L’expérimentation de Spasad intégré, menée par l’association Eliad dans le Doubs, doit permettre d’aboutir à des interventions moins fractionnées et plus longues chez l’usager. © Eliad-L.Georges
« Il faut conduire une réforme organisationnelle et culturelle afin de décloisonner les interventions et les métiers de l’aide et des soins à domicile. Mon plan d’action fixe une cible claire, celle des services polyvalents d’aide et de soins à domicile (Spasad). » Ainsi s’exprimait la secrétaire d’État Laurence Rossignol le 25 septembre 2014, devant une audience attentive de professionnels aux 5e assises de l’aide à domicile, à Paris. Le cap est affiché depuis : créés en 2004 [1], les Spasad doivent être un outil phare de la refondation du secteur, ce rapprochement des services d’aide et d’accompagnement (Saad) et de soins infirmiers (Ssiad) à domicile ayant vocation à améliorer la prise en charge des usagers. « L’enjeu est la qualité de l’intervention, confirme Philippe Hédin, à la tête de l’association La Vie à domicile, gestionnaire d’un Spasad à Paris. Ces structures sont une voie de structuration, dans un contexte où l’aide à domicile est restée longtemps coupée du soin. En offrant une vision commune, elles sont une réponse au manque de coordination autour des personnes, ce dont les pouvoirs publics et les fédérations du secteur ont aujourd’hui pris la mesure. »
Faible déploiement, répartition inégale sur le territoire, coordination insuffisante des missions d'accompagnement et de soins, développement de la prévention à renforcer… Autant de raisons pour lesquelles le gouvernement veut aller plus loin que les Spasad originels (qui sont moins d’une centaine en France) en incitant à expérimenter des services « intégrés ». Dès l’entrée en vigueur de la loi d’adaptation de la société au vieillissement, fixée au 1er janvier 2016, Saad et Ssiad pourront ainsi s’essayer à un mode d’organisation facilité pour une durée maximale de deux ans [2].
Des conditions d’éligibilité mal définies
Un projet de cahier des charges de ces services « nouvelle génération » a été dévoilé aux organisations professionnelles lors du comité de pilotage de refondation des services du domicile du 10 juin dernier. Verdict ? Plutôt mitigé… Sur les conditions d’éligibilité à l’expérimentation, tout d’abord : outre les Spasad existants, pourront y prétendre les Ssiad et Saad qui se constituent en groupements de coopération sociale et médico-sociale (GCSMS), porteurs ou non d’une autorisation conjointe du conseil départemental et de l’agence régionale de santé (ARS). Mais aussi les services décidant d’exercer leurs missions en commun dans le cadre d’une convention. Une souplesse appréciée par la Fédération Adessadomicile. « Les Saad agréés pourront en outre y prendre part », précise sa déléguée Santé et soins, Aurore Rochette. « Mais les implications des critères énoncés, en matière d’évaluation par exemple, n'apparaissent pas dans la rédaction actuelle », nuance Line Lartigue, directrice Santé à l’Union nationale UNA.
Des points de divergence
Certaines questions restaient encore à trancher cet été, comme celle de la taille requise pour entrer dans le dispositif. Calculée en nombre de places pour la partie « soins » et d’heures d’intervention pour la partie « aide », cette capacité minimale suscite, dans son principe même, des réticences. « Avec l’introduction de seuils, des structures déjà inscrites dans un projet de coordination pourraient ne pas trouver place dans l'expérimentation », prévient Line Lartigue.
Sur le plan financier, celle-ci sera conduite selon les modèles tarifaires existants, d'après le ministère. « La grande nouveauté est la mise en cohérence des budgets soins, aide et prévention via le contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens (CPOM) qui entraînera un dialogue de gestion entre l’ARS et le département. Ce qui n’est pas le cas actuellement même lorsque le gestionnaire le sollicite », précise Katy Bontinck, conseillère
chargée de l’accompagnement à domicile au cabinet de Laurence Rossignol. Insuffisant pour le secteur :« Les financements resteront cloisonnés, réagit Line Lartigue. Aucune fongibilité n’est prévue alors que le cadre expérimental aurait pu permettre, en retour d’hospitalisation, de financer ponctuellement des heures d’aide à domicile, via l’assurance maladie. »
Mettre en œuvre la coordination des services a un coût, pointent aussi les fédérations. « Il doit être identifié dans le cahier des charges », soulève ainsi Maud Collomb, directrice du développement à l’Union nationale ADMR. « Aller vers des systèmes d’information intégrés, un partage de plannings, des projets personnalisés d’aide, d’accompagnement et de soins implique des ajustements qui doivent être corrélés à des ressources supplémentaires », renchérit Aurore Rochette.
Autre point problématique, le rôle de l’infirmier coordinateur, qui serait chargé de coordonner les prestations d’aide et de soins du Spasad. « Il y a là une confusion entre l’expertise infirmière et le management transversal des services », souligne Line Lartigue. « Nous sommes plutôt en faveur d’un binôme de cadres référents – infirmier coordinateur et responsable de secteur – en étroite coordination », plaide Aurore Rochette.
Méthode Coué ?
Sur d’autres aspects, les positions des fédérations et des pouvoirs publics apparaissent nettement moins conciliables. « La définition du Spasad proposée est restrictive, puisqu’il doit mettre en œuvre à la fois de l’aide et des soins, souligne Line Lartigue. Il devrait être au contraire le service de l’accompagnement à domicile, agissant quel que soit le besoin de la personne, y compris en matière de prévention. Si le Spasad intégré n’est finalement que l’addition d’un Saad et d’un Ssiad, quel est l'intérêt de l'expérimentation ? »
Ces services polyvalents ne doivent pas non plus masquer les difficultés économiques du secteur, pointent les organisations. « Ils ne sont pas la planche de salut financière des services à domicile, insiste Aurore Rochette. Sur ce point, il faut prendre les chantiers tarifaires à bras le corps. » Le risque ? « Que les Spasad, jugés positifs en termes de communication politique, éludent ces problématiques », glisse Maud Collomb. « Je n’ai pas la prétention de dire que les Spasad seront une solution miracle », affirmait Laurence Rossignol l’an dernier… comme pour parer aux éventuelles critiques face à un discours qui prenait les allures d'une véritable campagne de promotion de ce modèle.
Une réunion de travail entre le cabinet et les fédérations devait être programmée en septembre, suite à la transmissions des observations du secteur sur le projet de cahier des charges en juillet dernier. « L’objectif est de sortir les principaux décrets d’application dans la foulée de la promulgation de la loi. Le cahier des charges fait partie de ces textes prioritaires », assure-t-on au ministère. « Un calendrier plutôt optimiste, sachant que la question n’a fait l’objet que de deux réunions du comité de pilotage avant l’été… », relève Aurore Rochette. La rentrée promet donc d’être chargée.
[1] Décret n° 2004-613 du 25 juin 2004
[2] Article 34 du projet de loi.
Justine Canonne
Une expérience pilote de service intégré dans le Doubs
Marie-Paule Belot, directrice générale de l’association Eliad, dans le Doubs
« Menée depuis mars 2014 [1], notre expérimentation résulte d’un triple constat : l’inégalité de traitement entre usagers due au manque de places en Ssiad ; les difficiles conditions de travail des intervenants de Saad, assumant régulièrement des tâches au-delà de leurs missions ; enfin, les organisations en "tuyaux d’orgue" des services. Le fonctionnement intégré implique une équipe d’aides à domicile et d’aides-soignants, un seul assistant chargé des plannings et un référent unique pour coordonner les interventions auprès de la personne. Selon sa situation, l’aide-soignante chargée de la toilette le matin peut aussi s’occuper du petit-déjeuner, tandis que l’aide à domicile intervenant le soir peut aussi effectuer un change pour la nuit. Ce qui permet des passages moins fractionnés et plus longs au domicile. Au printemps 2016, au terme de l’expérience, l’évaluation déterminera les effets en matière de professionnalisation, de déplacements, d'absentéisme… des 20 salariés équivalents temps plein. Ainsi que sur l'accompagnement, les dépenses de santé… pour les 120 usagers. »
[1] Financée par le conseil départemental du Doubs, l’ARS de Franche-Comté et la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA).
Repères
- 94 Spasad en France en mai 2015, selon le ministère des Affaires sociales.
- 2 300 Ssiad existants devront fonctionner en Spasad d'ici à cinq ans, tel est le cap fixé par Laurence Rossignol le 25 septembre 2014.
- 140 millions d'euros : c'est la dotation des actions de prévention décidées par la future conférence des financeurs et auxquelles les Spasad intégrés seront éligibles.
Publié dans le magazine Direction[s] N° 134 - septembre 2015