La Suède est le premier pays au monde à avoir officiellement interdit, dès 1979, les châtiments corporels sur les enfants. Son modèle de protection de l’enfance est par ailleurs souvent cité en exemple. Les systèmes mis en place dans les différents pays résultent d’une histoire longue, propre à chacun, et de caractéristiques idéologiques concernant l’enfant et la famille. Il n’est donc pas pertinent de chercher des « recettes » à l’étranger si l'on ne tient pas compte du contexte dans lequel s’insère le dispositif a priori séduisant. Cependant, cela doit nous amener à y réfléchir et éventuellement les adapter à notre environnement national.
Les communes à la manœuvre
D'abord, la Suède est un pays fortement décentralisé. Les 290 municipalités, composées en moyenne de 34 000 habitants, sont responsables de la politique de protection de l’enfance. Elles assument son financement, via l’impôt. Tant qu’elles respectent le cadre législatif étatique, elles disposent d’une entière liberté d’organisation et s’adaptent à la taille et aux problématiques locales de leurs populations. Ce qui contribue à de grandes disparités entre elles. Les communes suédoises se caractérisent en effet par des tailles et des ressources très différentes. Ainsi, des petites municipalités connaissent de véritables difficultés à assumer leur mission, à mobiliser des ressources humaines comme financières, et accéder à l’expertise. Ce qui a motivé une plus grande collaboration entre les communes et la mise en place de structures régionales d’appui, à l'instar de l’Association des communes et des comtés – le « SKL ».
En outre, ce sont les commissions sociales communales, composées de personnes nommées par les partis politiques en fonction des résultats électoraux, qui sont chargées de prendre les décisions concernant les types de prise en charge et les placements. Elles ont la particularité de ne pas de disposer de formation spécifique sur ce sujet.
Un système axé sur la famille et la prévention
Idéologiquement orienté vers la famille, le système suédois a souvent été critiqué pour ne pas assez tenir compte la parole et l’intérêt de l’enfant lui-même. Cependant, les acteurs notent un « déplacement progressif du centre de gravité » vers ce dernier depuis quelques années. Des critiques persistent néanmoins quant à leur participation et à leur influence dans les décisions les concernant, notamment ceux de moins de 15 ans.
En Suède, la pierre angulaire reste la prévention. Privilégiée même en dehors du système de protection de l’enfance (notamment dans les crèches, en maternelle, puis à l'école), elle se matérialise par une palette importante d’outils et de dispositifs : des cours de parentalité gratuits dispensés par les services sociaux municipaux, des « centres familiaux » regroupant une multitude d’acteurs conseillant les parents, des aides financières et sociales et un accompagnement par des personnes ou familles dites « de contact » issues de la société civile (« kontaktperson » et « kontaktfamilj ») qui assurent un rôle de conseil auprès de publics en difficulté après avoir proposé leur aide auprès des services sociaux.
Ainsi, la priorité est aux outils de prévention utilisés en amont du placement et particulièrement développés. Un réel travail est effectué auprès des familles.
Une culture du placement fondamentalement différente
Le placement y est aussi moins fréquent et la tendance à maintenir un enfant dans le système moins répandue. À l’instar de la France, la protection de l’enfance relève de la compétence de l’administration et, à titre subsidiaire, de celle de la justice, qui intervient quand les problèmes persistent ou quand les parents s'opposent à l’action des services sociaux. Alors qu’en France, près de 75 % des décisions sont de nature judiciaire [1], en Suède 75 % des placements sont au contraire « volontaires », c’est-à-dire décidés conjointement avec les parents. Si besoin, la commission sociale saisit directement le tribunal administratif, qui présente la particularité d’être composé lui aussi de personnes profanes en la matière et non uniquement de juges professionnels. Un modèle unique au monde. Cela dit, le placement peut être ordonné, mais cela ne concerne qu’une mesure sur quatre.
Le placement en famille d’accueil est privilégié et majoritaire (60 %), notamment pour les plus jeunes, qui ne sont quasiment pas accueillis en institution. Ainsi, seulement un sur dix placés hors de son domicile familial vit en institution pour les moins de 12 ans. Les familles d’accueil sont souvent des proches de l’enfant et cette activité, bien que rémunérée, n’est pas un métier en tant que tel. Avant de le recevoir, les familles bénéficient de formations de quelques jours et elles doivent disposer d'un agrément des services sociaux pour se voir confier des enfants.
Par ailleurs, les foyers d’hébergement – « HVB » – sont très différents. Il n’existe pas de grosses structures accueillant plusieurs dizaines de jeunes. Les 450 HVB (accueillent 37 % des enfants placés) sont de petite taille (neuf places maximum) et majoritairement gérées par des acteurs privés (associations, fondations ou citoyens lambda ayant obtenu une autorisation de gérer un établissement par l'« IVO », l’agence gouvernementale chargée d’autoriser l’ouverture des structures privées et d’inspecter annuellement les foyers).
D’autres structures plus spécialisées accueillent également des enfants aux problématiques comportementales ou encore des jeunes victimes de « violences liées à l’honneur » (femmes battues par leur conjoint avec leurs enfants par exemple). Dans le premier cas, il faut préciser que la délinquance juvénile et le traitement judiciaire de celle-ci sont pleinement intégrés dans le système de protection de l’enfance. Ainsi, les jeunes délinquants ou toxicomanes y sont-ils directement pris en charge, contrairement à la situation française.
Le défi des mineurs non accompagnés et jeunes majeurs
Avec plus de 50 000 arrivées depuis 2010, dont 35 000 pour la seule année 2015, la Suède est le pays européen qui a reçu le plus de mineurs non accompagnés (MNA). Cet afflux massif a constitué une « opportunité » aux yeux des acteurs afin de réorganiser le dispositif qui présentait certains dysfonctionnements. Un système de quotas équivalent à celui de la France a été mis en place afin de répartir les MNA de façon équitable sur le territoire. L’Office national des migrations – « Migrationsverket » – gère la procédure d’asile, tandis que les municipalités s'occupent de l'accueil et de l'accompagnement. Depuis 2014, Migrationsverket a la possibilité de placer les jeunes dans la commune de son choix sans qu'il y ait d'accord bilatéral préalable. Aujourd’hui, des problématiques se posent telles que les délais d’attente pendant la procédure de demande d’asile, les difficultés d’accès à des interprètes ainsi que la disparition de MNA fuyant leurs lieux d’hébergement par crainte d’être expulsés. De nombreuses structures ont aussi dû être ouvertes afin de les accueillir. Pour répondre à ces enjeux, certaines municipalités ont mis en place des unités dédiées à leur prise en charge.
L’accompagnement des jeunes devenus majeurs figure également parmi les défis du système suédois, où aucune législation ne régit spécifiquement cette transition. Ainsi, le travail est effectué sur une base individuelle. À leur majorité, lorsqu’ils sont placés en HVB, les jeunes peuvent demander à la municipalité à laquelle ils sont rattachés de rester dans leur établissement s’ils le souhaitent et si l’autorisation du foyer le permet (l’âge des enfants accueillis y est encadré). En pratique, les municipalités refusent souvent, notamment pour des raisons financières. Par conséquent, de nombreux jeunes sortent du système sans accompagnement après leur prise en charge. En effet, ils ne peuvent compter ni sur le soutien de leur famille biologique ni celui du système de protection de l'enfance.
Des difficultés de recrutement et de coordination
Comme en France, la charge de travail, l’ampleur croissante des tâches administratives et le manque d’attractivité des métiers du secteur social ont pour conséquences un fort turn-over et des difficultés d'embauche très importantes, exacerbées par des besoins croissants, qui mettent en péril la continuité et la qualité de l’accompagnement. Ainsi, l’ensemble des acteurs (communes, SKL, Agence nationale de la santé et du bien-être) élaborent des plans d’amélioration des conditions de travail et s’appuient sur les nouvelles technologies. Des campagnes de recrutement via Facebook à l’expérimentation de techniques de reconnaissance vocale pour diminuer les lourdeurs administratives, en passant par l’augmentation des salaires, les pistes exploitées sont diverses. Ce problème concerne aujourd’hui aussi bien les travailleurs sociaux que les familles d’accueil.
Face au nombre important d’acteurs impliqués dans la protection de l’enfance, le défi de la coordination s’avère tout aussi primordial. C’est l’une des préoccupations majeures du gouvernement actuel, qui valorise les initiatives innovantes. Si les communes restent responsables de cette coordination, la Suède a expérimenté des dispositifs tels que les « familjecenter » regroupant centre de protection maternelle et infantile (PMI), crèche et école maternelle. De même, des « Barnahus » ont été déployées. Ces « maisons des enfants », inspirées du modèle islandais, regroupent divers professionnels travaillant sous le même toit pour offrir un soutien à des jeunes victimes d’abus sexuels ou de violences graves et leurs familles (Parquet, police, médecine légale, pédiatrie, psychiatrie juvénile). Leurs objectifs sont quelque peu similaires aux unités médico-judiciaires françaises, la démarche y étant encore plus approfondie.
Le système de protection de l’enfance suédois n’est donc pas un système parfait, il a ses défauts, par exemple en termes de prise en compte de l’avis de l’enfant et de formation des professionnels dans les établissements d’hébergement. Confronté à des enjeux parfois similaires au système français, il présente en revanche le mérite d’avoir un volet préventif très outillé et performant. Les liens avec les parents sont plus importants et leur accompagnement beaucoup plus marqué, aussi bien en termes de dispositif que de mentalité. Cette relation de meilleure qualité s’illustre dans la forte proportion de placements volontaires. C’est prioritairement sur ces deux aspects précis que la France pourrait être tentée de modifier sa propre « culture ». Avec toujours comme objectif premier l’intérêt supérieur de l’enfant.
[1] Étude de l’Observatoire national de la protection de l’enfance (Oned), novembre 2016.
Anthony Meignan
Carte d'identité
Nom. Anthony Meignan
Formation. Élève directeur d’établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux (D3S) à l'École des hautes études en santé publique – EHESP (promotion Thomas Coville 2017-2018)
Publié dans le magazine Direction[s] N° 159 - décembre 2017