« Il nous serait difficile de dire aujourd’hui, malgré la récente circulaire [1], quel est le contenu de cette nouvelle peine, encore en devenir », déplore Stéphanie Lassalle, chargée de mission à la fédération Citoyens et Justice. En octobre 2014, à l’issue de vifs débats nationaux, la contrainte pénale a fait son entrée dans le droit français [2]. Inspirée des règles européennes de probation, cette alternative aux courtes incarcérations [3] repose sur un contrôle, ainsi que sur une série d’obligations et d’interdictions imposés pour une durée de six mois à cinq ans à la personne condamnée, sous la houlette du juge d’application des peines (JAP). Le tout assorti d’un suivi en milieu ouvert qui se veut individualisé et renforcé.
Une petite révolution, inspirée des préconisations de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive de 2013 ? « Celle-ci avait fait naître beaucoup d’espoir, se souvient Jean Cael, responsable du département Prison-Justice du Secours catholique-Caritas France. Nous y avions vu l’occasion d’avoir enfin un débat susceptible de déboulonner l’emprisonnement ferme de son piédestal. » Une urgence, au vu de l’inflation carcérale : entre 2002 et 2012, le nombre de détenus a bondi de 34 % [4].
Espoirs déçus
Un an plus tard, l’enthousiasme est retombé. « Les magistrats hésitent à se saisir de cette peine, qu'ils disent difficile à appréhender, indique Denis L’Hour, directeur général de la fédération Citoyens et Justice. D’autant que le sursis avec mise à l’épreuve tel qu’il est déjà mis en œuvre par les associations à la suite d'un contrôle judiciaire socio-éducatif, ressemble fort à l’esprit de la contrainte pénale. »« En outre, poursuit Jean Cael, celle-ci n’est pas venue se substituer aux autres mesures alternatives et d’aménagements de peine, comme nous l’avions espéré. Cette nouvelle couche au mille-feuille a ainsi perdu de sa force. » Résultat ? « Seules » quelque 813 peines ont été prononcées en un an, bien loin des 20 000 condamnations annuelles prédites à l’époque.
Des débuts poussifs sans surprise pour la place Vendôme : l’outil doit encore être apprivoisé. Les directions de l’Administration pénitentiaire (DAP) et des Affaires criminelles et des grâces ont tout de même jugé bon de se saisir de leur bâton de pèlerin pour aller faire de la pédagogie sur le terrain. Les résultats de la prochaine recherche-action lancée dans six juridictions devraient également permettre d’identifier les freins, comme les possibles leviers d’action pour un déploiement optimal du dispositif [5], notamment auprès des services pénitentiaires d'insertion et de probation (Spip), bientôt dotés d’un manuel ad hoc (lire l'encadré).
Embolie pénitentiaire
Car ce sont bien eux, et leurs quelque 4600 personnels, qui sont d’abord priés de mettre les bouchées doubles. Eux qui, comme le reste de la chaîne pénale, ont vu considérablement augmenté leur charge de travail ces dernières années. Mille embauches devraient venir renforcer les effectifs d’ici à 2017. Largement insuffisant, balaie Morgan Labey, secrétaire national de la CGT Collectif insertion probation : « C’est tout juste ce qu’il faut pour nous empêcher de mourir ! Aujourd’hui, avec 100 à 150 suivis en milieu ouvert chacun, les conseillers n’ont pas les moyens de remplir correctement leurs missions ! » Et la sociologie, en pleine mutation, de ces professionnels interroge. « Les récentes promotions se considérent d’abord comme des contrôleurs d’exécution de la peine, plus que comme des travailleurs sociaux, note Jean Cael. Qui va dès lors prendre en considération la situation individuelle de la personne, préalable obligatoire pour prononcer la contrainte pénale? »
Ce n’est pas faute d’avoir fait acte de candidature, rétorque le monde associatif. Écartés par le législateur de la conduite même de la peine, ces acteurs historiques de l’accompagnement des personnes placées sous main de justice (PPSMJ) ne décolèrent pas. « Les associations, qui ont déjà fait la preuve de leur expertise dans les mesures du post-sentenciel, ne sont intégrées qu'à la marge à la contrainte, qui devrait pouvoir se nourrir de la complémentarité entre le secteur et le service public », soutient Denis L’Hour. « Elle doit relever de l’État, car c’est lui qui sanctionne, recadre le député (PS) Dominique Raimbourg, coprésident du comité de suivi de la mise en œuvre de la réforme pénale. Nous sommes certes là dans la symbolique, mais face à la prégnance de la prison dans les faits, comme dans la tradition populaire, il est impératif de montrer que l’on peut être sanctionné sans être incarcéré. » Le monde associatif restera donc un simple maillon de la chaîne, a tranché le législateur. Essentiel, toutefois, reprend le député : « Le contrôle à l’extérieur doit notamment progresser. Ce qui implique que la prise en charge dans un établissement d’hébergement par exemple soit possible sitôt la peine prononcée. »
Pas sans moyens
D’accord, mais avec quels moyens ? interroge le secteur qui n’a vu aucun crédit débloqué pour sa participation renforcée. « C’est pourtant l’une des conditions sine qua non de réussite, en particulier dans la prise en charge des conduites addictives, soutient Laurent Michel, directeur médical du centre de soins d’accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa) Pierre Nicole, à Paris, géré par la Croix-Rouge. L’articulation entre les intervenants judiciaires et sanitaires implique de multiplier les temps de rencontre pour que les uns comprennent les limites des autres, en particulier en matière de secret professionnel. »
Mêmes questionnements du côté des ateliers et chantiers d’insertion (ACI), acteurs majeurs des aménagements de peine. « Selon les territoires et les moyens disponibles, certaines structures sont conventionnées, d’autres non, parfois sans contrepartie financière…, rapporte Pascal Grand, délégué régional du réseau Chantier école Auvergne. Il est urgent de redéfinir les modalités de ce partenariat, car les ACI, déjà fragilisés par les réformes de l’insertion par l’activité économique (IAE) et de la formation professionnelle, hésitent à se lancer dans l’accompagnement des PPSMJ. »
« Le concours des associations dans la mise en œuvre opérationnelle n’a toujours pas été travaillé dans un cadre national, résume Elsa Hajman, chargée de mission Jeunes et Justice à la fédération nationale Fnars. Elles sont trop souvent prises comme prestataires dans l’élaboration des projets, une problématique récurrente avec la DAP. » Dernière preuve en date, rapportent les organisations ? Leur convocation par l’administration à l’été 2014, pour évoquer leur possible concours au dispositif… à peine un mois avant la promulgation de la loi. « Le signe d’un certain désarroi, ironise un participant. Et après, dans son rapport d’évaluation au Parlement en 2017, le gouvernement concluera que la mesure est un échec, faute d'implication des acteurs… »
[1] Circulaire du 26 septembre 2014
[2] Loi n° 2014-896 du 15 août 2014
[3] Pour les majeurs condamnés pour un délit puni d’une peine d’emprisonnement de moins de cinq ans, puis pour toutes les personnes à partir de 2017
[4] Rapport d’information sur les moyens de lutte contre la surpopulation carcérale, janvier 2013
[5] Et de la libération sous contrainte.
Gladys Lepasteur
Des outils controversés pour les Spip
Élaboré par la DAP, le manuel de la contrainte pénale devait être soumis au comité technique des Spip mi-septembre. Principe de la réévaluation régulière de la situation de l’intéressé, composition et missions de la commission pluridisciplinaire interne chargée d’examiner les cas des condamnés… Le document entend cadrer les pratiques des conseillers d’insertion et de probation. Par ailleurs, les résultats de la recherche-action sur l’évaluation des PPSMJ, lancée pour 18 mois dès septembre 2014, permettront d’introduire dans les Spip de nouveaux outils inspirés notamment de dispositifs canadiens. « La contrainte pénale est devenue une nouvelle porte d’entrée pour normer les pratiques des services sur le modèle de la criminologie anglo-saxonne, rejette la CGT. Là où nous parlons "évaluation des personnes", l’administration elle, parle "évaluation du risque de récidive". »
Repères
- 813, c’est le nombre de contraintes pénales prononcées (au 30 juin 2015).
- 1000 personnels, dont 640 conseillers, intègreront les Spip d’ici à 2017.
- Elsa Hajman, chargée de mission à la Fnars : « Les plus fragiles doivent avoir accès à la contrainte pénale qui a vocation à s’appliquer à ceux dont la situation justifie un accompagnement individualisé et soutenu. Or, nous n’avons aucune visibilité sur le profil des personnes condamnées. »
Publié dans le magazine Direction[s] N° 135 - octobre 2015