Activités manuelles, gymnastique, ateliers informatiques… Ces actions collectives prévenant la perte d’autonomie et l’isolement peuvent être soutenues par les conférences. Ici, un cours de patchwork dans un accueil de jour.
Rassembler l’ensemble des financeurs de la prévention de la perte d’autonomie d’un territoire pour coordonner les actions en direction des personnes âgées. C’est la mission de la conférence des financeurs, nouvelle instance créée par la loi d'adaptation de la société au vieillissement (ASV) de décembre dernier. Après une phase de préfiguration dans 24 territoires de juin à décembre 2015, leur généralisation est en marche. Une majorité des conseils départementaux, pilotes du dispositif, devrait avoir installé leur conférence en septembre, estime la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA). Si les premiers retours sont positifs, la mise en œuvre reste hétérogène. Et encore bien lointaine pour les acteurs de terrain.
Une composition inédite
Car asseoir autour d’une même table un minimum de dix organisations dont l’agence régionale de santé (ARS), le conseil départemental et la Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail (Carsat) [1] est un défi ambitieux. « Cette composition est inédite. Réunir ces financeurs pour décloisonner leurs actions constitue un changement de paradigme : désormais, la prévention est l’affaire de tous », explique Stéphane Corbin, directeur de la compensation de la perte d'autonomie à la CNSA. Alors que le système de santé est essentiellement tourné vers le curatif, l’enjeu en matière de santé publique est considérable : définir une stratégie locale de prévention pour s’adresser à l’ensemble des plus de 60 ans.
La période de préfiguration a permis aux acteurs d’explorer les différentes façons de travailler ensemble, de soulever des questions et de dégager des pistes de réponses. Une démarche qui a nourri la préparation des textes d’application [2] et le guide technique concocté par la CNSA. Ce afin d’établir dans chaque département un programme sur cinq ans. Parmi ses objectifs ? Améliorer l’accès aux aides techniques, financer les actions collectives des services d’aide et d’accompagnement à domicile (Saad) et des résidences autonomie.
« L’enjeu est de savoir si les trois acteurs principaux qui financent actuellement les actions de prévention (département, Carsat et ARS) se mettront d’accord sur des orientations communes et le type d’actions à soutenir. Ils ont une totale liberté pour définir ce qu’ils souhaitent promouvoir », relève Murielle Jamot, déléguée nationale filières personnes âgées et domicile à la Croix-Rouge française. Ce qui nécessite un engagement fort et une écoute réciproque. Pari gagné dans l’Allier où la phase de diagnostic a abouti à la création d'une dynamique très positive. « Nous avons mis en commun les données existantes : l’observatoire des fragilités de la Carsat, le schéma gérontologique du département et le schéma régional de prévention de l’ARS. D’autres partenaires ont été associés : les centres locaux d’information et de coordination (Clic), centres communaux d’action sociale (CCAS)… Cet état des lieux a permis de savoir qui menait quelles actions pour quel public et sur quel territoire. Et d’identifier les besoins et les zones "blanches" », témoigne Fabienne Ploton, sous-directrice Action sanitaire et sociale de la Carsat Auvergne.
Toujours en cours, cette phase d’installation reste un long processus dont la réussite dépend de la solidité du partenariat existant. Les premières réunions doivent permettre de préciser le fonctionnement de la conférence (fréquence des rencontres, définition du règlement intérieur…) pour créer les conditions d’une gouvernance partagée. « Nous avons construit cette instance petit à petit, en réunissant les principaux acteurs, parfois plusieurs fois par mois. Il a fallu expliquer que personne n’allait perdre son identité et que nous étions complémentaires », explique Françoise Monier, vice-présidente du conseil départemental des Alpes-Maritimes en charge des personnes âgées.
L'effet levier des crédits
Comment s’assurer de la participation de tous ? Pilotes de cette nouvelle assemblée, les conseils départementaux vont-ils jouer le jeu ? « Jusqu’à présent leur implication en matière de prévention est très hétérogène selon les territoires, ils se sont progressivement désengagés du processus pour se concentrer sur l’accompagnement », pointe Jean-Michel Leray, président de la commission Prévention santé de la Mutualité française Pays de la Loire. Pour mobiliser les énergies, la CNSA mise sur l’effet levier du concours alloué aux conférences : 140 millions d’euros par an, issus de la contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie (Casa). « Des moyens susceptibles de doubler ou tripler les actions actuellement déployées, évalue Stéphane Corbin. Les acteurs ont intégré cet enjeu financier et donc la nécessité de collaborer. »
Que faire de cette manne ? « Rien que pour les Pays de la Loire, cela représente 7,7 millions d’euros, indique Jean-Michel Leray. Nous devons flécher ces sommes en très peu de temps. » Soit d’ici à la fin 2016… au risque de voir l'enveloppe réduite en 2017. Mais il prévient : « Attention à ne pas créer des effets d’aubaine qui conduiraient à financer des opérations plus ou moins déconnectées des préoccupations de santé publique. » Le bilan que la conférence doit envoyer chaque année à la CNSA pourrait néanmoins constituer un garde-fou.
Les opérateurs aux aguets
Ces enveloppes déterminées en fonction du nombre de personnes âgées de chaque département suffiront-elles ?, s’interroge néanmoins l’Assemblée des départements de France (ADF), qui rappelle que l’accompagnement de la perte d’autonomie se chiffre en milliards d’euros. D’autant que les collectivités sont déjà confrontées à plusieurs chantiers d’ampleur liés à la loi ASV (révision des plans d'aide, régime unique des Saad…). Les départements ont d’ailleurs obtenu 5,58 millions d’euros supplémentaires début juin pour accompagner l’ingénierie des conférences [3].
De leurs côtés, les acteurs sur le terrain sont dans les starting blocks. Pour les Saad, il y a là des occasions à saisir. À défaut de siéger à la table de la conférence, les gestionnaires espèrent être associés à l’élaboration des actions qui seront sélectionnées. « Nous souhaitons que les appels à projets soient suffisamment ouverts pour permettre une coconstruction de l’action entre opérateur et financeur », explique Line Lartigue, directrice Santé de l’Union nationale de l'aide, des soins et des services aux domiciles (UNA).
Enfin, reste une inquiétude de taille, celle que les financeurs historiques se désengagent de leur action en faveur de la prévention au prétexte qu’il y a désormais des fonds ad hoc. Or, ces nouveaux crédits doivent s’ajouter aux budgets actuels et non s’y substituer. Ce n’est qu’à cette condition que des moyens conséquents seront enfin alloués à la politique de prévention.
[1] Et aussi l’Agence nationale de l’habitat, les collectivités territoriales, la Caisse primaire d’assurance maladie, la Mutualité sociale agricole, le régime social des indépendants, la Mutualité française…
[2] Décret du 26 février 2016 et arrêté du 22 juillet 2016 fixant le modèle de règlement intérieur
[3] Huit départements ont signé une convention avec la CNSA pour bénéficier de ces crédits (30000 euros pour les préfigurateurs et 60000 pour les autres).
Noémie Colomb
« Il existe des pertes d'autonomie évitables »
Jean-Pierre Aquino, gériatre [1]
« La prévention est insuffisamment développée dans le domaine du vieillissement. Or, il existe des pertes d’autonomie évitables. Avec l’allongement de la durée de la vie et l’émergence des maladies neuro-dégénératives, nous devons faire face à une double transition, démographique et épidémiologique. Il faut donc repérer les fragilités plus tôt et développer une prévention globale qui tienne compte de l’environnement de la personne, de ses conditions de vie… En jouant sur la transversalité et le décloisonnement, les conférences des financeurs permettent d’organiser cette réponse coordonnée. Elles doivent s’appuyer sur la boîte à outils que constitue le plan d’action de prévention de la perte d’autonomie que j'ai piloté. »
[1] Auteur du rapport « Anticiper pour une autonomie préservée : un enjeu de société », mars 2013, et coordinateur du plan national d’action de prévention de la perte d’autonomie, septembre 2015
Repères
- 40 % des dépenses consacrées aux équipements et aides techniques doivent bénéficier à des personnes âgées peu dépendantes (Gir 5 et 6).
- Élargir les compétences de la conférence des financeurs à la programmation de l’offre en faveur des personnes âgées en perte d’autonomie, c’est l’une des récentes recommandations de la Cour des comptes.
- 140 millions d'euros par an : c’est le concours versé aux départements par la CNSA pour financer la prévention.
Publié dans le magazine Direction[s] N° 145 - septembre 2016