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Impact social
Une introspection incontournable ?

23/05/2018

De nombreuses structures de l’économie sociale et solidaire (ESS) hésitent encore à se lancer dans la mesure de leur impact social sans se trahir. Si l'exercice comporte des risques pour certains, il peut surtout s'avérer un bon moyen de valoriser la plus-value associative.

« Jusqu’où nos associations, créées précisément pour répondre à des besoins, devront-elles apporter la preuve de leur "utilité". La prise en charge de personnes âgées dépendantes par un établissement n’est-elle pas en soi suffisante ? », s’agace cette responsable associative. Sous l’influence de nouveaux types de financement issus du secteur privé, les structures de l’économie sociale et solidaire (ESS) sont de plus en plus incitées à faire la démonstration de leur impact social. Une démarche d’évaluation considérée avec réticence par une partie du secteur qui y voit un nouvel instrument de contrôle de ses activités, mais qui peut néanmoins se révéler une opportunité pour valoriser son organisation. Et, au-delà, le modèle de l’ESS ? En effet, celui-ci sera amené à défendre demain ses spécificités face aux entreprises dites à mission, envisagées par le projet de loi pour la croissance et la transformation des entreprises (Pacte).

« Plus qu’une nécessité, une obligation »

Ces dernières années, le concept d’évaluation de l’impact social a gagné l’ESS. Soucieux de répondre à des besoins croissants, ses acteurs doivent désormais composer avec le changement de posture des pouvoirs publics qui, sous le coup des contraintes budgétaires, se muent en investisseurs sociaux attentifs aux preuves d’efficience avant de desserrer les cordons de la bourse. « Le financement public s’est réduit et a changé de nature en passant d’une logique de subvention à une logique de la commande publique, confirme Adrien Baudet, consultant chercheur chez cabinet KPMG. En parallèle, de nouveaux types d’investisseurs, qui déploient des modalités d’action jusque-là réservées au marché financier classique (prise de participation au capital…), émergent et attendent une “rentabilité” économique et sociale. En outre, un nombre croissant d’acteurs du secteur, chez qui le souci de la professionnalisation progresse, cherchent à se doter des outils et arguments des entreprises marchandes pour s’en servir notamment à des fins de démonstration. »

« C’est devenu plus qu’une nécessité pour le champ de l’insertion par l’activité économique (IAE) comme l’a rappelé le récent rapport de Jean-Marc Borello [1], illustre Luis Semedo, délégué national du réseau Chantier école, lancé depuis la fin 2016 dans l'élaboration d’un instrument de mesure adapté. Face à d’autres types d’acteurs qui font eux aussi de l’insertion par l’emploi, nous devons disposer d’éléments tangibles prouvant notre efficacité pour peser sur les arbitrages. En tenant compte des créations de valeur ajoutée mais aussi d’emplois directs, indirects et même induits, l’IAE ne peut être réduite au seul nombre de personnes formées ou accompagnées. » Et parce que mal nommer les choses, c’est un peu accroître le malheur du monde, le Conseil supérieur de l’ESS a dès 2011 défini les contours de l’impact social comme « l’ensemble des conséquences […] des activités d’une organisation, tant sur ses parties prenantes externes (bénéficiaires, usagers, clients), directes ou indirectes de son territoire et internes (salariés, bénévoles, volontaires), que sur la société en général » [2].  

Culture de la preuve 

Sur le terrain, le concept, popularisé par le déploiement des contrats à impact social début 2017 [3], n’est pas toujours vu d’un bon œil. « À croire que faire de l’action sociale ne suffit plus : il faut aussi apporter la preuve qu’on fait mieux que les autres, déplore Morgane Dor, conseillère technique à l’union des organismes non lucratifs Uniopss. Le risque, c’est que les structures se retrouvent piégées par des batteries d’indicateurs ou des méthodes inadaptées, alors que certains aspects, comme la prévention, la réadaptation de publics ou la cohésion sociale sont difficiles à quantifier scientifiquement. » Pas de danger, rassure Hugues Sibille, président de la Fondation du Crédit coopératif et du Labo de l’ESS. « Une bonne mesure d’impact social doit aussi comporter des indicateurs qualitatifs, temporise-t-il. Ces réticences expliquent d’ailleurs pourquoi  certaines associations préfèrent plutôt parler d’"évaluation de l’utilité sociale", notion qui prend en compte l’ensemble des éléments de l’écosystème modifiés par les organisations, dans une approche plus systémique. »« La culture française assimile trop la notion d’évaluation à celle du contrôle, alors qu’elle doit au contraire reposer sur le dialogue entre les parties prenantes, en coresponsabilité, prône de son côté Benoît Mounier-Saintoyant, chargé de mission à l’Agence d'ingénierie pour développer l'ESS (Avise). La pédagogie est nécessaire, car le champ de l’ESS est moins mature que d’autres sur la question de l’évaluation. »

À l’exception notable toutefois des acteurs du social et médico-social. Soumis aux obligations de la loi du 2 janvier 2002, ils savent combien l’exercice peut être complexe et requérir un investissement certain. « Réaliser une mesure d’impact est très chronophage et a donc un coût, confirme Nicole d’Anglejan, directrice des activités filialisées à la Fondation des Apprentis d’Auteuil. C’est autant de temps pris sur une autre tâche directement liée à un bénéficiaire. C’est pourquoi il faut la réserver à des projets qui comportent de réels enjeux managériaux et stratégiques. » Voire peut-être intégrer demain le sujet aux référentiels d'évaluation du secteur ?

Prove or improve 

Pourtant, l’exercice peut s’avérer payant pour les gestionnaires ainsi dotés d’un bon moyen de valoriser leur plus-value. « Analyser son projet associatif, c’est déjà prendre de la hauteur pour réaliser que, au-delà de la gestion de l’établissement, l’organisation contribue aussi à créer de l’emploi sur son territoire, à soulager des familles…, assure Morgane Dor. Autant de choses que les associations n’objectivent pas et sur lesquelles elles communiquent insuffisamment. »

« La plupart du temps, ceux qui se lancent sont dans la démonstration (prove) pour accéder à de nouvelles ressources, analyse Benoit Mounier-Saintoyant. Leur évaluation est souvent plus "light", avec moins d’appropriation par les parties prenantes. En revanche, ceux qui mettent aussi l’accent sur leurs enjeux d’amélioration internes (improve), adoptent des démarches plus complètes, mobilisent les équipes et donnent du sens à leur projet. » « Affirmer que l’impact social fait partie de l’ADN du secteur ne suffit plus pour mobiliser des bénévoles, faire vivre un projet ou assurer de nouveaux recrutements…, résume Ève Durquety, responsable du développement, secteur de l’ESS chez KPMG. Les acteurs doivent comprendre que c’est aussi un outil de gestion et de développement. »

Pas de méthode standard

Oui, mais comment ? En la matière, il semble bien que la meilleure méthode (collecte de données, analyse…) soit propre à chacun. « Il y a une tentation forte de disposer d’un référentiel d’analyse-type, confirme Ève Durquety. Or, à chaque fois, l’important c’est l’intelligence collective, c’est s’interroger ensemble sur ce qu’on veut faire et ce qu’on est capable de faire. » Un constat fait dès 2012 par la Fondation des Apprentis d’Auteuil. « En y travaillant, nous avons compris que c’est la typologie du projet et ce qu’on cherche à évaluer qui déterminent le choix de l’outil, confirme Nicole d’Anglejan. L’enjeu est donc de définir d’abord ce qu’on veut évaluer, car en soi la mesure d’impact ne veut rien dire. »

On le voit donc : acquérir une culture commune de l’évaluation passera d’abord par le soutien des organisations. « On ne peut constamment leur demander de se transformer sans leur en donner les moyens, y compris financiers, prévient Hugues Sibille. Leur accompagnement doit être financé par la puissance publique. » Une recommandation peut-être intégrée à l’imminent plan de développement pour la vie associative annoncé fin 2017 par l’exécutif ?

« Laisser la place aux apports inattendus »

Caroline Klein, directrice Développement et Stratégie des Cités du Secours catholique

« En 2016, grâce à un partenariat de l’Uniopss, nous avons lancé une évaluation de l’utilité sociale de nos dispositifs franciliens d’accompagnement au logement. Après la mise en place d’un comité pilotage, destiné notamment à convenir des enjeux du processus, nous avons déployé une démarche participative associant bénéficiaires, équipes, financeurs, bailleurs… Et c’est à partir des apports qu’ils ont identifiés que notre référentiel a été élaboré, et non sur la base d’objectifs prédéterminés. En parallèle, les fondements de notre action ont été réinterrogés. Ces moments de coconstruction ont permis d’apporter un nouveau regard sur notre manière d’évaluer. Depuis, nous avons travaillé, par ce même biais, à construire l’identité de notre branche handicap et à ajuster nos référentiels d’évaluation interne à l’aune de notre spécificité associative et du sens de notre action collective. »

[1] « Donnons-nous les moyens de l’inclusion », rapport du 16 janvier 2018

[2] « La mesure de l’impact social », rapport au CSESS, 8 décembre 2011

[3] Lire Direction[s] n° 141, p. 18

Gladys Lepasteur

Repères

  • 53,1 % des opérateurs sociaux déclarent avoir mis en place une démarche de mesure d’impact sur les cinq dernières années (source : Baromètre KPMG).
  • Principaux outils utilisés : enquête de terrain (56,7 %), outil de suivi ou de reporting (35,4 %), études conseil (30,4 %).
  • Adrien Baudet (KPMG) : « L’évaluation est un dispositif complet de production d’informations construit progressivement, d’abord via la collecte régulière de données, analysées ensuite par des outils empruntés aux sciences sociales ».

Publié dans le magazine Direction[s] N° 165 - juin 2018






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