Le texte change-t-il la philosophie de la justice des mineurs ?
Nadia Beddiar. Non, il reste assez fidèle à ses grands principes. À savoir, la nécessité de juridictions spécialisées, la primauté accordée à l’éducatif et l’atténuation de la responsabilité pénale liée à l’âge. C’est d’ailleurs dans ce dernier cadre qu’est instaurée une présomption de non-discernement pour les moins de 13 ans. Si cette mesure permet enfin de se conformer au droit international, elle risque toutefois, dans les faits, de ne pas changer grand-chose aux pratiques : le magistrat a toujours la possibilité d’y déroger le cas échéant, et les moins de 13 ans sont encore susceptibles de l’objet d’une retenue dans un commissariat – on est loin, là, de la présomption d’irresponsabilité… Enfin, dernier point : quid des très jeunes enfants auteurs d’infractions qui pourraient logiquement être pris en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE) des départements, dont on connaît pourtant les difficultés financières… ?
La simplification de la procédure pénale, destinée à accélérer les procédures, est-elle bienvenue ?
N. B. Elle induit surtout un paradoxe : elle aboutit à une standardisation des procédures, là où la philosophie de l’ordonnance de 1945 était de spécialiser l’action pénale pour adapter au mieux la réponse à la personnalité du mineur. Ce qui suppose donc de prendre du temps pour mener des investigations… Cette simplification s’inscrit en réalité dans le mouvement général de répression de la délinquance juvénile, rendue toujours plus visible à des fins de communication politique. Et ce, alors même que le phénomène n’a pas explosé.
Le déploiement de cette réforme est-il possible sans moyens supplémentaires ?
N. B. C’est difficilement envisageable. En particulier pour permettre aux services de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), débordés, de mettre en œuvre la nouvelle mesure éducative judiciaire unique [1], modulable dans le temps et susceptible d’être prolongée jusqu’à 21 ans – ce qui est une bonne chose. Même chose pour les juridictions qui, elles aussi, ont besoin d’être soutenues, car la nouvelle césure du procès implique maintenant d’organiser deux audiences pour une même affaire, et ce dans un délai de six à neuf mois, contre 18 mois aujourd’hui ! On voit mal comment les plus petites d’entre elles notamment pourraient être en mesure de tenir les délais dans ces conditions.
[1] Elle comporte quatre modules : insertion, placement, santé et réparation.
Ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019
Gladys Lepasteur
Publié dans le magazine Direction[s] N° 179 - octobre 2019