Le premier Conseil des ministres du gouvernement d’Édouard Philippe, nouveau locataire de Matignon, s’est tenu le 18 mai. Un casting censé « refléter l’effort de recomposition politique prônée par le chef de l’État », selon le Premier ministre. Traduction : une équipe « resserrée », « paritaire » et associant politiques confirmés et « experts sans engagement partisan affiché ».
Dix-huit ministres et quatre secrétaires d’État directement rattachés à Matignon ont été nommés. Comme promis par le candidat Macron, onze femmes intègrent le nouvel exécutif. Parmi elles, l’ex-patronne de la Haute Autorité de santé (HAS), Agnès Buzyn, succède à Marisol Touraine avenue Duquesne. Si l’arrivée de ce médecin reconnu a aussitôt été saluée par le monde de la santé, certains craignent déjà que l’autre volet de son maroquin, les « solidarités », ne passe au second plan. Une impression renforcée par la « disparition » de certaines politiques publiques dans les intitulés des ministères (lutte contre l’exclusion, famille, enfance…). Même inquiétude du côté du champ des personnes âgées, dépourvu d’interlocuteur spécifique. En revanche, le secteur du handicap pourra lui compter sur la présidente de la Fédération nationale des associations au service des élèves présentant une situation de handicap (Fnaseph), Sophie Cluzel, désormais à la tête du secrétariat d’État ad hoc. Enfin, c’est à l’ancienne directrice générale de Business France, Muriel Pénicaud, qu’il reviendra de mener la délicate réforme du Code du travail.
Clivage droite-gauche « transcendé »
Aux côtés de ces représentants de la société civile, des élus chevronnés. Déjà présents dans l’équipe sortante, Annick Girardin (PRG) et Jean-Yves Le Drian (PS) récupèrent cette fois les portefeuilles des Outre-Mer pour la première, et de l’Europe et des Affaires étrangères pour le second. L’ancien édile de Lyon, Gérard Collomb (PS) intègre quant à lui la place Beauvau (Intérieur), et l’ex-secrétaire général d’En Marche, Richard Ferrand, s’empare du ministère de la Cohésion des territoires : un large domaine [1] comprenant notamment le Logement, qui aurait mérité un ministère à lui seul regrette le secteur. À Bercy, c’est un attelage 100 % issu des rangs des Républicains qui prend les commandes : l’ancien ministre de Nicolas Sarkozy, Bruno Le Maire, hérite de l’Économie, quand Gérald Darmanin récupère l’Action et les Comptes publics. Enfin, la place Vendôme tombe dans l’escarcelle du président du Modem, Francois Bayrou. Un gouvernement qui pourrait bien être remanié à l’issue des élections législatives des 11 et 18 juin. Seule certitude : s’ils sont battus, les ministres candidats seront remerciés.
[1] À préciser par les décrets d’attribution, toujours attendus le 24 mai.
Gladys Lepasteur
Richard Ferrand, ministre de la Cohésion des territoires
C’est un périmètre XXL dont hérite l’ancien député (PS) du Finistère, ancien rapporteur d’une certaine loi « Macron ». Même si les contours de son ministère restent encore à préciser, l’ex-secrétaire général du mouvement En Marche ! devrait néanmoins être compétent sur les politiques d’aménagement du territoire et de la ville. Mais aussi du logement, a-t-il confirmé lors de sa passation de pouvoir avec Emmanuelle Cosse. Sur sa feuille de route ? L’adaptation du marché de la construction aux besoins des jeunes, avec la création de 80 000 logements à leur intention, la mobilisation des bailleurs sociaux en vue de logements particuliers (accessibles sans dépôt de garantie, ni caution et pour un bail non renouvelable) ainsi que l’instauration d’un bail spécifique destiné aux actifs en mobilité temporaire (formation, période d'essai, stage). Par ailleurs, il devrait être chargé de la création de 10 000 places en pensions de famille sur le quinquennat et de l’augmentation « considérable » de la part l’intermédiation locative, liste le programme présidentiel. G.L.
Gérald Darmanin, ministre de l’Action et des comptes publics
À 34 ans, Gérald Darmanin est le plus jeune ministre de plein exercice du gouvernement. Avec son collègue Bruno Le Maire (Économie) issu comme lui des rangs des Républicains, le maire de Tourcoing fait son entrée à Bercy. Sa mission : piloter les comptes de la nation et l’avenir de la fonction publique. Une double casquette, perçue comme un « mauvais signal » dans les rangs syndicaux, qui craignent une gestion comptable de la fonction publique. Car c’est à lui en effet que reviendra le soin d'organiser la réduction du nombre de postes de fonctionnaires de 120 000 d’ici à 2022. Si les effectifs de l’hospitalière devraient être épargnés, a promis le candidat Emmanuel Macron, les départs en retraite prévus dans la territoriale devrait en revanche permettre le non renouvellement de quelque 70 000 postes. Autres chantiers, potentiellement explosifs, en perspective ? La modernisation des statuts, une gestion assouplie des carrières, le rétablissement du jour de carence ou encore la fin de l’évolution uniforme des rémunérations. G.L.
Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé
« Une personnalité qui connaît parfaitement les enjeux et la complexité du secteur de la santé ». C’est en ces termes que la Fédération hospitalière de France (FHF) a salué la nomination d’Agnès Buzyn, 54 ans, avenue de Ségur. Ancienne interne des hôpitaux de Paris, celle qui succède à Marisol Touraine est en effet une éminente spécialiste d’hématologie. Chercheuse et professeur d’université, elle a exercé de nombreuses fonctions au sein de société savantes et est devenue, en 2011, présidente de l’Institut national du cancer. Depuis mars 2016, elle avait pris la tête du collège de la Haute Autorité de santé (HAS). Parmi les engagements d’Emmanuel Macron qu’elle va devoir mettre en musique ? La « révolution de la prévention » (via entre autres l’évolution de la rémunération des médecins en ville), la lutte contre les inégalités de santé (déverrouillage de la télémédecine) ou encore l’amélioration de l’efficience du système de santé à travers notamment la mise en œuvre des groupements hospitaliers de territoire (GHT). Reste que ce profil « sanitaire » ne doit pas faire oublier que son ministère recouvre aussi les solidarités, et en particulier le champ des personnes âgées. Le programme du candidat fait notamment la part belle au maintien à domicile (en développant l’hospitalisation à domicile ou le baluchonnage) et à l’aide aux aidants. Dans les établissements, son ambition est de déployer les solutions de santé connectées ou de généraliser les enquêtes de satisfaction dans les établissements médico-sociaux. N. C.
Sophie Cluzel, secrétaire d’État chargée des personnes handicapées
Âgée de 56 ans, la présidente de la Fédération nationale des associations au service des élèves présentant une situation de handicap (Fnaseph) prend la suite de Ségolène Neuville. Mère de quatre enfants dont une jeune femme trisomique de 21 ans, cette diplômée de l’École supérieure de commerce de Marseille a fait de l’inclusion des enfants handicapés à l’école son cheval de bataille. Administratrice de l’Union nationale Unapei entre 2011 et 2013, Sophie Cluzel a aussi participé à la création du collectif d’associations SAIS 92 et de Grandir à l’école, une association qui défend la prise en compte des enfants trisomiques. Sa nomination a été saluée par le secteur, qui se félicite en particulier de voir son secrétariat d’État rattaché au Premier ministre, favorisant ainsi une approche transversale de la politique du handicap. Dans la droite ligne de son combat militant, l’une de ses missions sera de permettre à tous les enfants de bénéficier des services d’un(e) accompagnant des élèves en situation de handicap (AESH), l’une des promesses du candidat Macron. Et d’accorder à ces professionnels un emploi stable assorti d’un salaire décent. Au rang des chantiers plus techniques, elle devra accompagner la réforme de la tarification des établissements et services (Serafin-PH). Et sera aussi chargée de veiller à ce que dans tout projet de loi figurent des « indicateurs d’inclusion » en matière de handicap. Sans oublier le 4e plan Autisme. N. C.
François Bayrou, garde des Sceaux
À 66 ans, le président du Mouvement démocrate (Modem) et maire de Pau a été député des Pyrénées-Atlantiques à plusieurs reprises, président du conseil général (1992–2001) et ministre de l’Éducation nationale (1993-1997). Désormais à la Justice, l’ancien professeur de lettres devra notamment veiller à l’effectivité des peines de prison ferme de moins de deux ans, organiser la construction de 15 000 places de prison et créer une agence des mesures alternatives à l’incarcération. À son programme aussi, le développement de formation et d’activités pour les détenus avec l’instauration d’un régime légal de travail pénitentiaire. Concernant la justice des mineurs, sa feuille de route doit encourager les conseils départementaux au placement des jeunes « non délinquants en assistance éducative dans les internats des collèges et des lycées avec un suivi renforcé ». Mais également multiplier les centres éducatifs fermés (CEF). Autre chantier ? Simplifier la gestion des tutelles pour les personnes âgées. N. C.
Gérard Collomb, ministre de l’Intérieur
Soutien de la première heure d’Emmanuel Macron, le sénateur maire de Lyon, né le 20 juin 1947, n’avait jamais occupé de responsabilité ministérielle. Initialement professeur agrégé de lettres classiques, son premier mandat de député (PS) date de 1981. Désormais numéro deux du gouvernement il est chargé de mettre en place la politique d’intégration voulue par le président (formation linguistique pour chaque étranger en situation régulière, mise ne œuvre de programmes locaux d’intégration) et la réforme des conditions d’examen des demandes d’asile (décision rendue en huit semaines pour toutes les demandes). Au programme encore, le renforcement du corps de police des frontières et l’appui à l’installation de points de contrôle dans les pays de transit avant l’arrivée dans l’Union européenne. N. C.
Muriel Pénicaud, ministre du Travail
C’est un dossier épineux auquel la nouvelle locataire de la rue de Grenelle s’attèle : celui de la réforme du travail, commencée avec la loi El Khomri, qui vise notamment à décentraliser la négociation au niveau des entreprises. Jusque-là directrice générale de Business France, Muriel Pénicaud, 62 ans, connaît le monde des grandes entreprises (Danone, Dassault Systèmes, Orange) où elle a exercé entre autres des fonctions de DRH. Après des débuts dans la fonction publique (où elle a notamment dirigé une mission locale), puis passée par le cabinet de Martine Aubry, cette experte pilotera aussi les réformes de l’assurance chômage et de la formation professionnelle. Ainsi que la simplification des instances représentatives du personnel (IRP) et la poursuite de la réduction du nombre de branches. N. G.
Publié dans le magazine Direction[s] N° 154 - juin 2017