L’inscription du « dispositif Itep » (instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques) dans la loi Santé du 26 janvier 2016 est-elle la consécration de ce mode d’accompagnement « intégré » ? Conceptualisé par l’Association des Itep et de leurs réseaux (Aire) pour proposer une prise en charge souple et sur mesure aux jeunes de 5 à 23 ans, cette organisation essaime.
Un laboratoire à ciel ouvert
Initié dès 2008 par des directeurs soutenus par les institutions locales [1], il fait, depuis fin 2013, l’objet d’une expérimentation nationale copilotée par la Caisse nationale de solidarité et de l’autonomie (CNSA) et la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS). Un chantier qui s’inscrit dans le cadre des travaux sur la logique de parcours et qui constitue ainsi une forme de laboratoire à ciel ouvert pour l’ensemble du secteur. Après une première phase au bilan encourageant [2], la démarche se poursuit jusqu’en 2017. Mais si la loi facilite l’essor du dispositif, les concertations autour du projet de décret (attendu pour juillet), qui fixera son cahier des charges [3], montrent qu’il reste du chemin avant d’aboutir au décloisonnement espéré. L’ambition ? Proposer à un jeune dont les difficultés psychologiques perturbent les apprentissages, une prise en charge pluridisciplinaire et modulable, reposant sur la conjugaison d’au moins trois modalités : l’internat, le semi-internat ou le service d’éducation spécialisée et de soins à domicile (Sessad). Une formule « qui permet de répondre très rapidement aux besoins de l’enfant repérés en temps réel », explique Sabine Hermann, directrice de l’Itep Villa Blanche Peyron, à Nîmes, engagée depuis 2012 dans la démarche. Un jeune qui vit à domicile, dont l’état se dégrade, peut ainsi passer quelques nuits en internat afin d’apaiser la situation tout en continuant à être suivi par le Sessad.
Les premiers résultats de l’expérimentation montrent que 16 % des jeunes ont bénéficié, à un moment donné de l’année scolaire, de ces prises en charge simultanées. Une souplesse possible à condition de sortir du cadre réglementaire. Qui nécessite de ne pas avoir à présenter le dossier du jeune à la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) à chaque changement dans l’accompagnement. Par dérogation, l’expérimentation a donc autorisé les commissions à notifier vers le dispositif plutôt que vers un service spécifique. Ce qui permet aux Itep, en cas d’évolution, de n’avoir qu’à l’informer via une fiche de liaison.
Et les familles ?
Dans le cadre de la deuxième phase de l’expérience, ce sont désormais les changements en matière de scolarisation qui peuvent être entérinés sans passage en CDAPH. Mais des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) ont refusé de s’engager dans cette voie. « Cela risque de placer la famille seule face à l’établissement. S’il y a désaccord, comment faire en sorte que sa parole soit entendue ? La CDAPH est justement là pour jouer son rôle de tiers », justifie Igor Dupin, président de l’Association des directeurs de MDPH. L’Union nationale de familles et amis de personnes malades et handicapées psychiques (Unafam) réclame aussi de telles garanties. Comme en Pays de la Loire où les parents bénéficient d’un délai de réflexion lorsqu’un changement est envisagé.
Côté tarification, il a fallu aussi assouplir les règles, puisque Sessad et Itep relèvent d’autorisations et de modes de financement différents. La majorité des Itep de l’expérimentation ont conclu un contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens (CPOM) dont la dotation globale permet de lever ces difficultés. Ce qui ne résout pas le problème de la mesure de l’activité. En effet, comment comptabiliser les effectifs quand un enfant peut être accueilli deux nuits en internat et être suivi en ambulatoire le reste de la semaine ? Certains établissements adoptent le principe de la file active. « Tout en restant au plus près du nombre de places autorisées, j’accepte un peu plus d’enfants car certains internes ne restent qu’une ou deux nuits par semaine », explique Sabine Hermann.
Un changement qui ne se décrète pas
Enfin, pour les équipes, sortir de la logique de services pour construire un accompagnement global est une petite révolution. Historiquement attachés à leurs structures, les éducateurs d’internat doivent suivre l’enfant sur tous ses lieux de vie. Inversement, le professionnel du Sessad l’accompagne lorsqu’il est hébergé en internat. « Ce qui demande aux travailleurs d’être polyvalents, de travailler avec l’extérieur, les familles, l’Éducation nationale… C’est une nouvelle posture, moins “enfermante” pour eux, qui leur permet de mieux évaluer l’évolution de l’enfant », explique François Delacourt, directeur de la mutuelle La Mayotte qui gère trois Itep expérimentateurs dans le Val-d’Oise. Si la plupart des instituts conservent des équipes distinctes, certains les ont fusionnées. « Le plus dur a été de les convaincre. Un fonctionnement en Itep ne se décrète pas. Il a fallu créer une dynamique de changement. Nous avons donné l’occasion aux professionnels de nous faire des propositions d’organisation. Des résistances sont apparues du côté de ceux du Sessad qui avaient une vision négative de leurs collègues en internat », explique Sabine Hermann. Quid alors de la coopération des équipes : « Comment continuer à faire institution dans ce cadre éclaté ? », s’interroge Jean-François Pradens, directeur de l’Itep Saint-Denis, à Ambares-et-Lagrave, en Gironde, qui plaide pour l’organisation de « temps collectifs ».
Les conditions de travail sont également bousculées. Ce fonctionnement implique une certaine souplesse dans les horaires. Ce qui pose de nombreuses questions en termes d’heures supplémentaires, de récupération ou encore du versement de la prime d’internat.
Une fenêtre d’opportunité
Le projet de décret en cours d’écriture va-t-il simplifier le système ? Pas si sûr. L’Aire milite pour la création d’une nouvelle entité juridique « dispositif Itep » avec un numéro de Finess. Ce qui donnerait lieu à une autorisation unique et une seule évaluation. Mais les discussions n’allaient pas dans ce sens à la veille de la dernière réunion qui était prévue le 30 mai. Le texte n’ira probablement pas jusqu’à modifier le cadre juridique actuel. Laissant ainsi la liberté aux acteurs locaux de se lancer dans sa mise en œuvre ou… de ne pas bouger. Au risque de créer des inégalités territoriales, déplore l’Aire.
Pourtant, à l’heure où le secteur médico-social est en profonde mutation – avec la démarche « Une réponse accompagnée pour tous » et la réforme de la tarification des établissements –, « c’est le moment idéal pour rendre possible un modèle qui validerait le décloisonnement dans le secteur», argue Gilles Gonnard, président de l’Aire. Ce qui n’est envisageable, assure-t-il, qu’en prenant « le risque de modifier le système des autorisations, en lui-même constitutif de ruptures ».
[1] « Pour un parcours de soins et d’accompagnement individualisé », rapport de l’Aire et de l’Uniopss mettant en lumière les obstacles juridiques et financiers à la mise en œuvre du dispositif Itep, 2012.
[2] Observation du fonctionnement en dispositif Itep, rapport final réalisé par Alcimed et Ipso Facto.
[3] Ainsi que la forme de son bilan annuel et les conditions de modification du projet personnalisé de scolarisation du jeune.
Noémie Colomb
« Le principal frein est celui des frais de transport »
Emmanuelle Müller, inspectrice de l’Éducation nationale en charge de la scolarisation des élèves en situation de handicap dans les Alpes-Maritimes
« Le bilan de l'expérimentation est positif. Les échanges préparatoires ont permis de réaffirmer le partenariat entre les différents acteurs – MDPH, Itep, Éducation nationale. Et l’occasion de repréciser l’articulation entre les actions des instituts et celles du sanitaire. Le fonctionnement en dispositif allège les démarches administratives qui étaient surtout portées par les familles. Reste que sur les 250 enfants accueillis dans le département, seule une poignée a bénéficié de cette organisation. Le principal frein est celui des frais de transport : qui paie lorsque le changement de modalités d’accueil implique des déplacements ? Cette question n’est pas résolue. Le manque de places est aussi un point noir. Ce modèle a pourtant de l’avenir et pourrait être appliqué à d’autres types d’établissements, les instituts médico-éducatifs (IME) par exemple qui accueillent des enfants ayant des troubles cognitifs ou avec autisme, dont les besoins peuvent évoluer. »
Repères
- 97 établissements et services (accueillant plus de 5000 jeunes) et une trentaine de MDPH participent à l’expérimentation animée par la CNSA et la DGCS.
- 6territoires pilotes : Haute et Basse-Normandie, Champagne-Ardenne, Ile-de-France, Pays de la Loire, Provence-Alpes-Côte d'Azur. D'autres sont aussi engagés hors expérimentation (Rhône-Alpes Auvergne, Alsace, Bretagne, Nord-Pas-de-Calais, Gironde).
- Des conventions régionales établies sur un modèle national définissent les modes de collaboration entre les différents acteurs (ARS, MDPH, Éducation nationale, CPAM, ASE, pédopsychiatrie, PJJ…)
Publié dans le magazine Direction[s] N° 143 - juin 2016