© Ministère Santé-Dicom-Nicolas Messyasz-Sipa
À la lecture des dernières moutures du projet de loi de modernisation du système de santé, les acteurs du champ social et médico-social sont quasi unanimes. Un même sentiment de déception s’exprime face à ce qu’il reste de la volonté initiale du texte qui visait la réduction des inégalités d’accès à la santé sur les territoires. Après l’échec, fin octobre, de la commission mixte paritaire chargée de trouver un accord entre les deux chambres et à la veille d’une nouvelle lecture par les députés et les sénateurs, le secteur peinait toujours à se faire une place dans le projet de loi.
Un régime de défaveur
Les aspirations à un « service territorial de santé au public », visant à structurer l’intervention des acteurs des soins de premier recours, des généralistes aux établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS), n’ont pas passé le cap de la première lecture au palais Bourbon. Mi-novembre, à la veille d'un nouvel examen à l'Assemblée, il ne reste qu’une alternative, centrée sur la médecine libérale de proximité, entre des « pôles de santé » facultatifs, promus par le Sénat, et la formule défendue par les députés des « communautés professionnelles territoriales » systématiques et vraisemblablement plus accueillantes à l’égard des ESSMS.
Leur pendant institutionnel, les groupements hospitaliers de territoire (GHT) n’octroient qu’un strapontin aux structures médico-sociales publiques, tandis que celles du privé en sont exclues. Sauf à en être de simples partenaires. Paradoxalement, ce régime de défaveur ne fait pas que des malheureux : en effet, les GHT, destinés à rassembler les établissements publics de santé autour de projets médicaux partagés, inquiètent : « Ne seront-ils pas qu’un premier pas vers la fusion ? Quelle sera l’autonomie laissée aux entités satellites ? Les chefs de ces dernières sont-ils voués à devenir des adjoints ? », interroge Frédéric Cecchin, vice-président du syndicat de directeurs de l’hospitalière SMPS. Par comparaison, l’approche transversale de la politique de santé mentale, soutenue par les deux chambres à l’article 13, est l’exemple à suivre, pour Marion Quach-Hong, chargée de mission Santé et études à la fédération nationale d’associations Fnars : « C'est une véritable reconnaissance du travail de coordination entre champs sanitaire, médico-social et social. » Elle salue également l’insertion, par les sénateurs, d’un programme relatif au logement et à l’hébergement des personnes en souffrance psychique, « afin de limiter les ruptures de parcours ».
De nouveaux outils de coordination
Dans l’ensemble, le projet de loi contient peu de mesures destinées aux acteurs du handicap, notamment en matière d’accès des usagers à la médecine de ville. Quelques avancées ont néanmoins émergé au fil de son examen, à l’instar de l’article 21 quater relatif aux structures accueillant des mineurs handicapés. Celui-ci organise le déploiement du fonctionnement en dispositif intégré, actuellement expérimenté dans plusieurs régions, à l’initiative de l’Association nationale des instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques – Itep – et de leurs réseaux (Aire). « Il permet de diversifier et de moduler plus facilement les modalités d’accompagnement des jeunes, explique Christophe Douesneau, directeur du développement et de l'offre de service à l'Association des paralysés de France (APF). Ce cadre assoupli pose les bases de ce à quoi doit ressembler l’ensemble du champ médico-social demain. »
Autre évolution inattendue chaudement accueillie par le secteur ? Dans la droite ligne des préconisations du rapport de Denis Piveteau [1], l’article 21 bis instaure le plan d’accompagnement global. Pensé pour les personnes handicapées « sans solution », cet outil – déjà à l’œuvre dans certains départements – permet d’identifier nominativement les établissements qui correspondent à leurs besoins, tout en associant ces derniers à la décision. Une orientation indépendante de l’offre est prononcée en parallèle. Adoptée en mars dernier en commission à l’Assemblée, la mesure avait d’abord été retirée avant d’être réintroduite, revue et corrigée. « La première version se contentait de fonder la décision sur les ressources mobilisables, privant ainsi les personnes de leurs droits, relate Thierry Nouvel, directeur général de l’union d’associations Unapei. Le but du dispositif est de pousser tous les acteurs à trouver des réponses ensemble. Sa réussite dépend de l’octroi de moyens complémentaires, au-delà de l’enveloppe de 15 millions d’euros promise par la ministre en charge. »
De manière plus générale, la coordination des parcours « complexes » est une préoccupation d’ampleur que visait déjà le texte initial. La mouture issue du Sénat et examinée à la mi-novembre par les députés, mise sur l’élaboration de fonctions d’appui – éventuellement organisées en plateformes territoriales – en soutien de tout type de professionnel, sur sollicitation de médecins. Leur articulation avec les réseaux de santé, les centres locaux d’information et de coordination (Clic) ou encore les méthodes d’action pour l’intégration des services d’aide et de soins dans le champ de l’autonomie (Maia) reste floue. En outre, la sécurisation juridique du partage d’information entre intervenants sociaux, sanitaires et médico-sociaux, devrait faciliter leurs échanges.
Un schéma de santé transversal
C’est aussi une vision décloisonnée qui est défendue en matière de planification. Ainsi, les trois schémas régionaux de santé actuels – sur la prévention, l’organisation des soins et l’organisation médico-sociale – doivent être fusionnés, tandis que le programme complémentaire relatif à l’accès à la prévention et aux soins des personnes les plus démunies est maintenu. La nouvelle génération de projets doit être élaborée à partir de l’évaluation des besoins et fixer des objectifs en matière de développement de l’offre. Effet collatéral ? Avant leur terme, les autorisations incompatibles avec l’attendu peuvent être remises en cause. S’il paraît compliqué de s’insurger contre le principe, restait pour les représentants du secteur à aménager des garde-fous. « Nous avons abouti à un compromis rédactionnel, se félicite David Causse, coordonnateur du pôle Santé-social de la fédération d’employeurs Fehap. Les pouvoirs publics acquièrent la puissance de feu pour renouveler l’offre et nous disposons de garanties de fonds et de procédure. » Ainsi, les structures interpellées par l’Agence régionale de santé (ARS) bénéficieront d’un délai d’au moins un an pour modifier leur capacité ou transformer leur activité. Tout dépendra des priorités retenues par les futurs schémas régionaux de santé, prévus pour 2018. « Il s’agira de documents transversaux, s’appliquant aux grandes régions, souligne Céline Masson, conseillère technique Santé et ESSMS à l’union nationale de gestionnaires privés Uniopss. Nous serons donc d’autant plus attentifs à la manière dont ils s’articuleront avec les autres outils de planification à plus petite échelle et aux modalités de consultation préalables. » Pour s’assurer que la voix des acteurs de terrain soit entendue.
[1] « Zéro sans solution », rapport remis au gouvernement en juin 2014, à télécharger sur www.social-sante.gouv.fr
Aurélia Descamps
Addictologie : cap sur la prévention
Les contours du secteur de l’addictologie ont été redessinés par le projet de loi Santé. Dans la version étudiée en nouvelle lecture à l’Assemblée nationale mi-novembre, la prévention est une mission explicitement dévolue aux centres de soins d’accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa). « C’est une première étape, considère Nathalie Latour, déléguée générale de la Fédération Addiction. Reste à essayer de pérenniser son financement par les pouvoirs publics, dans le prochain projet de loi de finances. » Par ailleurs, le texte consacre une définition élargie de la politique de réduction des risques. « Cela doit permettre de sécuriser les actions des professionnels auprès des usagers de drogues sur leurs différents lieux d’intervention », note-t-elle avec satisfaction. Il ouvre aussi la voie à l’expérimentation de salles de consommation à moindre risque, dont les possibilités d’implantation étaient toujours limitées, à la mi-novembre, aux seuls établissements de santé.
Repères
- Christophe Douesneau (APF) : « Le médico-social est positionné en suiveur du sanitaire, alors que la réponse aux principaux défis de santé (maladies chroniques, vieillissement…) repose sur un suivi global au long court. »
- 19 à 67 % (selon les études) des hospitalisations de résidants d’Ehpad sont évitables, d'après la HAS et l'Anesm.
- Projet de loi, article 14 (à mi-novembre) : « Le parcours de santé est dit complexe lorsque l’état de santé, le handicap ou la situation sociale du patient rend nécessaire l’intervention de plusieurs catégories de professionnels de santé, sociaux ou médico-sociaux. »
Publié dans le magazine Direction[s] N° 137 - décembre 2015