Plusieurs signatures prestigieuses se sont rassemblées dans une tribune intitulée « Vieux et chez soi », parue le 25 mai dernier dans Libération. Françoise Barré-Sinoussi, Véronique Fournier, Axel Kahn, Alain Touraine, Philippe Bataille, Marcel Gauchet, Ariane Mnouchkine ou encore Daniel Pennac rédigent, avec le talent qu’on leur connaît, un « manifeste pour une vieillesse libre et assumée jusqu’au bout de la vie », mettant en exergue la « volonté farouche qui tient souvent lieu de quille : "Je veux rester chez moi jusqu’au bout" ». Cette tribune pose de bonnes questions à la communauté professionnelle du grand âge, intervenant à domicile et en établissement. Mais il nous semble que le manifeste manque la perspective d’ensemble sur le sujet de la qualité de vie en maisons de retraite et de nos responsabilités collectives à cet égard.
Des missions nobles mais méconnues
La préférence pour le domicile de nos concitoyens âgés est naturelle et bien connue des décideurs publics, qui la soutiennent fortement et justement depuis des décennies. Dès 1962, Pierre Laroque avait déjà su l’identifier et la faire partager, dans un rapport resté célèbre sur les politiques de la vieillesse. Les secteurs privé non lucratif et public territorial ont su déployer de longue date une offre d’aide et de soins à domicile de qualité, accessible économiquement et maillant tous les territoires.
Dans la toute récente loi d’adaptation de la société au vieillissement (ASV) du 28 décembre 2015, la politique gouvernementale de maintien à domicile a été renforcée, notamment avec le déploiement des services polyvalents d’aide et de soins à domicile (Spasad), gage de coordination des accompagnements à domicile, l’augmentation des plans d’aide personnalisée à l’autonomie (APA) et la mise en place des conférences des financeurs. Dans cette même loi, la protection de la liberté de choix de nos concitoyens âgés d’entrer ou non en maison de retraite a été judicieusement confortée, de même que le soutien et l’accompagnement de l’exercice de leur liberté d’aller et venir en établissement. Le texte encourage ainsi les différents modes d’accompagnement du grand âge, sans pour autant les opposer de manière binaire, tant ils sont complémentaires voire se succèdent dans le temps.
Nous rendons hommage aux 400 000 professionnels œuvrant 7 jours et nuits sur 7, 24 heures sur 24 dans les maisons de retraite pour cette mission aussi noble que méconnue. Sauf lorsqu’une catastrophe, réelle ou supposée, caniculaire ou grippale, rappelle leur existence à nos concitoyens. Ayons aussi à l’esprit que bien peu de personnes peuvent se payer une présence qualifiée à domicile 7 jours et nuits sur 7, 24 heures sur 24…
L'injustice du reste à charge
Alors, que faire pour à la fois défendre mais aussi donner une perspective à ces milliers de professionnels qui assument cette mission difficile ? Aujourd’hui, huit admissions en établissement sur dix interviennent pour des troubles sévères des fonctions intellectuelles supérieures, donc lorsque la vie à domicile ne peut plus se poursuivre sans risques sérieux pour la personne, mais aussi pour ses proches aidants, enfants épuisés comme les intervenants professionnels au domicile. Sans oublier la grande injustice sociale du reste à charge en maison de retraite, qui écarte certaines familles modestes de la possibilité d’envisager cette solution, quand la vie à domicile de leur proche âgé n’est décidément plus possible : 73 000 euros pour un séjour en moyenne de 28 mois, indique l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) dans un rapport de 2009. Ce chiffre donne la mesure de la préoccupation de ne pas engager enfants, voire petits-enfants, dans une obligation alimentaire d’un tel poids, puisque telle est la règle aujourd’hui en structure. Dénonçons le coût collectif provoqué par le choix de l’hôpital pour éviter ce reste à charge par les familles et les patients âgés !
Enfin, reconnaissons aussi ensemble que le cadre normatif très contraint du fonctionnement interne des maisons de retraite ne facilite pas la tâche des professionnels pour en faire des lieux aussi vivants et participatifs que souhaitable : donnons-en acte aux auteurs de la tribune de Libération.
Simplification n'est pas simplisme
Cette question de l’équilibre entre la norme protectrice et la norme destructrice de la possibilité d’une participation active du résident et de ses proches nous semble bienvenue : recherchons la simplification sans verser dans le simplisme. Quinze ans après la parution du règlement dit de Type J, qui détachait la conception des maisons de retraite d’une « emprise hospitalière », nous proposons de le revisiter pour imaginer ensemble des établissements « comme à la maison ». À titre d’exemple, n’est-il pas opportun d’ouvrir une réflexion sur l’intérêt véritable de pourvoir systématiquement chaque chambre d’une salle de bains individuelle, ce qui va peser dans le tarif hébergement, alors que leur usage quotidien et autonome est si limité aujourd’hui ?
Ne faut-il pas aussi revisiter la coupure radicale qui s’est établie entre les espaces de préparation et de consommation des repas ? Souhaitons-nous que les résidents puissent aussi parfois éplucher eux-mêmes les légumes et les fruits du repas du soir, dans une continuité avec leurs habitudes de vie ? Ou préférons-nous pour eux, à leur place, une cuisine sous cellophane, dépourvue des sensations olfactives et du toucher, ainsi que des liens et conversations que ce travail partagé permet d’établir ou d’entretenir ?
Ce que nous écrivons à propos de la restauration peut également concerner et revisiter toutes les activités quotidiennes : dans certaines structures pour personnes handicapées, il est fait en sorte que des odeurs de lessive et de linge propre, sortant juste de la machine à laver, puissent rythmer aussi le déroulement de la journée en établissement. « Comme avant à la maison ».
Liberté versus sécurité ?
Gardons à l’esprit que l’équilibre entre liberté et sécurité est aussi délicat que subtil pour les professionnels. Ils sont placés toujours sur la ligne de crête entre ce qui pourra, en cas d’accident, être présenté comme une désinvolture coupable d’une part, et une disponibilité attentive de tous les instants qui serait trop envahissante, d’autre part !
Être vieux n’est pas une maladie, mais la vieillesse a des retentissements sur la personne très âgée et ses proches, qui appellent parfois une solution de soins et d’accompagnement en établissement. Alors, plutôt que confondre la cause et la conséquence, nous proposons de nous attacher tous ensemble à définir les termes d’un nouveau label « Comme chez soi » pour les maisons de retraite, dans le juste équilibre de ce qu’il faut de règles prédéfinies pour la sécurité de l’usager et du consommateur, d’un côté, et ce qu’il faut d’ouverture à un fonctionnement plus communautaire et participatif de l'autre, avec les résidents et leurs proches.
Nous proposons ainsi la tenue d’une conférence de consensus sur ce sujet, méthode impliquant toutes les parties prenantes et la société civile, bien établie par la Haute Autorité de santé (HAS). Cette dynamique de réflexion devrait associer dans le même temps, avec leurs différences comme leurs ressemblances, les structures d’accueil et d’accompagnement des personnes handicapées, enfants et adultes.
Par Antoine Dubout et Antoine Perrin
Cartes d’identité
Nom. Antoine Dubout
Formation. Ancien élève de l’École Polytechnique et de l’École nationale des Ponts et chaussées.
Parcours. Ingénieur des ponts et chaussées à la Direction départementale de l’équipement (DDE) de la Nièvre, du Pas-de-Calais, puis à la direction des ports de Boulogne-sur-Mer et de Calais. Puis président de sociétés immobilières (ICP, Perexia, Kéops, Sagi, Sogima) et de HLM (Logirem, Efidis, Sageco, Samapor). Ancien président de l’association Retravailler Provence (1992-1996) ; président de la fondation et l’association Hôpital Saint-Joseph à Marseille depuis 2003.
Fonction(s) actuelle(s). Président de la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés non lucratifs (Fehap).
Nom. Antoine Perrin
Formation. Interne des hôpitaux de Paris.
Parcours. Chef de clinique-assistant à l’hôpital Necker-Enfants malades (1985-1988) ; praticien hospitalier au centre hospitalier du Mans (1988-2003) et président de la conférence des présidents de CME de centres hospitaliers (1999-2003). Puis directeur de trois agences régionales d’hospitalisation (ARH) : La Réunion-Mayotte (2004-2006), Lorraine (2006-2007) et Bretagne (2008-2010). Directeur adjoint du cabinet de la ministre de la Santé (2007). Médecin conseil national et directeur de la santé du régime social des indépendants (2010-2011). Directeur général de l’Association de Villepinte (2012-2017), gestionnaire de 24 établissements et services sanitaires, médico-sociaux et sociaux privés non lucratifs. Administrateur et délégué régional Ile-de-France de la Fehap.
Fonction(s) actuelle(s). Directeur général de la Fehap.
Publié dans le magazine Direction[s] N° 155 - juillet 2017