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Prostitution
Améliorer la sortie

20/03/2019

Créé par la loi du 13 avril 2016, le parcours de sortie de la prostitution constitue un outil inédit pour soutenir les personnes désireuses de rompre avec cette activité. Mais la faiblesse des moyens alloués aux associations, comme la précarité des aides aux bénéficiaires, freinent le déploiement du dispositif.

© Aux captifs, la libération

Pilier du modèle abolitionniste pâtissant des conditions de son application, ou outil de contrôle social inadapté et teinté de moralisme ? Trois ans après la promulgation de la loi du 13 avril 2016 pour le renforcement de la lutte contre le système prostitutionnel, la mise en œuvre des parcours de sortie de la prostitution et d'insertion sociale et professionnelle donne toujours lieu à des appréciations mitigées. Destiné à « aider les personnes qui le souhaitent à rompre avec l'activité prostitutionnelle pour se réinsérer » [1], le dispositif s'adresse aux personnes majeures, françaises ou étrangères. Il repose dans chaque département sur l'accompagnement par des associations agréées par la préfecture, et habilitées à présenter des demandes individuelles d'engagement dans un parcours de sortie à la commission départementale de lutte contre la prostitution.

Des procédures contraignantes

Placée sous l'autorité du préfet, cette instance réunissant toutes les parties prenantes (collectivités, justice, police, santé, Éducation nationale…) rend des avis purement consultatifs ; à charge pour le préfet d'autoriser ou non l'entrée des candidats dans le dispositif, ouvrant droit à un accompagnement individualisé et, selon les situations, à la délivrance d'une autorisation provisoire de séjour (APS) de six mois, ainsi qu'au versement d'une aide financière pour l'insertion sociale et professionnelle (Afis). Une procédure contraignante à renouveler tous les six mois, le parcours pouvant alors être reconduit ou interrompu, dans la limite de 24 mois au total.

Fin 2018, 113 parcours avaient été autorisés, dans 21 départements [2] : une goutte d'eau dans l'océan des 20 000 à 40 000 personnes prostituées en France, d'après les estimations. En cause, selon les associations ? D'abord, la lenteur à l'allumage. Délais de publication des décrets, mobilisation inégale des préfets et délégations départementales aux droits des femmes, identification laborieuse des associations… « Les premières commissions ne se sont tenues qu'en juillet 2017 », retrace Claire Quidet, porte-parole du Mouvement du Nid. En octobre dernier, seules 55 commissions étaient recensées. Chacune travaillant à sa façon, en fonction de son degré d'appropriation de la loi… et des orientations locales, notamment en matière de politique migratoire. « Certaines rejettent toutes les candidatures de publics en situation irrégulière : c'est totalement contraire à l'esprit du texte », déplore Catherine Coutelle, ancienne députée PS de la Vienne et corapporteure de la loi.

Des aides trop insuffisantes

Du fait de ses multiples exigences – constitution du dossier de demande d'engagement, échéances rapprochées, obligation de démontrer une évolution… –, le dispositif ne peut être proposé qu'à des personnes déjà connues des acteurs, mobilisées et engagées dans un accompagnement global. « Il faut se montrer d'autant plus prudent qu'on peut toujours essuyer un refus, ce qui peut être très violent pour elles », témoigne Anne-Marie Ledebt, déléguée départementale du Mouvement du Nid en Loire-Atlantique. Au risque d'instaurer une sélection entre les candidats ? C'est ce que dénonçaient en avril 2018 une douzaine d'associations opposées à la loi – dont Médecins du monde, Les Amis du bus des femmes, le Planning familial ou le Syndicat des travailleurs du sexe –, fustigeant notamment la conditionnalité de l'aide à l'arrêt de la prostitution : « Cela risque de générer des divisions entre les personnes considérées comme dignes de protection (parce qu'elles souhaitent arrêter) et celles qui préféreront continuer le travail du sexe », même provisoirement et par nécessité, écrivaient-elles dans un rapport très critique [3].

Une configuration fréquente, compte tenu de la précarité des aides accordées. Comment prétendre à une formation ou décrocher un emploi avec une APS de six mois ? Comment arrêter du jour au lendemain avec une Afis de 330 euros mensuels ? Accéder au logement, fut-ce en résidence sociale ou en pension de famille, avec une allocation inférieure au revenu de solidarité active (RSA) ? « Il n'y a même pas de places d'hébergement fléchées, regrette Laurie Arnichand, cheffe de service au centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) L'Olivier-Arcades du Diaconat protestant, à Valence, agréé pour la Drôme. Et on exige des femmes accompagnées qu'elles apprennent le français, qu'elles trouvent un travail et qu'elles se soignent, alors qu'elles vivent à la rue… » Ne reste aux associations qu'à faire preuve d'imagination : bail glissant, sous-location, mise à l'abri en centre d'hébergement d'urgence…

Des associations particulièrement investies

Mais avec quels moyens ? Sauf quelques rares exceptions, comme à Nantes où le Mouvement du Nid a reçu une subvention pour financer un poste de travailleur social ad hoc, l'accompagnement complexe et chronophage des parcours de sortie – traduction, frais de transports pour se rendre à l'ambassade, travail partenarial, renouvellement des dossiers tous les six mois… – s'effectue à moyens constants. « Les associations jouent vraiment le jeu, elles s'investissent, insiste Laura Slimani, chargée de mission au siège de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS). Au départ, le temps que le dispositif se mette en place, certaines ont même avancé l'Afis aux bénéficiaires sur leurs fonds propres. Mais depuis deux ans, les budgets concernés ont diminué de 30 %. » Les organisations plaident notamment pour que les crédits non consommés de l'Afis – qu'elles attribuent à un démarrage tardif et à un manque de communication – soient rebasculés vers l'accompagnement, la formation et la prévention. D'autant que nombre de structures agréées sont des CHRS, promis à une réforme tarifaire entraînant une baisse des financements de 57 millions sur quatre ans… « Dans ces conditions, nous sommes obligés de limiter à quatre le nombre de parcours accompagnés, se désole Laurie Arnichand. Je n'ai que trois temps pleins d'éducatrices, toutes coréférentes de ces situations en plus de leur travail au CHRS. Je n'ai aucune envie que mon équipe explose. » Pas étonnant dès lors que les objectifs initiaux du gouvernement – 1 000 mesures engagées en 2017 – n'aient pas pu être atteints…

Le silence des autorités

Toutes ces difficultés, qui constituent autant de freins à la mise en œuvre d'un dispositif pourtant « perçu de manière positive par les personnes souhaitant quitter le travail du sexe » [3], les associations n'ont eu de cesse de les faire remonter à la secrétaire d'État chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, comme à la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) : des alertes restées lettre morte. « Le dialogue a bien lieu au niveau territorial, reconnaît Laura Slimani. Mais pour lever les blocages, il faut un suivi national et une orientation politique claire. » Signe de la tiédeur du portage, ni le cabinet de Marlène Schiappa ni la DGCS n'ont répondu à nos demandes d'informations sur le sujet. À quelques mois du terme des renouvellements pour les premiers parcours autorisés fin 2017, le silence des autorités inquiète. Que se passera-t-il alors pour les bénéficiaires ? Selon quels critères leur situation sera-t-elle évaluée ? Quid de la régularisation des personnes étrangères ? Les professionnels espèrent d'heureux dénouements, à même de conforter la pertinence du dispositif. « Quand tous les acteurs jouent le jeu, les effets peuvent être extraordinaires, martèle Claire Quidet. Nous avons tous vu des femmes transformées par la reconnaissance de leur vécu, et pour lesquelles tout s'est enchaîné : titre de séjour, logement, formation. » Bien sûr, reconnaît-elle, toutes les histoires ne sont pas aussi exemplaires. Mais jamais, auparavant, les associations n'avaient disposé d'un outil susceptible de donner « de l'espoir »« En cela, défend-elle, c'est une opportunité rare. »

[1] Circulaire du 31 janvier 2017 relative à la mise en œuvre du parcours de sortie de la prostitution

[2] Chiffre transmis au Haut conseil à l’égalité par la DGCS, le 19 octobre 2018

[3] « Que pensent les travailleurs du sexe de la loi sur la prostitution ? », enquête sur l’impact de la loi du 13 avril 2016, dirigée par Hélène Le Bail (CNRS) en collaboration avec onze associations de terrain

Clémence Dellangnol

« Former les acteurs de terrain »

Hélène de Rugy, déléguée générale de L’Amicale du Nid

« Parce qu'ils connaissent mal le sujet, les professionnels non spécialisés travaillent très peu la question de la prostitution. Bien souvent, les situations ne sont même pas identifiées. Les signaux d'alerte ne sont pas repérés ou bien freinés par leurs représentations, les travailleurs sociaux n'osent pas aborder la question avec les personnes, comme si cela revenait à émettre un jugement moral. De ce point de vue, la loi constitue un facteur de changement considérable. Elle permet de faire émerger la problématique y compris là où elle n'est pas évidente, et suscite des demandes de formation de la part d'acteurs très variés : conseillers en mission locale, assistantes sociales et infirmières scolaires, intervenants en centres d'accueil pour demandeurs d'asile, éducateurs en protection de l'enfance… Plus largement, cela illustre la difficulté des suivis sociaux à intégrer les questions liées à la sexualité, et la nécessité de mieux traiter cet aspect dans les formations initiales des professionnels. »

Repères

  • 5 millions d'euros, c'est le budget consacré à la prévention et à la lutte contre la prostitution et la traite pour 2019, dont 2 millions d'euros pour l’Afis.
  • « Donnez-moi mes papiers, comme ça je ne retournerai plus jamais dans la rue. Je trouverai un bon travail et les gens me regarderont avec respect. » Extrait de la lettre de motivation d’une femme accompagnée par le Mouvement du Nid.
  • 85 % des personnes prostituées en France sont des femmes. 93% sont étrangères.

Publié dans le magazine Direction[s] N° 174 - avril 2019






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