« Il faut promouvoir la coconstruction, prévient Benedetta Badii, chargée de mission Urgence sociale à la fédération nationale des associations d'insertion Fnars de Provence-Alpes-Côte d'Azur-Corse-DOM. C’est la seule façon pour que les services intégrés d’accueil et d’orientation (SIAO) ne soient pas vécus comme quelque chose d’imposé. » C’est dire l’ampleur du défi qui les attend encore, cinq ans après leur création dans le sillage du chantier national prioritaire pour l’hébergement et l’accès au logement des personnes sans abri ou mal logées. L’ambition de cette plateforme départementale, animée par les associations et placée sous l’autorité du préfet ? Améliorer les réponses aux demandes d'accueil, via une gestion transparente de l’offre, tout en assurant un suivi des parcours, de l’urgence vers l’insertion et le logement. Un instrument de la politique du « Logement d’abord » soutenu par le secteur, quelque peu heurté depuis par ses modalités de mise en place, souvent à marche forcée [1].
Un circuit simplifié
Aujourd’hui, la couverture territoriale est finalisée : tous les départements sont dotés d’un SIAO, révèle une enquête à paraître de la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) et de la Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (Dihal). Principale plus-value ? La simplification des démarches. Finis les « accueils aux portails » et les innombrables coups de téléphone des travailleurs sociaux pour décrocher une place. Porte d’entrée unique, le SIAO centralise les demandes, aussitôt mises en regard des disponibilités comptabilisées sur la base des remontées des gestionnaires. Résultat ? « Pour les centres, cela équivaut à une réelle économie de temps sur le traitement des dossiers ou les entretiens d’admission, avance Bruno Garcia, coordinateur du SIAO urgence de Haute-Garonne. À condition de trouver l'équilibre entre la nécessité de répondre aux demandes et le respect des spécificités des structures. »
Le respect des projets associatifs, justement l’un des défis identifiés dès l’origine. « Au début, il y a eu une certaine réticence des gestionnaires à donner de la visibilité sur leur parc, se souvient Jeanne Dietrich, conseillère technique au pôle Exclusion à l’union nationale interfédérale Uniopss. Ce, de peur que leur projet, potentiellement centré sur des publics spécifiques, ne soit pas respecté par le SIAO qui de son côté tente de proposer des solutions à un maximum de personnes. » Quitte parfois à casser certaines « filières » locales, déplore Gilles Desrumaux, délégué général de l’union nationale Unafo : « Des partenariats préexistants, notamment avec le secteur psychiatrique, ont permis la mise en place de "circuits courts" qui restent pertinents. Tout centraliser pourrait conduire à une perte de temps et d’efficacité. »
Des trous dans la raquette
Conséquence ? Des admissions « en direct » subsistent et la progressive mutualisation des informations n'est pas encore optimale. Des « trous dans la raquette » qui font réagir les pouvoirs publics. « Les temps ont changé, recadre Sami Chayata, chargé de mission Hébergement à la Dihal. L’objectif premier est d'en finir avec la sélection des publics dans un souci d’équité. Même les profils les plus complexes doivent pouvoir prétendre à une offre adaptée. » Dans le viseur notamment ? Les acteurs du tiers secteur, jugés moins enclins à mutualiser leurs places. « Leurs réticences équivalent à celles rencontrées au début sur le secteur de l’hébergement où il y a aujourd’hui près de 85 % de visibilité », rassure Laura Charrier, chargée de mission Veille sociale et hébergement à la Fnars. L’assise législative donnée par la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (Alur) [2] permettra-t-elle de progresser en la matière ? « Nous ne sommes pas dans la toute-puissance, résume Philippe Lemaire, directeur du SIAO des Hauts-de-Seine. Notre but n’est pas de dicter aux établissements ce qu’ils ont à faire. D’autant qu’ils ont toujours in fine la capacité de refuser une admission, en motivant leur décision. D’où l’importance de peaufiner les évaluations pour positionner au mieux les personnes. »
Chacun semble avoir mis de l’eau dans son vin et appris à travailler ensemble. Même si, là encore, des marges de progrès demeurent. « Spécifiques, les conditions d’accès aux structures du logement accompagné sont encore mal connues des porteurs de SIAO, essentiellement issus du secteur de l’hébergement, assure Gilles Desrumaux. Cela provoque encore trop d’orientations inappropriées. »
La coordination reste pourtant la meilleure carte à jouer pour les services intégrés, via notamment leurs commissions partenariales et l'élaboration commune des orientations. « L’idée est d’en finir avec l’effet "boîte noire", justifie Philippe Lemaire. L'acculturation a permis aux uns de comprendre les contraintes et le fonctionnement des autres. »
Parmi les grands absents autour de la table ? Les agences régionales de santé (ARS), les services pénitentiaires d'insertion et de probation (Spip) [3], et encore trop souvent les professionnels du logement social. « Le rôle des SIAO, qui ne se substituent pas aux commissions d’attribution des bailleurs, doit être clarifié sur le volet logement », réclame Laura Charrier.
Gestion de la pénurie
Principale menace pesant sur ce jeune outil censé assurer la fluidité des parcours ? L’engorgement du dispositif, pointé en 2012 encore par l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) [4]. « Les associations espéraient qu’il contribuerait à rendre les manques visibles et à les faire remonter, raconte Éric Pliez, directeur général de l’association Aurore et président du Samu social de Paris. Or, malgré les efforts, on continue à gérer la pénurie par manque de places. La crédibilité du SIAO est mise en cause : assimilé à une machine bureaucratique qui tourne à vide, il risque de devenir le principal accusé, alors que c’est d’abord le système qui dysfonctionne. »
Apporter une photographie des territoires et de leurs besoins : c’est tout l’enjeu de la mission d’observation sociale assignée aux SIAO, pour le moment largement au point mort faute de système d’information opérationnel (lire l'encadré ci-dessous), mais également celle des diagnostics à 360°, toujours espérés. Premiers éléments de réponse le 3 décembre lors d’une journée nationale de restitution.
En attendant, la loi a fixé le cap. Demain, tous les SIAO, aux formes juridiques et aux modalités d’organisation très hétérogènes, devront converger vers un modèle unique [5] porté par une même personne morale. La route est longue : seuls 51% « se disent » dans les clous. « Les interprétations du caractère unique varient selon les territoires et peuvent différer de la définition légale », précise la Dihal. D’où l’importance d’accélérer leur harmonisation, via la publication prévue fin octobre d’une circulaire ad hoc. Dont acte, note Bruno Garcia : « Attention toutefois à ne pas déstabiliser l’existant et à ne pas alourdir les frais de gestion de la machine, au détriment des services rendus au public. »
[1] Circulaire du 8 avril 2010
[2] Loi n° 2014-366 du 24 mars 2014
[3] Une circulaire favorisant leur rapprochement avec les SIAO est promise pour novembre.
[4] Bilan de la mise en œuvre des SIAO, rapport de l'Igas, février 2012
[5] Regroupant les volets urgence, insertion et logement (avec l'intégration du 115).
Gladys Lepasteur
Le SI-SIAO opérationnel en 2016 ?
Fixée à la fin 2015 par la dernière feuille de route du plan Pauvreté, la généralisation d’un système d’information unique et commun (SI-SIAO), porté par l’État, se fait toujours attendre. Destiné à se substituer aux divers outils utilisés sur les territoires, il devrait optimiser la gestion des orientations et faciliter la mission d’observation sociale des services. Attention néanmoins, prévenait encore la Fnars dans un courrier à la DGCS début octobre : au préalable, le système doit être performant sur toutes les missions et ergonomique pour s’adapter à l’existant. En outre, il doit permettre la récupération des données accumulées et être conforme aux règles de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil). La DGCS devrait « redoubler de moyens » pour un déploiement fin 2016, indique la Dihal. Des formations sont aussi programmées.
Repères
- 49 % au moins des SIAO ne sont pas intégrés, révèle la DGCS dans une enquête menée en 2014.
- 76 % d'entre eux sont portés par une association.
- Jeanne Dietrich, conseillère technique au pôle Exclusion de l’Uniopss : « Le manque de financement nuit à l’efficacité du dispositif. La loi de finances pour 2016 devra prévoir des crédits spécifiques pour l’installation des futurs SIAO, comme pour le fonctionnement de l’existant. »
Publié dans le magazine Direction[s] N° 136 - novembre 2015