'Institut catholique de Lille sont de remarquables exemples de l’innovation par l’approche transversale, associant sanitaire, social et médico-social à domicile.

Face à ce dynamisme et à cette intelligence de terrain, reste aussi aux décideurs de sortir de cette lecture « en silo » : que l’organisation en services et bureaux distincts d’une agence régionale de santé (ARS) ou des administrations centrales ne condamne pas ainsi des entités privées non lucratives associant HAD et Ssiad, du seul fait de ne considérer que l’une ou l’autre partie du tout. Il nous faut développer une capacité d’analyse sous un angle plus large, du type « Secrétariat général des ministères chargés des affaires sociales ». Il y a encore fort à faire de ce point de vue.

Enfin, last but not least, l’engagement dans les services à domicile n’est pas un aller sans retour possible. En raison de l’absence de lourds investissements spécifiques, comme dans le domaine hospitalier conventionnel, mais aussi dans des Ehpad ou des foyers d'accueil spécialisé, le freinage et la réorientation des dépenses humaines et matérielles sont possibles, sans trop d’inertie. On peut ainsi modifier le contrat de location de sa flotte de véhicules, important dans les services à domicile, mais qui demeure une charge variable. L’erreur est possible et récupérable : il n'y a donc pas de lourds amortissements et frais financiers pesant sur les épaules de l’organisme gestionnaire (et les financeurs) pour les 25 ans à venir. Dans toutes les incertitudes sanitaires, sociales et médico-sociales du moment, l’intervention à domicile est une direction certaine.

Si vous souhaitez contribuer au débat, proposer une tribune ou réagir à celle-ci, n’hésitez pas et contactez la rédaction : redaction-directions@directions.fr

David Causse

Les guides régionaux de la Fehap

À l’occasion du 38e congrès de la Fehap début novembre, le Pr Emmanuel Vigneron et Sandrine Haas de la Nouvelle Fabrique des territoires ont présenté une nouvelle étude réalisée avec le pôle santé-social de la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne, privés non lucratifs (Fehap) [1]. Elle associe dans un même regard transversal une analyse territoriale fine de l’HAD, la dialyse hors centre, les Ssiad, les Sessad, les Samsah, les SAVS, les SAAD et les SAP. L’analyse par territoire livre ainsi un panorama de la disponibilité de ces services à la population, détaillant notamment les « zones blanches ou grises », jusqu’ici peu desservies ou oubliées des promoteurs ou des décideurs.

[1] « De l’analyse régionale à une mise en perspective nationale : quels enseignements pour la stratégie nationale de santé ? », novembre 2013. À télécharger sur www.fehap.fr

Carte d'identité

Nom. David Causse

Fonction. Coordonnateur du pôle santé-social à la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne, privés non lucratifs (Fehap)

Publié dans le magazine Direction[s] N° 116 - janvier 2014






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