Nos sociétés connaissent aujourd'hui un ensemble de crises globales. Celles-ci conduisent à nous interroger sur la place et le rôle de la promotion de la santé des populations. Conflits armés, terrorisme, crise politique, chômage, assèchement des finances publiques, politiques d’austérité et restrictions budgétaires, réchauffement climatique, crise des réfugiés, sanitaires (Chikungunya, borréliose, choléra, Ébola, Zika)… Mais aussi montée de mouvements revendiquant une répartition des richesses et ressources plus équitables (les « Indignés », Occupy Wall Street, Occupons Québec…) et prônant la justice sociale et la participation citoyenne… Autant de valeurs faisant écho à la charte d’Ottawa de 1986 mais qui en trouve peu auprès des gouvernements. Pourtant, l’un des enjeux majeurs en promotion de la santé est de donner la priorité à la réduction des inégalités sociales en la matière. Comme l’écrit sir Michael Marmot, président de la commission Déterminants sociaux de santé de l’OMS : « Dans l’eau jusqu’au cou à combattre les alligators, il est facile d'oublier que l'objectif initial était de drainer le marais. »
Trente ans après de la charte d'Ottawa, adoptée après la première Conférence internationale pour la promotion de la santé [1], l'espoir est ravivé en France avec la loi de modernisation de notre système de santé, promulguée il y a un an, le 26 janvier 2016 [2], qui met enfin en avant la prévention et la promotion de la santé.
Réduire les inégalités et promouvoir la démocratie sanitaire
Contrairement à la prévention, qui vise à empêcher la survenue ou l’aggravation de la maladie (en diminuant ou supprimant les facteurs de risque, en organisant le dépistage, en évitant ou retardant les complications), la promotion de la santé comprend l’ensemble des actions concourant à la santé de la population, en renforçant notamment les compétences psychosociales des individus et des groupes. Elle vise ainsi l’égalité et la réduction des écarts qui, aujourd'hui, caractérisent l’état de santé. La charte d'Ottawa pose également la question de la démocratie sanitaire et de la perte du pouvoir d'une catégorie dirigeante au profit de la population entière au travers l'empowerment (théorisé par Jean-Pierre Deschamps en 2003). Soit l'octroi de davantage de pouvoir aux individus ou aux groupes pour agir sur les conditions sociales, économiques, politiques ou écologiques auxquelles ils sont confrontés.
Au crédit également de la charte, la prévention et la promotion de la santé apportent des référentiels : scientifique, d’action, éthique, au service d’un engagement, d’un projet politique et social. Ce afin de permettre aux personnes d’exercer un plus grand contrôle sur leur santé et ses déterminants. Elles ont également pour objectif de mieux prendre en compte les logiques de santé publique et, en particulier, de rééquilibrer les approches curatives et préventives. Il s’agit de promouvoir des politiques publiques favorables à la santé dans une perspective interministérielle et intersectorielle. Et ainsi de mieux intervenir sur tous les déterminants de santé afin de réduire les inégalités, sociales et géographiques, de santé.
La loi Santé, un espoir
La France a brillé ces dernières années par l'absence de prise en compte de la notion dans son paysage législatif et réglementaire. La loi du 2 janvier 2002 de rénovation et de modernisation de l'action sociale, comme celle du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, ont passé le concept sous silence. Avec, toutefois, une éclaircie dans la loi de santé publique de 2004 qui a créé l’Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES) assurant une « fonction d’expertise et de conseil en matière de prévention et de promotion de la santé », visant la « réduction des inégalités de santé, par la promotion de la santé, le développement de l’accès aux soins et des diagnostics sur l’ensemble du territoire ». Puis, silence radio dans la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) de juillet 2009.
À l’issue d’un travail parlementaire de plus d’un an, et de nombreux échanges avec les professionnels, la bonne surprise est donc venue de la loi de modernisation de notre système de santé de 2016. On y trouve de multiples occurrences de l'expression « promotion de la santé », et surtout une reconnaissance de ses enjeux et de la charte d'Ottawa. Elle place enfin la prévention et de la promotion de la santé au cœur de notre système de santé, en la positionnant dans son premier axe, à savoir les déterminants de la santé. En effet, en termes de stratégies d’amélioration, nous avons souvent tendance à privilégier les actions sur le système de soins. Or, leur impact sur la santé est limité par rapport à celui d’autres facteurs, comme l’environnement social et économique des individus. Nous sommes ainsi en capacité de mesurer que sur les 30 ans d’espérance de vie gagnés au cours du siècle dernier, huit seulement seraient attribuables à l’amélioration du système de santé, alors que celle des conditions de vie, de l’environnement et des habitudes de vie auraient permis d’ajouter 22 années [3] !
Agir au plus tôt
À l'image des propositions de la charte, la loi Santé prévoit d'agir sur les inégalités sociales. En effet, nous n’avons pas tous les mêmes chances d’être en bonne santé. Certains facteurs, comme notre niveau de revenus, notre degré d’éducation et le lieu où nous habitons influent directement sur notre santé. Les inégalités sociales et territoriales persistent et sont, pour certaines, de plus en plus marquées. Il faut donc travailler sur leurs causes, dès leur origine, en donnant à chacun, le plus tôt possible, tous les outils pour prendre soin de sa santé. Il s’agit d'influer sur les politiques sociales, économiques, éducatives, de l’emploi et des loisirs, de l’environnement, de l’urbanisme ou encore de l’habitat.
La garantie d’une bonne santé à long terme passe aussi par l’adoption, dès le plus jeune âge, de certains réflexes essentiels. La loi met en place ainsi des mesures telles que le déploiement d’un parcours éducatif en santé, de la maternelle au lycée. Elle crée de nouveaux outils pour lutter contre le tabagisme, l’alcoolisation excessive des jeunes, améliorer l’information nutritionnelle, encourager le dépistage des infections sexuellement transmissibles (IST) et renforcer la politique de réduction des risques, dont les usages de drogues.
Cela implique d'interpeller l'ensemble des secteurs, de tous les décideurs sur leur responsabilité en la matière, et pas seulement celle du ministère de la Santé ou de l’administration concernée au premier chef. L'Éducation nationale doit y être fortement associée. Tous les élèves devront bénéficier de ces actions, avec une attention particulière pour les plus défavorisés. Viser exclusivement ces derniers ne réduira pas suffisamment les inégalités de santé. Donc pour aplanir la pente du gradient social [4], les mesures doivent être universelles, avec une ampleur et une intensité proportionnelle au niveau de défaveur sociale. C’est ce qu’on appelle l’universalisme proportionné [5].
Un défi pour les régions
Pour le bien-être de la population, les professionnels de santé, mais pas seulement, doivent donc relever de véritables défis sur le terrain. Les agences régionales de santé (ARS) se sont vu confier le financement des pôles de compétences en région, avec l'ambition d'une réflexion à moindre coût mais avec des exigences de résultats. Et aux structures porteuses de pôles de compétences (que l'on nommera dispositifs régionaux de soutien aux politiques et aux interventions en prévention-promotion de la santé) d'influer en seconde ligne, donc auprès de l’ensemble des professionnels, pour une visée populationnelle d'efficacité des actions, afin de réduire les inégalités sociales.
Ces pôles sont amenés, dans le cadre du cahier des charges des troisièmes projets triennaux, à travailler sur ce vaste champ que prône la loi Santé. Il s'agira d’œuvrer auprès des professionnels sur l'accompagnement des contrats locaux de santé, avec les hôpitaux et services promoteurs de santé, les maisons de santé pluridisciplinaires, les pôles de santé, l’universités et la recherche afin de produire, notamment, des données probantes en promotion de la santé, de marketing social… Tout un programme dans une période de concurrence accrue entre acteurs et de contraintes budgétaires. On retrouvera dans leurs missions le renforcement des capacités des acteurs, à travers le développement d'un plan régional de formation et de professionnalisation en la matière, ce en réponse aux besoins repérés en région (travail sur les compétences psychosociales, marketing social, santé communautaire, parcours scolaire de santé, évaluations à distance, et universalisme proportionné…).
L'objectif de ces dispositifs soutenus par l'Agence nationale de santé publique (ANSP) est de contribuer à l’amélioration de la qualité des actions et des pratiques en prévention et promotion de la santé et d’appuyer les ARS dans la mise en œuvre de cette politique publique.
Mais la question que se posent ces structures adhérentes aux valeurs de la promotion de la santé et de la charte d'Ottawa reste celle des financements de chacun. On évoquera, çà et là, les perspectives de la fongibilité asymétrique. Mais à quelle hauteur, sachant que les enveloppes relatives aux soins et à l’hôpital sont également en difficulté ?
Toutefois, il a été démontré au Canada et aux État-Unis, et c'est valable en France, que chaque dollar investi en prévention et en promotion de la santé permet d'en économiser 5,60 sur les dépenses de soins de santé. Pourtant, à peine 2 % du budget de la santé est consacré à la santé publique. Il faudrait au moins 5 % pour des retombées substantielles. Peut-être qu'une partie de la solution pour réduire les dépenses du système de santé se situe dans cette direction. Pourquoi ne pas l'explorer ?
[1] Adopté le 21 novembre 1986, en vue de contribuer à la réalisation de l’objectif de la santé pour tous d’ici à l’an 2000 et au-delà, la Charte définit, entre autres, la promotion de la santé comme un « processus qui confère aux populations les moyens d’avoir un plus grand contrôle sur sa santé et de l’améliorer ».
[2] La loi engage la modernisation nécessaire de notre système de santé autour de trois axes : le renforcement de la prévention, la réorganisation autour des soins de proximité à partir du médecin généraliste, le développement des droits des patients.
[3] Produire la santé, rapport national sur l’état de santé de la population du Québec, ministère de la Santé et des Services sociaux, 2005, à consulter sur http://publications.msss.gouv.qc.ca
[4] On parle d’un gradient social lorsque la fréquence d’un problème (de santé par exemple) augmente de façon régulière (continuum) des catégories les plus favorisées vers les catégories les plus défavorisées. Le gradient social signifie donc que les inégalités sanitaires touchent tout un chacun, et cela selon l’influence de certains déterminants de santé.
[5] Définition de sir Michael Marmot dans son rapport « Une société juste, des vies en santé : rapport critique et stratégique sur les inégalités de santé » établi à la demande du ministère de la Santé britannique, 2010
Gildas Vieira, directeur de la Fraps
Carte d'identité
Nom. Gildas Vieira
Fonction. Directeur de la Fédération régionale des acteurs en promotion de la santé (Fraps) du Centre Val de Loire, président de l’association École de l’espoir et auteur de « La Trajectoire du bien vieillir avec la maladie d’Alzheimer », éditions universitaires européennes, 2015
Publié dans le magazine Direction[s] N° 149 - janvier 2017