Créées il y a vingt ans [1], les résidences sociales accueillent et logent, dans plus de 1850 établissements, près de 120000 personnes aux visages très divers : des jeunes en mobilité résidentielle, des migrants âgés, des réfugiés politiques, des personnes en grande précarité sociale, en souffrance psychique ou ayant connu des situations d'exclusion. Faisant partie des logements-foyers, elles remplissent deux grandes missions : accueillir des publics en mobilité résidentielle ou sociale et insérer ou intégrer des personnes nécessitant des formes de soutien « souples et adéquates ». Pour ce faire, les gestionnaires de résidences sociales proposent des logements qui sont accompagnés de prestations et de services.
Les résidences sociales, c’est donc « services compris » [2]. Compris au sens où le logement est doté de services. Mais aussi au sens où il est nécessaire d’avoir la pleine compréhension de la raison d’être de ces services pour donner de l’intelligence aux actions menées.
Quels sont ces services ? À qui sont-ils destinés et pour quelles finalités ? Comment sont-ils mis en œuvre par des gestionnaires qui se reconnaissent dans l’économie sociale et solidaire (ESS) ? Enfin, quelles relations entretiennent ces professionnels avec les pouvoirs publics dans une dynamique de réponse aux besoins sociaux exprimés dans les territoires ?
Inscrire l’accueil dans un parcours de vie
Un référentiel d’autoévaluation des prestations et services rendus, élaboré par l’Union professionnelle du logement accompagné (Unafo) en 2010 permet de décrire l’expérience professionnelle au sein des résidences sociales. Il est articulé autour de trois axes : accueillir, loger, accompagner.
Accueillir, c’est positionner le gestionnaire comme opérateur de parcours résidentiel des personnes en situation de difficulté d’accès au logement. Ce point est important car cela signifie que l’accueil n’est pas seulement une prestation tournée vers l’établissement ou le logement ; en un mot, l’accueil, ce n’est pas seulement une admission. Au cœur des prestations qui sont mises en œuvre (procédure de candidature, accueil des personnes, traitement des entrées) une relation de service est toujours en jeu. Les prestations et services rendus n’ont de sens que rapportés à des publics se retrouvant en situation de précarité, de difficultés de tous ordres (santé, ruptures familiales, travail), vivant dans des territoires où ils ont leurs repères, dans des moments particuliers de leur existence. Leur accueil doit donc s’inscrire et prendre sens dans des parcours de vie, des besoins à chaque fois spécifiques auxquels les prestations doivent répondre. Les résidences sociales ne sont pas des établissements sociaux et médico-sociaux (ESMS). Cette question des parcours de vie et celle de la place des structures dans un continuum de services coordonnés à l’échelle d’un territoire sont cependant transversales et concernent l’ensemble des services à la personne.
Envisager le temps dans la durée, non dans l’urgence
De même, loger, ce n’est pas seulement fournir un ensemble de prestations nécessaires : qualité de l’offre de logement, gestion des réclamations, organisation des parties communes, location, concertation. Certaines sont essentielles afin de remplir les missions du logement accompagné. En effet, ce sont des logements meublés et équipés, habitables rapidement et sans démarches supplémentaires auprès de fournisseurs d’énergie. Certaines de ces prestations, obligatoires ou facultatives, sont très diverses selon les établissements (blanchisserie, accès Internet, etc.). Les habitations proposées sont ainsi à la fois autonomes, abordables financièrement (elles bénéficient de l’APL) et adaptées aux besoins (personnes âgées, jeunes, public en situation d’exclusion). Au cœur de la relation de service dont les prestations ne sont que les auxiliaires, il y a la capacité pour les personnes à pouvoir disposer d’un « chez soi », de profiter d’une intimité et de développer une confiance en eux pour se construire ou se reconstruire, entretenir des relations avec les autres, envisager le temps dans la durée et non plus seulement dans l’urgence.
Enfin, accompagner, c’est mettre en œuvre des prestations, telle la gestion locative de proximité (réguler les établissements, prévenir les impayés, lutter contre la solitude, orienter vers les services de droit commun). C’est aussi mobiliser des moyens d’accompagnement social ou de santé souples et adéquats pour que les personnes puissent accéder à leurs droits sociaux et participer à la vie de leurs quartiers ou de leurs communes. Mais, au-delà de ces prestations, il y a encore et toujours une relation de service visant à faire en sorte que les usagers retrouvent respect et estime sociale, aient droit à la reconnaissance qui leur a si souvent fait défaut.
Le référentiel d’autoévaluation permet donc que, dans la qualité de service, on n’évalue pas seulement les prestations et services pour eux-mêmes, mais à l’aune de la relation de service et de la finalité qui les sous-tend. La participation à l’évaluation de toutes les parties prenantes (résidants, professionnels, environnement social, financeurs) est donc indispensable à un processus qui est, avant tout, une démarche collective de progrès.
De l’intérêt général
Mais ces services rendus, pris dans une relation de service, se situent dans un contexte institutionnel et au sein d'organisations qui leur donnent tout leur sens et participent d’une politique d’accès au logement des personnes défavorisées.
Les organismes du logement accompagné ne sont pas soumis à un régime d’autorisation, mais à un régime d’agrément qui a été réformé par la loi du 25 mars 2009. Celle-ci vise à transposer dans le droit français la directive dite « Services ». Les organismes agréés sont ainsi considérés comme des services sociaux d’intérêt général (Ssig). Trois grandes catégories d’activités, prévues à l’article L365-1 du Code de construction et de l’habitation (CCH), sont constitutives d’un service social lié au logement social : la maîtrise d’ouvrage, l’ingénierie sociale, financière et technique, et l’intermédiation et la gestion locative sociale.
Les organismes qui ne sont pas des bailleurs sociaux (associations, fondations, unités économiques et sociales – UES) doivent être agréés pour pouvoir bénéficier de contributions publiques au titre de ces activités. Activités qui sont destinées à des « personnes et des familles éprouvant des difficultés particulières pour se loger ou se maintenir dans leur logement ».
Que retenir de cette qualification de Ssig ? Il y a trois enjeux majeurs. Le premier, et central, concerne les publics : sont concernées les personnes défavorisées comme destinataires des services. La notion de « défavorisées » est assez floue, susceptible de recouvrir des qualifications relativement larges : niveau de ressources, jeunes en mobilité, familles monoparentales, usagers en situation de précarité ou de grande exclusion. Sa détermination est ainsi renvoyée de fait à des acteurs ou des systèmes d’acteurs locaux qui, sur les territoires, répondent à des besoins de publics très diversifiés. La qualification de « défavorisées » ramène donc les Ssig à l’économie sociale.
Le deuxième enjeu est celui des services rendus et renvoie au référentiel professionnel de l'Unafo. Un des ces agréments, la maîtrise d’ouvrage d’insertion, désigne le fait pour les organismes à but non lucratif qui sont agréés d’être propriétaires des logements ou des établissements qu’ils gèrent. Au-delà d’un cycle long immobilier imposant des règles particulières de gestion, la reconnaissance de la maîtrise d’ouvrage d’insertion par les pouvoirs publics pose des questions nouvelles. Le ou les modèles économiques que les organismes agréés mettent en œuvre (le fait de ne s’adresser qu’à des publics défavorisés à faibles revenus, construire dans le diffus ou des établissements de petite taille avec des parties communes importantes, mobiliser l’épargne solidaire et/ou des bénévoles) nécessitent qu’ils développent une rationalité économique différente du secteur HLM ou du domaine privé. Les organismes relève bien ainsi d’une économie sociale, mais aussi d’une économie solidaire qui lie, de manière indissoluble et particulière, la propriété du bâti et les services de gestion locative sociale et d’accompagnement.
Des enjeux d’encastrement
Le troisième enjeu enfin, celui des opérateurs et leur rapport à la commande publique, pose la question de l’initiative associative et son lien avec la définition de l’intérêt général. Contrairement au système d’autorisation des ESMS, ce ne sont pas les établissements qui sont agréés mais les opérateurs en raison de leur capacité d’agir. Il y a là un défi essentiel. Le professeur de droit Robert Lafore a analysé la manière dont le régime d’autorisation a contribué à la normalisation des prestations et services rendus [3]. Le fait de renvoyer les agréments à des acteurs, et non à des actions conduites, est donc primordial. Cela donne du sens à l’initiative associative dans l’invention de réponses nouvelles, particulières et innovantes en réponse à l’émergence de nouveaux besoins sociaux. Le secteur du logement accompagné a ainsi « inventé » les pensions de famille, les résidences et hôtels sociaux, le mandat de gestion immobilière à vocation sociale avant que les pouvoirs publics ne relaient ces initiatives pour leur attribuer un cadre et contribuer à leur développement. Cela a été possible parce que ces initiatives associatives reposaient, à la base, sur la mobilisation de la société civile et sur des réponses solidaires dans les territoires. En cela, le secteur relève une nouvelle fois de l’économie sociale et solidaire qui s'appuie sur la participation croisée de parties prenantes aux projets associatifs.
Services et relation de service, initiative associative et coconstruction des politiques publiques au sein d’une économie sociale et solidaire : il y a là des enjeux d’encastrement des services rendus par le secteur du logement accompagné [4]. Encastrement dans les parcours de vie des personnes défavorisées, dans le tissu social construit de manière solidaire, dans les territoires comme espaces de délibération collective, encastrement enfin dans la coconstruction des politiques publiques pour produire des solutions diverses et adaptées qui participent de l'édification de l’intérêt général.
[1] Décret n° 94-1129 du 23 décembre 1994
[2] L’Unafo organise les 24 et 25 novembre 2015 ses 15e rencontres nationales à Marseille.
[3] « La place des associations dans les politiques sociales et médico-sociales », Robert Lafore, in Faire société, éd. Dunod, 2010
[4] Sur la notion d’encastrement, cf. Jean-Louis Laville, « La politique de l’association », Le Seuil, 2010.
Gilles Desrumaux, délégué général de l’Unafo
Carte d'identité
Nom. Gilles Desrumaux
Fonction. Délégué général de l’Union professionnelle du logement accompagné (Unafo)
Publié dans le magazine Direction[s] N° 136 - novembre 2015